Le nationalisme n’est pas ce qu’il aime, et cela se comprend. Car si Amit Noy est empreint de culture israélienne, son histoire familiale l’a amené à vivre sur divers continents et à devenir lui-même un tissage interculturel complexe. D’abord remarqué pour une pièce en guise de portrait familial où plane l’ombre de la Shoah, il revient avec un solo qui interroge la relation entre danses traditionnelles et manipulation politique.
Amit Noy, c’est la diaspora heureuse. Marseillais depuis quelque temps, le fils d’une Mexicaine et d’un Israélien (mais né ailleurs) a vécu à Hawaii les dix premières années de sa vie, où il a naturellement pratiqué la danse Hula ! Sa deuxième, c’était la danse traditionnelle israélienne, apprise du temps où il vivait en Nouvelle-Zélande ! Fort de sa nationalité américaine, il s’est ensuite formé à Los Angeles et New York, entre autres auprès de Deborah Hay. Et pourtant, il n’est pas sans avoir vécu en Israël, avec sa famille. Mais en 2022, il a décroché une bourse « Pina Bausch », en Allemagne. Depuis, il a créé sa compagnie Sumac et deux spectacles, avec le soutien du Théâtre de la Ville et du CCN Ballet national de Marseille dirigé par (La) Horde. D’abord A big big room full of everybody’s hope. Et maintenant, dans le cadre de Montpellier Danse, Good Luck.

Dans la première, il s’agissait d’interroger l’histoire – voire les histoires – d’une famille en quête de stratégies pour vivre avec espérance et humour, malgré leur appartenance à un peuple ayant subi le pire, à savoir la Shoah. Et cette famille, c’est la sienne, une famille qui participe à son spectacle en réunissant quatre générations sur le plateau. Où nait une interrogation sur l’espérance, partant des réflexions de sa grand-mère, née en Belgique pendant cette sombre période. Mais Amit y traverse aussi le ballet Agon de Balanchine, « mâché et recraché » par ses soins et son corps, pour interroger « comment le trouble de l’impérialisme anime nos corps dansants ». Car la danse n’est pas exempte de violence, notamment dans les cours de ballet avec leur technique et esprit empreints d’un héritage totalitaire qui commence tout juste à changer.
Hymnes
On ne sait si à ce moment il avait déjà en tête les prémices de Good Luck, ce n’est pas impossible, vu que ce solo qu’il vient de créer à Montpellier Danse interroge l’instrumentalisation de la danse par la classe politique pour fomenter les nationalismes. Noy se couche donc au sol, sous une couverture de survie, pour chanter « un » hymne national. Si l’article indéfini indique que ces hymnes sont ici visés dans leur ensemble, la mélodie est tout de même celle de l’Hativkah, l’étendard musical de l’état d’Israël. Mais, on s’en doute, Noy n’y va pas en tant que nationaliste. Il réécrit le texte de l’hymne national israélien, pour refléter le point de vue des victimes, celles de tous les nationalismes toxiques. Mais en l’occurrence, certains détails de la réécriture de Noy laissent entendre des notes palestiniennes.
Des danses folkloriques qu’il a pu apprendre dans sa diaspora océanienne, il veut bien nous entretenir et nous divertir. Mais il se présente seul sur le plateau et ne peut que les citer, vu que ces danses sont pensées pour galvaniser la communauté. C’est leur ADN, leur raison d’être. Pourtant, Noy ne va pas transformer Good Luck en kibboutz ni danser seul la Hora, Good Luck n’étant pas une représentation de l’acte de danser ou autre divertissement. Plutôt une interrogation de l’humanité à partir de la danse israélienne, sachant que le rôle de la violence dans la construction nationale est une question universelle. Et pourtant, l’identité israélienne sous-tend, comme celle d’aucun autre pays, cette pièce qui fend et crève les concepts et symboles du nationalisme.
Galerie photos © Laurent Philippe
Tremblements
Les gestes de Noy, dansant, se codifient en symboles abstraits et formels, renvoyant à d’autres, potentiellement fictifs. La danse pure, ici, n’existe pas, même pas dans ses pas et gestes liés à la tradition. Pour le reste, tout geste est de pure symbolique. Tantôt la tête de Noy disparaît entre les épaules, tantôt le tribun triomphant se met à trembler. La masculinité exacerbée et forcément nationaliste se drape de couches pour bébés (un clin d’œil à la bizarrerie de certains supporters de Donald Trump qui font l’éloge des hommes en couches pour adultes ?) et de gants bleus.

Le lait paternel coule, une chanson d’amour du répertoire israélien se transforme en une rencontre sur Tinder, traversée par des bribes de traumatismes de la Shoah. Comme dans A big, big room…, Noy se demande dans Good Luck comment la psychologie des individus, des familles et des communautés se construit à travers les symboles nationaux. Si cette complexité ne fait pas de Good Luck une pièce facile à déguster, tout le monde sera d’accord pour dire que les histoires de Noy ne manquent pas de sel.
Thomas Hahn
Vu le 3 Juillet 2025 au Festival Montpellier Danse, Hangar Théâtre
Distribution
Chorégraphie, interprétation, texte, costume, conception visuelle: Amit Noy
Création sonore: Samir Kennedy
Création lumière: Zeynep Kepekli
Conseiller dramaturgique: Karthika Naïr