Bernard Rémy (1946-2025) est mort, victime du cancer, le 8 septembre 2025. Son sourire s’est éteint à l’hôpital Bretonneau où il était veillé par Élisabeth Schwartz, son épouse.
Dans le livre Cinédanse, publié en décembre dernier par les Nouvelles éditions Scala, il résumait sa biographie comme suit, en quelques mots : membre fondateur de la revue Empreintes, écrits sur la danse, membre de la Cinémathèque de la Danse à la Cinémathèque française, auteur de livres, notamment Les Mimes au cinéma (Chaplin, Keaton, Tati, Jerry Lewis, Beckett), Paul Cézanne, les mains de la nature (Aller et Retour), professeur au centre d’art du Fresnoy à Roubaix.
Avant de participer à la revue Empreintes, de 1976 à 1984, avec Daniel Dobbels, le directeur de publication à partir de 1977, d’Hervé Gauville, Jean-Luc Poivret, Patrick Bensard et d’intervenants comme Maïté Fossen, Noël Claude, Élisabeth Schwartz, Dominique Noguez, Bernard Cordier… avant son voyage à New York qui fut l’occasion pour lui de charmer la danseuse isadorienne Élisabeth Schwartz, avant de rejoindre la Cinémathèque de la Danse, créée Patrick Bensard en 1982, Bernard Rémy avait pris part aux « Événements » de mai 68 et milité activement dans les années qui suivirent.

Refusant de continuer à faire ses classes à la base aérienne du Bourget, il décida, en 1972, de déserter l’armée et fonda, en 1973, le "Groupe d’information sur l’armée", démarqué du "Groupe d’information sur les prisons" créé deux ans plus tôt par Jean-Marie Domenach, Pierre Vidal-Naquet et Michel Foucault. Ce dernier, considéra que le livre qu’il avait écrit, L’Homme des casernes, publié par François Maspero en 1975, était « l'un des ouvrages les plus forts sur l'emprisonnement militaire, et à travers lui sur l'institution militaire dans son ensemble ».
Bernard Rémy ne fut pas un insoumis d’opérette. Le « déserteur public », ainsi qu’il se définissait alors, incarna à sa manière l’insoumission. Il « porta l’ironie socratique dans le fer de la fonction militaire » ainsi que l’écrivit le philosophe Jean-Pierre Faye. Il fut condamné en 1975 par le tribunal permanent des forces armées de Bordeaux et emprisonné pour ses idées dans un cachot (humide, comme il se doit), à Bayonne, où il attrapa sans doute quelques virus pour ses vieux jours. Cela ne rigolait pas sous Giscard puisque, le 15 janvier 1975, un commando du Groupe d’intervention nationaliste, armé de barres de fer, perturba une réunion de son comité de soutien animé par Philippe Ivernel et supporté par des membres du PSU comme Jean-Paul Huchon, blessant plusieurs personnes, parmi lesquelles sa mère ainsi que le théoricien de la vitesse, Paul Virilio. Le livre de Bernard, L’Homme des casernes, retraça son combat contre les tribunaux d’exception, que lui et son collectif finirent par remporter lors del’arrivée de la gauche au pouvoir.
En poète qu’il a toujours été, il se montrait plus souvent qu’à son tour enthousiaste, minimisant ses phases de mélancolie. Il n’a cessé d’écrire et de donner des conférences sur l’art en général et sur celui de Terpsichore plus particulièrement. Ses articles dans les magazines papier Pour la danse, Danser, Nouvelles de danse ou, plus récemment, sur le site de Philippe du Vignal, Le Théâtre du blog, ont porté notamment sur Merce Cunningham, Pina Bausch, Tatsumi Hijikata, mais aussi sur le mime, sur le mouvement chez Samuel Beckett, Charlie Chaplin, Buster Keaton, sur nombre de héros et hérauts de la danse contemporaine. Ses derniers articles en date traitent des solos de Mary Wigman et, étonnamment, de la Cérémonie d’ouverture des J.O. de Paris 2024.

En quelques semaines, il réalisa tout seul ou presque le beau catalogue papier de la Cinémathèque de la Danse qui parut en 2006. Avec Patrick Bensard, il édita de magnifiques quatre-pages thématiques destinés à illustrer plusieurs programmes de films : Mémoires du jazz (1987), A very Goude night (1989), Hommage à Claire Motte (1989), Samia Gamal et la danse orientale (1989), Carmen Amaya et le flamenco (1990), Cage/Cunningham (1991), N+N Corsino (1992 et 1996), Rudolf Noureev (1992 et 1993), Robert Cahen, un pionnier (1993), Un hommage à Alwin Nikolais (1993), Tokyo Night (1994), Rythmes et continents noirs (1995), Roland & Zizi (1995), Carte blanche à Dominique Delouche (1996), Maurice Béjart, Parcours (2006), 9 Evenings (2008).
Pour donner une idée de son style, le mieux est de le citer, par exemple dans un de ses textes faisant partie du programme Rythmes et continents noirs, Bernard Rémy évoquait le Bal Blomet : « En 1935, Michel Leiris, Pierre Verger et Alfred Métraux allèrent plusieurs fois ensemble au Bal nègre de la rue Blomet à Paris. Ce moment fut déterminant pour Alfred Métraux et Pierre Verger qui dit : « Je suis persuadé que l’émoi que ressentit Alfred Métraux au cours de ces nuits chaudes et exotiques est en partie responsable pour son et mon intérêt porté par la suite à la civilisation antillaise, brésilienne et africaine ». Ce moment renforça la sensation de ce que Michel Leiris découvrait depuis quelque temps : l’apparition des nouveaux rythmes noirs. Spectateur enthousiaste des Blackbirds en 1929, de Duke Ellington et de Louis Armstrong en 1934, de Katherine Dunham en 1948, et explorateur en Afrique, Michel Leiris allait conjoindre dans sa pensée les deux expériences, celle du théâtre rythmé et celle du rituel ».
Mais Bernard Rémy était aussi et surtout un homme de la parole, et de parole, qui tenait promesses et engagements. Qui, au téléphone, en contact direct, en présence de la personne, avait un don particulier pour l’atteindre au plus profond, une authentique force de conviction.
Nicolas Villodre
Les obsèques de Bernard Rémy auront lieu le samedi 20 septembre à 10 h, au cimetière du Père Lachaise, Paris 20e, Métro Gambetta.