Le Temps d'aimer la danse, à Biarritz, c'est aussi le temps d'aimer les surprises. Celle de l'édition 2025 est arrivée de Londres, avec une compagnie que personne n'avait vu venir : le London City Ballet, avec un programme de quatre pièces, ouvrant sur un Balanchine oublié auquel répondit, en conclusion, une pièce d’Alexeï Ratmansky à l’origine créée pour le New York City Ballet. Entre les deux, presque une anthologie du pas de deux, entre Kenneth MacMillan (1966) et Liam Scarlett (2009). Par deux fois, le 21e siècle répond donc au 20e, au cours d’une soirée qui se termine dans un rêve de liberté.
Le London City Ballet (LCB) est une toute nouvelle troupe, sous un nom pourtant connu de ceux qui suivent la danse depuis au moins trois décennies. Dissout en 1996, cet ensemble fut à l'époque parrainé par Lady Diana, laquelle cependant ne l'aida pas à combler ses dettes financières. Et la princesse fut emporté peu après la disparition du LCB originel, lequel avait fait escale à Biarritz dans les toutes premières années du festival.

Ressusciter aujourd'hui une troupe de danse néoclassique est une entreprise plus périlleuse encore. Et compliquée. Avec ses treize danseurs, le nouveau LCB travaille dans un petit studio près du Sadler's Wells de Londres qui soutient la nouvelle compagnie, tenant compte du fait que le LCB historique avait été attaché à ce temple de la danse contemporaine. Le gros du budget vient aujourd’hui du mécénat et de la vente des représentations. Les danseurs vont donc voyager un maximum, mais seulement pendant sept mois de l'année. Le reste du temps, ils ne peuvent, au Royaume Uni, compter sur aucun régime d'intermittence à la française.

Beaucoup d'entre eux vont alors considérer le LCB comme un tremplin pour peut-être trouver des contrats plus stables, ailleurs. Ce qui serait dommage puisque la troupe s'est révélée techniquement de très bon niveau, engagée, vive et soudée. Mais ils sont jeunes et viennent de beaucoup de pays différents, dont la Corée du Sud, la France et le Japon, la Colombie, le Brésil et même le Royaume-Uni ! Le rôle de la troupe, tel que le définit son directeur artistique Christopher Marney (ancien interprète des Balletboyz, des ballets de Gothenburg, Biarritz et Berne, puis directeur au Joffrey Ballet Studio de Chicago et du Central School of Ballet londonien) est de faire rayonner les œuvres de chorégraphes néoclassiques britanniques. Mais pas que.
La découverte Balanchine
Le programme présenté au Temps d'aimer offrait de jolis allers-retours entre les styles ayant marqué le XXe siècle. Tout d'abord, Balanchine. Mais ni en mode Emeraudes, ni façon Thème et variations, par ailleurs créé la même année, mais par le Haieff Divertimento de 1947 qui porte son nom avec bonheur. Cette pièce est une découverte joyeuse, parfois espiègle et même un brin ironique qui joue avec les codes du classique, les attentes du public et les situations. Elle surprend en territoire européen puisqu'elle n'avait jamais été donnée hors des Etats-Unis et qu’après sa création on la croyait même perdue, comme l'indique le LCB.

Balanchine y semble vouloir plaisanter avec ses propres codes, permettant ici à une danseuse de préparer ses ronds de jambe à l'infini pour arriver presque à un effet de comique de répétition, et là aux hommes de s'amuser de leurs propres fouettés. Ce voyage à travers l'univers balanchinien ressemble même à une revue pour Broadway, avec ses tableaux brefs et des styles musicaux très changeants, d'ambiances à la Stravinski jusqu'à la comédie musicale. Alexeï Vasilievitch Haieff, Russe comme Balanchine, comme Ratmansky et comme trois des quatre compositeurs de la soirée (le quatrième, Liszt étant Hongrois), avait clairement assumé le côté amusement en appelant sa composition Divertimento for small orchestra.
Ratmansky en liberté
C’est en grand bouquet final qu’on a découvert l'œuvre principale de la soirée, signée Alexeï Ratmansky : un vrai plat de résistance où l’ancien directeur du Bolchoï (2004-2009) et artiste en résidence au New York City Ballet depuis 2023 signe une ode à la liberté et la légèreté, sur Tableaux d'une exposition de Modeste Moussorgski. Et pour cette pièce créée en 2014 au New York City Ballet, Ratmansky convie les Etudes de couleur de Kandinsky, invitant les cercles concentriques à repousser les limites de leurs carrés et à danser à leur tour, tels de petits drapeaux flottant joyeusement au gré du vent.
Galerie photo © Stephane Bellosq
En contrebas, la compagnie transforme la forme néoclassique en un terrain de jeu. Légers et transparents, leurs costumes laissent au corps une liberté de mouvement totale et arborent des aplats de couleur qui répondent à Kandinsky, mais peuvent aussi rappeler des drapeaux nationaux, en train de se dissoudre dans le vent de l’histoire. Et à la fin, on voit surgir, l’espace d’un instant, le drapeau ukrainien ! On sait que Ratmansky, bien que citoyen russe, soutient la lutte de l’Ukraine. Et bien sûr, le premier comme le dernier mouvement de la partition de Moussorgski se réfère à la Grande Porte de Kiev…
Le pas de deux MacMillan – Scarlett
Avec ses étendards sautant telles de bulles de savon, cette pièce de Ratmansky semble autant dessiner une utopie humaniste. Dans leur danse très aérienne et angélique, ces elfes répondent aux couples de Balanchine et leur jeu avec le vocabulaire classique. Le rêve de liberté prend son envol. Ces deux pièces figurent par ailleurs au répertoire du New York City Ballet. Au sein du programme présenté au Temps d’aimer, intitulé Momentum, elles encadraient un autre jeu d’appel et réponse, entre le très classiciste Concerto Pas de Deux de Kenneth MacMillan (sur le deuxième concerto pour piano de Chostakovitch) et une suite de duos sur Consolation & Liebestraum de Franz Liszt, chorégraphiés par Liam Scarlett avec énormément de finesse psychologique. Où le jeune prodige britannique, chorégraphe invité des Etats-Unis à la Norvège, le dispute à Mats Ek en termes de véracité en cartographiant poétiquement les relations de couple.
Galerie photo © Stephane Bellocq
En tant que directeur artistique, Christopher Marney met ainsi en relation directe deux chorégraphes britanniques particulièrement au cœur de la démarche de cette nouvelle force d’exploration qu’est le London City Ballet. Et on espère que cette troupe pleine d’énergie et de maîtrise puisse continuer à cheminer ensemble. C’est par ailleurs l’un d’entre eux, le Brésilien Arthur Wille, qui figure sur l’affiche de l’édition 2025 du Temps d’aimer la danse, en plein grand jeté au-dessus de la mer biarrote.
Thomas Hahn
Le Temps d’aimer 2025
Gare du midi, le 8 septembre
Le London City Ballet en tournée :
1er octobre Reims
4 octobre Saint Germain-en-Laye
7 octobre Mérignac
9 octobre La Ciotat
11 octobre Salon-de-Provence
14 octobre Romans-sur-Isère
16 octobre Istres