Nina Santes entame un nouveau cycle inspiré du liquide. Bientôt crée Au festival Excentriques de La Briqueterie CDCN, son premier volet Wet Songs s’inspire de la comédie musicale pour mieux nous inviter à des débordements fertiles et métissés, à même de réirriguer nos existences. Rencontre.
DCH : Wet Songs fait partie d'un cycle que vous réalisez sur le mouillé, le liquide, l'eau. Comment est né ce cycle ?
Nina Santes : Il est né de la sensation que j'avais d’un monde toujours plus brûlé, qui s'assèche de plus en plus vite et qui en même temps nous submerge, ce qui réveille des peurs archaïques. J'ai eu un réel besoin, dans ma vie personnelle, de penser par le liquide, de penser à ce qui pourrait me ré-irriguer. C’était une sensation très physique. J’éprouvais la nécessité de sentir que ça circule, que ça ne sèche pas à l'intérieur de moi, que je reste poreuse au sens d'affectée par ce qui se passe autour, par le vivant, par les autres, par l’état du monde. J'ai eu besoin de penser par le liquide et d'y voir un espace de possibilités, d'inventions, de visions pour d'autres alternatives pour nos vies personnelles et collectives. Je me suis alors reliée à des activistes et penseuses comme Alexis Pauline Gumbs ou Astrida Neimanis, des gens qui parlent d'hydro-féminisme et qui écoutent ce que les créatures marines ont à nous apprendre pour résister, continuer de nous transformer. Tout cela m’a terriblement inspirée. Partir d’une expérience de vie, d’une sensation, fait toujours partie pour moi du processus. J’essaie d’abord de comprendre ce que cela fait dans mon propre corps puis ça devient une pratique physique, chorégraphique, vocale, musicale.

DCH : Pourquoi envisager tout un cycle plutôt qu’un seul projet ?
Nina Santes : Ce mouvement part d'un profond besoin de transformation de ma perception intime et j'ai envie de baigner dans ces réflexions non pas à l'échelle d'un projet de création mais à l'échelle de la vie. Cela s'arrêtera quand ça s'arrêtera. Je me suis d’ailleurs dit que j’allais penser à présent en termes de cycles, dans une échelle de temps différente. C’est vraiment l'élément de l'eau qui m'a amenée à ça, c'est un milieu dans lequel j'ai envie d'évoluer et de faire évoluer mon art et ma pensée. Wet Songs est le premier volet de ce cycle, c'est une recherche personnelle et une pièce collective.
DCH : Quel est l’impact de l’eau sur votre langage chorégraphique ?
Nina Santes : L’entrée dans le mouvement et dans la voix est très différente de mes autres projets. Ma recherche est née de plusieurs inspirations mais notamment d’une phrase de Virginia Woolf qui dit « il y a des marées dans le corps ». Cette idée de marée a vraiment résonné en moi, je l’ai beaucoup explorée en studio, seule puis avec Sati Veyrunes, l’une des danseuses de Wet Songs, avant de la transmettre au reste de l’équipe. Ce que veut dire Virginia Woolf c'est qu'au long d’une journée nous sommes traversés par des humeurs, des états qui parfois nous débordent, qui vont et qui viennent comme des vagues. Je me suis demandé comment faire place à ces marées au lieu d’essayer de les dompter. Pourquoi ne pas considérer nos débordements comme fertiles et porteurs de possibles plutôt qu’étant à dominer, à contrôler ? La vibration reste, comme dans mes autres projets, au cœur du mouvement mais les danses de cette pièce, écrites à partir des états de marée, font de façon nouvelle une grande place au tour, à la spirale.
DCH : Pouvez-vous nous parler de vos interprètes ?
Nina Santes : Ce sont cinq interprètes magnifiques qui viennent de disciplines et de mondes très différents, c'est un groupe très hétérogène. J'avais vraiment besoin de convoquer cette hétérogénéité de corps, de présences, d'âges, de disciplines, pour un projet connecté à l'eau car c’est selon moi un milieu qui contient et transporte tout, qui nous permet de nous souvenir que nous faisons partie d'un monde de différences qui entrent en relation les unes avec les autres. Cette pièce musicale et chorégraphique, qui met l’écoute au centre comme moteur du mouvement, rassemble cinq personnes qui viennent du chant lyrique, de la danse, de la musique, du beatbox et du spoken word. Toutes ces disciplines coexistent et dialoguent à l'intérieur pour former un spectacle inspiré de recherches autour de la comédie musicale.

DCH : Quel est alors le registre musical de Wet Songs ?
Nina Santes : J’ai fait appel à ces gens car je voulais qu’il y ait non pas un registre mais plusieurs registres musicaux dans lesquels voyager. Ce croisement d’influences est un des défis de cette pièce. Aria de la Celle, qui signe la création sonore, a construit avec moi une dramaturgie musicale, une trame qui permet à ces esthétiques différentes de dialoguer.
Propos recueillis par Delphine Baffour
Wet Songs de Nina Santes Les 9 et 10 octobre, festival Excentriques, La Briqueterie CDCN https://www.labriqueterie.org/agenda/wet-songs
Photo de preview : Cali Dos Anjos