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Kinkaleri et Godder/Foscarini

Rencontres chorégraphiques : Soirée Kinkaleri et Godder/Foscarini

Le scénario de la rébellion contre une contrainte imposée, libération finale à la clé, est sans doute le scénario le plus basique, mais aussi le plus exploité, du Hip Hop à la danse contemporaine, en passant par le cirque. Comment faire pour encore tirer de ce poncif un spectacle novateur ?

Gut Gift, le solo créé par Yasmeen Godder pour Francesca Foscarini, joue pleinement la carte de la fascination par l’interprète. Tour à tour louve, amazone, femme à barbe ou bien voilée, mélancolique ou fille joyeuse, l’intrigante Italienne met en évidence le moindre frémissement. Partant d’un rapport au sol proche de la captivité, elle finit debout, sautillante. Cela aussi fait partie des invariables stéréotypes dramaturgiques. La présence de Foscarini, authentique et donc captivante, réussit même à faire oublier qu’il s’agit d’un n-ième catalogue des états d’âme et de corps d’une femme.

Galerie Photo Itzik Giuli

 

En ce sens le scénario est très proche de celui développé dans See her change, créé en 2013, tandis que, comme on apprend par la feuille de salle, une partie du matériau chorégraphique « a été développé avec Dalia Chaimsky pour la pièce Storm End Come ». Il s’agit donc partiellement d’un remake ou de recyclage, ce qui présente l’intérêt de voir comment l’interprète s’approprie les mouvements créés pour et avec une autre, en passant d’une pièce pour six à un solo. Ce processus est au centre de la pièce et croise les chemins d’un personnage en voie d’humanisation. De plus, ce vocabulaire

 

C’est l’interprète, l’une des plus remarquées de la danse contemporaine italienne, qui a demandé à la chorégraphe de créer un solo pour elle. Le titre suggère que la transmission s’est faite dans un esprit très organique. Gut Gift désigne un « don fait avec (ou pour) les tripes » et la chorégraphie n’est ici que le vecteur qui permet à Foscarini de parler d’elle-même. Et pourtant, un solo de vingt minutes offrirait suffisamment d’espace pour développer une dramaturgie plus complexe. « Désormais la pièce appartient à Francesca. J’irai la voir de temps en temps pour prendre connaissance de son évolution », dit Godder. La libération de Foscarini est donc chose faite et c’est elle-même qui gère la diffusion de Gut Gift.

Galerie Photo : Paolo Porto

 

 

Kinkaleri : Coups de feu, coups de théâtre

Foscarini vit à Mira, aux abords de Venise. La compagnie Kinkaleri, présentée dans le même programme des Rencontres chorégraphiques, est installée à Prato, en Toscane. Dans leur duo Fake For Gun No You / All !, la révolte est traitée de façon plus explicite encore, culminant dans des coups de révolver. Il s’agit d’une référence à l’écrivain W.S. Burroughs et son poème Thanksgiving Day, Nov. 28, 1986, For John Dillinger in Hope He is Still Alive, un hommage au célèbre braqueur et ennemi public américain des années 1930, un cri de révolte et de liberté. Le duo dansé reflète, selon la note d’intention de la compagnie, « la conscience du langage, son pouvoir et la possibilité de la révolte qui pourrait animer un corps plongé dans l’ordre et le contrôle du monde actuel, un travail sur l’esprit de liberté. » Il fait partie de la série All !, où chaque pièce se réfère à un texte, le plus souvent de W.S. Burroughs.

Alphabétisation chorégraphique

Sur scène, ces textes sont explorés à travers un alphabète corporel créé sur mesure. Un bras tendu vers l’avant signifie le « A », une jambe levée en pliant le genou, le « L », etc. Un saut les double, un mouvement de boxe met un point d’exclamation… Les fameux termes de phrase ou vocabulaire chorégraphique prennent ici un tout autre sens et le résultat se situe quelque part entre mudras et langue des signes.

Les danseurs suivent donc une partition cachée qui détermine leurs mouvements, mais leur liberté d’interprétation dépasse de loin celle d’un chef d’orchestre. Il en va de même pour le regard du spectateur, qui jouit d’une liberté absolue. Mieux, les règles lui laissent la possibilité de s’affranchir, par sa propre volonté, d’un système qui conditionne son regard, pour se laisser emporter par la beauté du mouvement. Les danseurs l’y assistent par ailleurs, en se dégagent petit à petit de la contrainte formelle.

 

Galerie photo Kinkaleri et Andrejs Strokins

 

 

 

Devoir conformer ses élans à un système aussi rigide représente ici le carcan contre lequel va se diriger l’acte libératoire à l’intérieur de la chorégraphie, créant ainsi une métaphore de la société, cible de la révolte de Burroughs qui idéalise les actes de Dillinger, braqueur anarchiste et vengeur des victimes du système financier. D’où la présence des armes à feu dans les mains des danseurs. Par ailleurs, Fake For Gun No You se joue au contact visuel de la cité, soit dans un espace ouvert sur l’extérieur, soit en ouvrant une porte en fond de scène.

En établissant des rapports complexes entre abstraction et interprétation, contrainte formelle, liberté d’interprétation, évocation d’actes de rébellion et leur transposition, tout en confrontant le spectateur à la possibilité du libre arbitre, Kinkaleri prouvent que le bon vieux motif dramaturgique de l’acte libératoire n’a pas dit son dernier mot, à condition de l’inscrire dans une vraie recherche.

 

Thomas Hahn

 

Bagnolet, Le Colombier, 26-28 mai 2014, Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis

 

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