Marinette Dozevile et Mélanie Perrier créent toutes deux une nouvelle pièce. La première en jouant des stéréotypes de genre, sous le signe de Marilyn. La seconde en cherchant la danse tout ailleurs que dans l'affichage spectaculaire.
Stéphanie Aubin, chorégraphe, était l'une des très rares personnalités directement issues du monde de la danse, à diriger une Scène nationale dans l'Hexagone : celle du Manège, à Reims. L'annonce de son départ l'an dernier, a donc soulevé des craintes. Des craintes en grande partie estompées, avec la désignation de son successeur en la personne de Bruno Lobbé. Celui-ci n'est certes pas un artiste. Mais l'attraction pour la danse aura primé tout au long de sa carrière, notamment au côté de Régine Chopinot au CCN de La Rochelle.
De même, le nouveau directeur s'emploie à reconduire et même amplifier, le parti de la Scène nationale du Manège, qui est d'engager très fortement ses moyens aux côtés des artistes au travail : pas moins de quinze productions sont accompagnées cette saison, pour des montants allant de 10000 à 25000 euros. 20 semaines de résidences de création sont accueillies sur place. Et cela va se développer encore, à la faveur de l'ouverture prochaine d'un nouveau studio de danse, à trois stations de tram du bâtiment historique du Manège de Reims.
Born to be a live est un moment de visibilité pour cette action. A une période de l'année où les programmateurs n'ont pas encore bouclé leurs saisons 2017-18, ce temps fort les attire en présentant pas moins de quatre pièces (dont trois en création mondiale), sur deux week-ends successifs. L'impact est également recherché côté public. Le Manège dispose dorénavant d'un espace convivial, bar et restaurant, à l'aise sous une verrière, dans la cour entre les corps de bâtiment de l'ancien équipement hippique. De quoi encourager une tonalité festivalière, bien rehaussée par le pétillement des bulles du cru.
Les chorégraphes Mélanie Perrier et Marinette Dozeville viennent d'inaugurer ce nouveau temps fort, chacune en montrant une nouvelle création. C'est peu de dire que leurs options artistiques sont éloignées. Les choix de Bruno Lobbé se veulent sans oeillères, qui se portent par ailleurs vers la paire de Jonathan Pranlas et Christophe Béranger, vers Malika Djardi (ceux-ci pour le second rendez-vous du temps fort), puis Mié Coquempot, plus tard dans la saison. Sans parler des artistes du cirque.
On n'a jamais fini d'explorer les potentiels des fondamentaux de la danse. Ils ne s'épuisent pas, tout autant qu'on les travaille, justement, en tant que fondamentaux. La démarche de Mélanie Perrier en atteste dans sa nouvelle pièce, Care. Il n'est pas anodin de relever que cette chorégraphe n'a pas effectué un parcours tradititonnel de formation en danse. Elle provient des arts plastiques, et de là s'est intéressée à la performance, notamment sur le versant des questions de genre.
Pour autant, ce parcours débouche – pour l'heure – sur la production de pièces chorégraphiques. Lesquelles investissent, y compris, une dimension très sensible, voire sensuelle, du geste dansé. A ses processus de création, elle associe le regard de Nathalie Schulmann, analyste du mouvement dansé. Mélanie Perrier occupe ainsi une place singulière dans un paysage de la danse qu'elle aborde d'un point de vue transversal et décentré.
Le porté en danse est le "fondamental" qu'aborde la pièce Care. Le porté dans ses intentions, dans ses résonnances. Mais non dans sa pleine figure. Encore moins dans un éclat de forme. Mélanie Perrier a elle-même créé les lumières de cette pièce, qui génèrent un bain perceptif pour le regard, et l'au-delà du regard. Au début, cette lumière est très faible, en même temps que granuleuse. Dans cette texture on discerne à peine des corps, déposés au sol, sans doute réunis en deux paires, chacune de deux individus, allongés l'un sur l'autre, dans un don profond, tranquille, de tout le poids.
Cette disposition campe aux antipodes du porté imaginé, tout de prouesse dynamique, d'envol et d'élévation en force. Faut-il s'attendre à ce que la dramaturgie de la pièce déroule progressivement la montée en puissance de cette figure, depuis la position allongée initiale ? Il n'en sera rien. Pour l'essentiel, les danseur.se.s de Care resteront en position érigée pieds au sol, en deux paires dont les individus constituant se font face, ou se côtoient, se rejoignent juste par inclinaisons et oscillations. Rares seront les moments où l'un.e, emporté.e par l'autre, sera soulevé.e quelque peu au-dessus du sol, comme on l'attendrait d'un porté dans sa réalisation.
Care explore une intention du porté, mise au travail. Car les combinaisons sont nombreuses, qui cultivent le porté dans le mouvement de son devenir, déclinant mille nuances de la réception, du soutien, support offert, retenue opposée à la chute, suspension de l'abandon, ellipse d'un déploiement. D'exceptionnelles qualités de dialogue, d'écoute, de réponses, se déploient de partenaire à partenaire, parfois proches de la caresse. L'attention, la préoccupation pour l'autre, la traduction en geste du Care qui donne son titre à la pièce, se résolvent dans la déteinte d'un corps dans l'autre.
Cela œuvre à rebrousse-poil de tout transport dans la virtuosité enflammée. Une autre attente est délibérément déçue, détournée, par la cassure des assignations de genre attribuées au porté conventionnel : l'une des deux paires est constituée de deux hommes, l'autre de deux femmes. Bien que magnifiquement exposé dans une boîte qui rehausse la frontalité scénique, Care ne s'aventure que prudemment sur le terrain de la forme spectaculaire. On y perçoit que les puissances de la danse – le potentiel relationnel qu'elle investit, l'intelligence sensible des rapports qu'elle travaille – se situent aussi bien tout ailleurs, quant à leur sens profond, qu'au stade de la monstration sur un plateau. Dans la vie. Dans le monde. Eprouvés.
Voilà peut-être la vraie question fondamentale, que suggèrerait Care, comme un appel ailleurs qu'au plateau. Si bien que par moments, Care semble concurrencé par des effets spectaculaires qui lui échappent, par-delà ses intentions critiques.
Ainsi, quand les violoncelles envahissent la sourde et grondante composition musicale de Méryll Ampe, cela induit une dramatisation romantique qui contamine les relations exposées au plateau, en les contredisant. Ailleurs, pendant que Care n'entend rien développer d'ordre psychologique, il se trouve que le magnétisme qui émane spontanément de la présence de Massimo Fusco, entre en tension avec le repli de son partenaire Ludovic Lezin. Alors cette paire s'anime par-delà son pur travail de corps sensible. Et cela émousse l'impact de la paire féminine – Marie Barbottin et Doria Bélanger – qui reste plus neutre.
C'est dire si Care explore des chemins escarpés. Devant ses portés laissés dans l'amorce, on s'est pris à songer au porté pleinement assumé, sur une durée insensée, du fameux "duo d'Eden". Au milieu des années 80, ce pari fou de Maguy Marin, illustrait un optimisme trangresseur des limites, que clamait la danse contemporaine. Alors conquérante. Mélanie Perrier invite à considérer aujourd'hui de tout autres introspections, sondant de manière circonspecte, ce que la danse peut changer vraiment, au ras de la relation. Il faut l'apprécier. Au sens premier.
Les mêmes soirs, Marinette Dozeville s'engageait tout ailleurs, sur le terrain de l'abondance des signes. Sa pièce Dark Marilyn(s) incarne quatre déclinaisons, comme autant d'interprètes, de la figure iconique de Marilyn Monroe. L'angle critique est donc assez convenu, traitant de la maltraitance, jusqu'à sa mort, d'une femme réduite à ses stéréotypes à l'aire de la diffusion industrielle des performances de genre. Mais la dramaturgie de Dark Marilyn(s) s'en échappe avec bonheur, par l'effet même de la singularité effective de chacune des quatre interprètes, en-deça de sa capture par l'image.
Galerie photo © Alain Julien
Quelque chose d'équivoque, d'eraillé, fait s'effondrer l'icone, parfois dans des états de sidération, propre à perturber – et c'est fort heureux – les a priori installés, sans cela, dans les esprits des spectateurs juvéniles, scolaires, rassemblés en grand nombre dans la salle. Il est puissant que des corps laissent pareils regards interloqués, en se révélant tout en tourments, en failles, en instabilité. On n'est pas près d'oublier la façon dont l'une des quatre Marylin grimme grossièrement ses tétons dénudés sous des couches de rouge à lèvre, puis n'arrête pas de triturer ses seins, au bord d'une démence.
Cette pièce trouve cependant ses limites dans sa composition en tableaux successifs, qui l'empêchent de s'exhausser pleinement dans une dramaturgie globale de l'illusion et de l'effondrement. La réitération de ce thème tout au long de la pièce, comme par saynètes, tend parfois à la laisser divagante.
Gérard Mayen
Vu le vendredi 4 novembre 2016 (lendemain de création). -
Prochain rendez-vous Born to be a a live au Manège de Reims : les 15 et 16 novembre.
Deux pièces chaque soir : Horion de Malika Djardi, et Donne-moi quelque chose qui ne meurt pas, de la Cie Sine qua non art (création). -
Prochaines représentations de Care : 11 mars 2017 (Théâtre de Brétigny), 27 et 28 mars 2017 (CCN de Caen dans le cadre du Festival Spring)