Double actualité pour la danseuse-chorégraphe Germaine Acogny : son portrait filmique par la réalisatrice allemande Greta-Marie Becker, Germaine Acogny, l’essence de la danse (2025) et son hommage à Joséphine Baker, du 24 au 28 septembre 2025, au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre du centenaire de La Revue nègre.
Nous avons découvert au Saint-André des arts le documentaire de la jeune cinéaste Greta-Marie Becker, connue jusqu’ici pour ses courts métrages, qui tente de cerner un personnage – et une personnalité – hors du commun Germaine Acogny. Celle-ci fait partie du monde de la danse depuis cinquante ans déjà. La réalisatrice nous la montre au présent, aux côtés de son deuxième mari, Helmut Vogt et dans des archives filmiques qui remontent à ses débuts – en particulier des émissions de l’INA telles que Point de mire (décembre 1979) et Le Grand échiquier (mai 1980). Née en 1944 à Porto-Novo, au Bénin – un des pays-sources du vaudou –, Germaine Acogny suit au début des années 60 une formation d’éducation physique au Sénégal puis des cours de danse classique, à l’école d’Yvonne Simon-Siégel (une disciple d’Irène Popard), dans le 16e arrondissement de Paris – pas loin de l’école Bourgat où Brigitte Bardot fit ses premiers pas de danse. Avant de créer, peu de temps après, ses premiers solos et d’ouvrir un studio de danse à Dakar.
Le film ne suit pas chronologiquement le parcours de Germaine Acogny. Il faudra attendre un certain temps pour que soit évoqué le rôle capital joué par Maurice Béjart dans le lancement de sa carrière. Le chorégraphe marseillais, pour partie sénégalais côté maternel, exilé en Belgique, la repère après un stage dispensé par elle dans son école. Il conseille à son ami Léopold Sedar Senghor, poète et homme politique, président du Sénégal de 1960 à 1980, de confier à la jeune femme la direction artistique de Mudra Afrique, une école de danse créée en 1968 s’inspirant de Mudra Bruxelles, le fameux établissement d’où sont issus Maguy Marin, Hervé Robbe, Pierre Droulers, Michèle Anne et Thierry De Mey, François Hiffler et Anne Teresa De Keersmaeker. Ces deux derniers nous firent part de l’importance à leurs yeux et à leurs oreilles des cours de rythme prodigués par le pianiste-compositeur Fernand Schirren. Probablement faute de subsides après la démission de Senghor de son poste, l’école de Dakar fermera ses portes. C’est dans cette nouvelle structure conçue par Germaine et par Helmut Vogt en 1998, l’École des sables, à Toubab Dialo, où ont été tournées les séquences consacrées au Sacre du printemps de Dancing Pina (notre article), que débute le film et que se situe une grande partie de l’action.

Nous ne saurons rien du premier mariage de Germaine. Les archives présentent des extraits de ses variations et de ses pièces de groupe parmi lesquelles : Mon élue noire (2014) d’Olivier Dubois, Tchouraï (2001) de Sophiatou Kossoko, L’Opéra du Sahel (2005), Waxtaan (2006), Les Écailles de la mémoire (2008), Songook Yaakaar (2010) et À un endroit du début (2017), collaboration de Germaine au spectacle de Mikael Serre. Les propos de la chorégraphe nous aident à comprendre que sa danse diffère aussi bien des modèles états-uniens (on pense à Katherine Dunham ou à son disciple Alvin Ailey), que jamaïcains (cf. Elsa Wolliaston) ou antillais (cf. Chantal Loïal). Cette conception n’est pas non plus régie par les canons de la danse classique (le professeur de l’école Simon-Siégel disait d’ailleurs d’elle qu’elle avait « de grosses fesses et des pieds un peu… »).

De retour au pays, Germaine Acogny décide en effet de se plonger dans l’africanité et de « revoir ses danses traditionnelles, prendre l’essence de ces danses pour en faire une danse des temps modernes ». À l’image, elle demande à ses élèves de mimer les danses animales. Au son, elle conseille à qui veut l’entendre : « Entends la voix de l’eau, écoute dans le vent le buisson en sanglots : c’est le souffle des ancêtres ». Elle prend au sérieux une définition de Maurice Béjart de l’art de Terpsichore : « la danse, c’est un geste sacré ». Par le rappel de proverbes africains, d’aphorismes et de mots poétiques qui émaillent le film, Germaine explique ce que représente pour elle son art : « On regarde le corps noir… c’est beau, les muscles, l’énergie ; quelquefois on ne voit que ça ; quand tu danses, il ne faut pas qu’on voie ton corps, il faut qu’on voie ton âme ; toucher l’autre par ma danse au plus profond de son être ».

Plus précisément, elle a confié par ailleurs dans un entretien : « Mes cours de danse africaine sont inspirés de la danse classique, la danse moderne, méthode Martha Graham et puis aussi, surtout, de la tradition africaine…. Sur un rythme donné, j’élabore des pas nouveaux, je les improvise d’abord puis, après, je les fixe, et je suis arrivée à trouver une méthode de base qui arrive à attraper tous les mouvements de danse africaine (…) Je me suis aperçue qu’il y avait deux sortes de danses : les danses sahéliennes et les danses de forêt (…) les danses sahéliennes, que nous dansons avec les jambes et les danses de forêt, avec le tronc et les fesses. En faisant une symbiose des deux, on arrive à une danse africaine ». La pédagogue est aujourd’hui retraitée – elle a confié à ses élèves Alesandra Seutin et Wesley Ruzibiza la direction et la gestion de l’école. Des plans de gros travaux près de l’établissement ayant pour objet la construction d’un port industriel, dont parle Patrick, le fils de Germaine, dans son réseau social, sont pour lui du « béton coulé sur une mémoire vivante ». Ils menacent sinon l’avenir du lieu, du moins l’écosystème qu’est cette école.

Last but not least, Greta-Marie Becker fait revive deux événements récents couronnant la carrière de l’artiste : l’attribution d’un lion d’or de la Biennale de Venise par le chorégraphe australien Wayne McGregor, en 2021, à l’initiative de Didier Deschamps, l’obtention du Grand prix de l’Académie des beaux-arts, sous la coupole de l’Institut de France, en 2023.
Nicolas Villodre
jusqu'au 26 Août au cinéma St André des Arts (Paris°
du 24 au 28 septembre 2025, au Théâtre des Champs-Élysées dans le cadre du centenaire de La Revue nègre pour un hommage à Joséphine Baker,