Entre introspection solitaire et énergie collective, le Festival Immersion Danse, en partenariat avec Dense Danse #lefestival, met en lumière deux premières créations marquantes.

Chris Fargeot, avec 3h33 in my room (through the window), explore la mémoire du corps dans un solo intime où break et improvisation se réinventent au fil des silences et des sons. Lumi Sow, avec Bounce, entraîne neuf interprètes dans une effervescence partagée, célébrant l’art du rebond comme langage commun. Deux univers singuliers, deux manières d’habiter la scène, réunis par une même quête de transformation.

3h33 in my room (through the window) : une fenêtre sur l’intime
Accompagnée en direct par une composition mêlant instruments acoustiques et dispositifs électroniques, Chris Fargeot propose un solo qui interroge sa pratique chorégraphique. 3h33 in my room (through the window) se situe à la rencontre du break dance et de l’improvisation. La pièce explore la mémoire du corps et ses transformations, dans un cadre épuré où sons, silences et mouvements se répondent. Il faut dire que cette jeune chorégraphe, formée en danse classique, as du break, interprète remarquée chez Ousmane Sy et Saïdo Lehlouh, ou Marion Motin, cherche aujourd’hui à « se défaire des gestes qui ne lui appartiennent pas » et c’est plutôt réussi comme en témoigne cette toute première création.

Dans l’ombre d’un rideau entrouvert, Ulysse Zangs s’installe derrière ses instruments, comme dans une alcôve reculée. Ses percussions et ses machines dessinent un paysage sonore où la guitare, traversée de réverbérations, envahit l’espace tel un souffle persistant. À jardin, une silhouette blanche se détache peu à peu : Chris Fargeot avance sur une diagonale, portée par le bruit du vent qui traverse la bande sonore. Son corps oscille, se déploie en vagues fluides, et vient se loger dans les faisceaux lumineux qui strient le sol comme les lueurs que filtrent les volets, la nuit et renvoie au titre (à travers la fenêtre).

3h33 in my room (through the window) nous convie dans une chambre intérieure, loin des arènes de battles. L’heure choisie – 3h33 – marque un seuil incertain, un moment suspendu au creux de la nuit. La danse s’y élabore autrement : non plus dans la virtuosité des figures du break, qui apparaissent en filigrane, mais dans une temporalité étirée, une fluidité qui prend le temps de se réinventer pour renouer avec le sol dans une relation nouvelle, intime, presque tactile. Il n’est plus l’enchaînement spectaculaire, il est l’énergie, l’élan, la fulgurance qui surgit, notamment lorsque la danse s’accorde aux frappes de batterie. La musique, jouée en direct, n’accompagne pas seulement : elle ouvre des paysages successifs dans lesquels la danseuse trouve son propre vocabulaire, en approfondissant une gestuelle qui se détache des héritages pour devenir singulière.

Ce premier solo, d’une trentaine de minutes, apparaît comme une traversée intime, une métamorphose en cours. Une recherche à suivre, où chaque silence, chaque éclat de lumière devient une source chorégraphique.

Bounce : Lumi Sow et l’art du rebond
Avec Bounce, Lumi Sow signe sa première grande création scénique. Neuf interprètes, une musique jouée en direct, et une énergie collective qui place le groupe au cœur de l’expérience. Rendant hommage à l’une des fondations du hip-hop, le bounce, cette capacité à rebondir ensemble, à transformer l’élan en mouvement partagé, les Sons of Wind font prendre une nouvelle dimension à cette gestuelle en lui donnant un aspect plus organique, le transformant en une sorte de matière dansante extraordinairement plastique.

Avec un début qui pourrait faire penser à la première scène de West Side Story, où chacun des interprètes entre dans la danse à partir de la marche, tout en donnant un tour très urbain à cette scène, la suite, qui développe le rythme binaire du « rebond » scandé à l’unisson, captive l’attention, tout en évitant le piège de l’uniformité. Ils surgissent comme une bourrasque, les corps traversés par un souffle qui ne s’interrompt jamais. Les « Fils du Vent » font de la scène un espace mouvant, vibrant, où chaque rebond devient une onde qui se propage. Leur gestuelle, à la fois relâchée et fulgurante, dessine une cartographie de l’élan : une danse qui s’ancre dans le sol pour mieux s’en détacher, qui jaillit pour aussitôt se réinventer.

Les neuf interprètes se laissent porter par la pulsation des beats joués en direct. La scène se transforme en club incandescent, saturé d’énergie, où le mouvement circule comme une langue commune. Chaque geste, chaque rebond, est une étincelle qui relie les corps dans une effervescence partagée.

Sous l’apparente décontraction, une maîtrise subtile s’impose : celle d’un geste collectif, solidaire, qui élève les danseurs et danseuses dans une joie contagieuse. Ici, le spectacle n’est pas seulement démonstration, mais expérience sensorielle, où la danse devient souffle, vibration, langage universel.

Agnès Izrine
Vu le 18 novembre 2025 à l’Onde, centre d’Art Vélizy-Villacoublay

Distributions :
3h33 in my Room (through the window)
chorégraphie et interprétation Chris Fargeot et Ulysse Zangs

Composition musicale Ulysse Zangs

Lumières et son Marine Stroeher et Flora Lastouillat


Bounce
chorégraphie Yann Joseph-Auguste Lumi Sow
Écriture collective danse et musique Joakim Twizzy Chardonnens, Dereck Prudent, Nathan Nathy Kinsiona, Anaël Lypso Régent, Kristina Krissy Kunn, Mickaël Kara Saint-Felix, Amiel Mampouya, Junior Steve Phaonce Cadet, Kassy Bondoko.
regards complices Francis Quessary, Jerson Diasonama, Laura Defretin, Raphaël Stora, Maryne Esteban
lumière Xavier Lescat 
son Lucie Béguin 
direction artistique Amina Kilcher, Yann Lumi Joseph-Auguste