« Yës » et « °Up » de Fouad Boussouf à Magny-les-Hameaux.
La Maison de l’environnement de Magny-les-Hameaux, et le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines ont présenté deux œuvres de Fouad Boussouf, Yës et °Up, cette dernière étant offerte en primeur au public magnycois.
Soit deux duos ou, comme il est coutume de dire, deux « petites formes » conçues suivant les mêmes principes. Yës et °Up résultent en effet d’un travail chorégraphe avec des interprètes de talent, chacun dans son domaine. Yës, donné en première partie, est sans doute plus facile d’accès. Nos deux héros, incarnés par Yanice Djae et Sébastien Vague, sont des danseurs aguerris au hip-hop, au battle, au beatbox et autres percussions corporelles. Deux interprètes qui, en outre, ne manquent pas d’humour. Sébastien Vague est un acrobate hors pair, capable de tenir un équilibre sur les mains, voire sur l’une, un assez long moment.
En sus, tous deux sont doués dans l’art du siffleur – et celui du persifleur. Ils démontrent que siffler peut être jouer. Pas question ici d’utiliser le moyen de communication qu’est la technique du silbo, pratiquée par les Guanches aux Canaries et, avant eux, depuis la nuit des temps, par les bergers berbères pour se transmettre à distance des messages codés. Cette langue d’oiseaux a fait l’objet d’un très bon film policier sélectionné que nous vîmes au festival de Cannes, La Gomera / Les Siffleurs (2019) du cinéaste roumain Corneliu (sic !) Porumboiu. Yanice Djae et Sébastien Vague mettent cette technique au service de l’art musical.
Le duo s’inscrit dans une lignée qui va du jazzman belge Toots Thielmanns au compositeur de musique pour westerns spaghetti Ennio Morricone, en passant notamment par Micheline Dax – actrice dans la troupe des Branquignols, auteure de l’album Les Plus Grands Airs Sifflés (1995) avec, entre autres, le thème « Stormy Weather » qui inspirera la pub de Goude pour Coco de Chanel avec Vanessa Paradis. La formidable partition dansée de «Yës » est enrichie de plusieurs airs connus : le thème d’Henry Mancini pour le film de Blake Edwards The Pink Panther / La Pathère rose (1963), celui de la Reine de la nuit de la Flûte enchantée de Mozart et, bien sûr, celui du film de Sergio Leone, Il buono, il brutto, il cattivo / Le Bon, la brute et le truand (1966), signé Morricone, sifflé par Alessandro Alessandroni.
Changement de registre avec la nouvelle création (pléonasme) de Fouad Boussouf, °Up. Le signe de degré dans le titre symbolise sans doute le ballon, agrès que maîtrise à la perfection l’un des duettistes convoqués, Paul Molina, expert en football-freestyle. Cette coquetterie est suivie de l’adverbe up, qui rime avec hip-hop, une abréviation d’upper, autrement dit des figures de cette discipline exécutées avec le haut du corps et, plus précisément, avec la tête. Le partenaire du footeux est le violoniste virtuose Gabriel Majou, qui a travaillé notamment avec le grand ménétrier de jazz qu’a été Didier Lockwood.
Gabriel Majou joue avec un instrument customisé par un luthier minimaliste. On pense pour le design à celui de la basse électrique d’un Kasper T. Toeplitz et du violon numérique de Dominique Pifarély. Majou est non seulement apte à tout interpréter mais également à improviser en s’adaptant aux faits et gestes de son camarade de jeu. Molina ne se borne pas à aligner les difficultés techniques propres à une discipline qui, petit à petit, a fait son chemin et est en voie de légitimation artistique, pour ne pas dire d’institutionnalisation. On connaissait la patte d’un Maradona qui a imprimé la cité de Naples où il a joué en deuxième partie de carrière, capable de dribbler tous les défenseurs, de marquer des buts mais aussi de jongler pour s’amuser ou s’échauffer. Un documentaire le montre, très à l’aise balle au pied, jonglant non avec un ballon rond mais avec une simple balle de tennis.
Nous avons apprécié l’an dernier à Vaison-la-Romaine la courte pièce de Gautier Fayolle, Unisphere, interprétée par cinq freestylistes extrêmement doués. Avec °Up, Fouad Boussouf et ses deux artistes sont parvenus à produire un spectacle de près de cinquante minutes qui repose sur la musicalité du violoniste comme sur celle dont fait preuve le joueur de ballon rond. Le premier s’encanaille et s’autorise, en faisant sonner son instrument, à taper dans la balle ; le second tient à un moment en équilibre sur une de ses baskets immaculées le précieux quatre cordes. La salle a acclamé les interprètes et le chorégraphe venus la saluer.
Nicolas Villodre
Vu le 11 avril à la Maison de l’environnement de Magny-les-Hameaux, avec le Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines.
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