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« Sorcières » d'Auréline Guillot

Un premier solo d'une jeune – mais qu'est que jeune ? – chorégraphe qui surprend de maturité et de maîtrise. Mais cette danseuse éprouvée, pour entrer dans la démarche créative, n'est en rien une novice. Au résultat, un étonnant premier essai car tenu de bout en bout et sans les défauts du genre coup d'essai.

Petite salle – genre auditorium amélioré que l'on utilise souvent pendant le festival Le Temps d'Aimer pour les conférences ou les restitutions – horaires du dimanche après-midi en fin de manifestation, l'apparat n'est pas de mise. Affluence pourtant, car l'artiste pour discrète n'en est pas moins une manière de figure locale. On ne partage pas pendant presque dix ans le parcours du CCN local sans y laisser quelques traces, celles d'Auréline Guillot restent vives.

Entrée dans la compagnie de Thierry Malandain en 2008, très belle et élégante interprète, ayant interrompu cette collaboration pour diverses raisons parmi lesquelles celles de santé comptent beaucoup, resté très proche de la compagnie au point d'avoir été appelée à remonter les ballets de Malandain auprès du Ballet de l’Opéra de Metz, du Conservatoire National Supérieur de Lyon, vivant à Biarritz : voilà une de ces personnalités un peu en retrait et pourtant essentielle au « fonctionnement » de l'activité de terrain du monde chorégraphique. Accessoirement, cela explique que malgré la discrétion et la modestie de la programmation, la salle soit pleine et par deux fois.

Grand panneau en forme de cercle translucide fermant la perspective, au sol un autre cercle sombre, comme de pierres rougeoyantes. Éclairage soigné. La scénographie profite du talent du magicien et acteur David Tholander, la lumière de celui de Martin Harriague, ci-devant futur directeur du CCN-Ballet Biarritz. La débutante s'entoure de partenaires de choix ; l'art du chorégraphe consiste d'abord à se bien entourer. Au centre du cercle, une élégante femme, robe blanche à motifs argentés, poses et postures précieuses et vaguement minaudant. La bande son au cordeau qui passe de Debussy à Haendel ou Lili Boulanger diffuse aussi des spots publicitaires anciens aux forts relents misogynes (la publicité Audi, « il a l'Audi, il aura la femme », vaut modèle du genre), le tout ponctué d'une anaphore vengeresse : « un courtisan c’est quelqu'un proche du roi, une courtisane, c'est une pute. Un homme facile est un homme agréable à vivre, une femme facile, c'est une pute. Etc… » Le propos est cadré et si la « jeune » chorégraphe compte évoquer les Sorcières du titre, elle le fera dans une perspective résolument contemporaine et féministe. Pour autant pas de prêche, ni d'excès démonstratifs.

Le propos se développe en tableaux successifs que marquent l'abandon des robes superposés comme autant de modèle de comportement dont il convient, l'un après l'autre, de se défaire. La femme sophistiquée et un peu futile – mais dont la gestuelle des bras revient avec insistance vers le pubis –  retrouve la sauvage qui courait la lande pour finir par se libérer et se dénuder entièrement, mais derrière le panneau de décor et dans un jeu d'ombres chinoises, sur le Summertime réinterprété par Janis Joplin.

Ce propos emprunte beaucoup à l'essai de Mona Cholet, Sorcières, la puissance invaincue des femmes, et joue du parallèle entre la misogynie contemporaine et sort des sorcières au XVIe et XVIIe siècles, sans pour autant appuyer sur la situation du Pays Basque – cela s'y prêterait pourtant – où cette « chasse » fut particulièrement active. Mais rien de démonstratif dans cette pièce très structurée, émouvante, remarquablement bien interprétée quoiqu'un peu en panne de rythme parfois… Ce qui se comprend parfaitement pour une première œuvre d'une jeune chorégraphe…

Galerie photo © Stéphane Bellocq

Certes mais qu'est-ce que « jeune » pour un chorégraphe. Auréline Guillot a 40 ans. Le discours « jeuniste » de la danse contemporaine pourrait lui en faire grief quand, justement, l'occasion est précieuse. Voilà une œuvre féministe vécue, un sentiment de rébellion venue de la vie même de femme, belle et talentueuse, mais confrontée cependant aux injonctions autant (et le fait est rarement souligné dans les pamphlets militants qui nous sont parfois infligés) qu'aux inclinations personnelles. La danse d'Auréline Guillot exprime aussi une jubilation à être belle comme sur le catwalk du défilé de mode, à être enviée ; et elle ressent (là encore par sa danse) l'étouffement par la charge sociale autant que ses propres contradictions. Et cette ambivalence ne pouvait être exprimée par une autre qu'une jeune chorégraphe quoique son âge… Leçon à transmettre et en souhaitant qu'une seconde œuvre s'ensuive.

Philippe Verrièle
Vu le 14 septembre 2025, Salle Gamaritz, Gare du Midi, dans le cadre du festival Le Temps d'Aimer.
 

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