"Voice of Desert" de Saburo Teshigawara
Somptueuse création de Saburo Teshigawara dans le cadre de l’Agora de la Danse Voice of Desert déploie le vertige du temps.
Il y a quelque chose de grandiose dans la pièce plutôt minimaliste de Saburo Teshigawara. Créée pour la Cour de l’Agora de Montpellier Danse, il n’y a rien d’autre que la pierre blonde, les corps… et le vent qui s’infiltre comme par magie dans la chorégraphie. Voice of Desert est une élégie du vide, le chorégraphe, qui faillit être plasticien, inscrivant dans l’air les lignes fluides de ses mouvements infinis portés par lui-même et Rihoko Sato, sa muse éternelle. Calligraphie de l’ombre, avec ses arabesques, ses pleins, ses déliés, la gestuelle glisse, aussi fuyante que l’eau qui file entre les doigts comme la vie elle-même. Au fond, contre le mur, une femme (Kei Miyata, co-fondatrice de la compagnie) semble chercher les traces d’un passé disparu, ou être elle-même le spectre d’un souvenir enfoui qui veut refaire surface.
Galerie photo : Laurent Philippe
. Impondérable, tout en volutes, en torsions, en vibrations climatiques, l’écriture est limpide et spirituelle, comme si Rihoko Sato et Saburo Teshigawara dans leurs échanges éthérés ouvraient des portes sur le mystère de l’existence et de la mort tapie dans l’ombre. Se reposant sur le souffle, les bras de Sato semblent s’étirer comme on déplie le temps, son corps épousant les courbes éphémères de l’atmosphère. Sa danse flexible et fragile, fugace et délicate, aux fulgurances imprévisibles, nous entraîne dans les méandres de notre inconscient. Soudain, deux apparitions (Rika Kato, et Izumi Komoda) chevelues et volontaires, secouent de leur rythmique martelée, énergique et têtue, cette intériorité diffuse que distille Voice of Desert, tels des esprits frappeurs, ou des « kamis » japonais venus là pour divertir – au double sens du terme – ce monde suspendu qui s’ébauche devant nous.
Galerie photo : Laurent Philippe
Sur les musiques qu’il revendique et sont plutôt des sortes de cover de Bach, Schubert ou Ravel, ces voix qui viennent du plus profond de nous-mêmes, surgies de la solitude, et du retour sur soi, nous chuchotent de composer avec les éléments plutôt que les contrer, de nous transformer en pluie, flux, vents, marée voire même en orage car la fuite du temps est aussi rapide qu’inexorable, comme nous le rappelle aussi ce château projeté en fond de scène dont le matériau coloré ressemble à des os. Les lumières somptueuses qui soulignent et ourlent la danse de ses reliefs contribue à la beauté de cette pièce à la fois inoubliable et évanescente.
Galerie photo Laurent Philippe
Entièrement calée sur une ligne continue et mouvante que viennent bousculer des événements intempestifs que produit la chorégraphie elle-même, on a l’impression que Teshigawara, 70 ans, récapitule dans cette pièce l’ensemble de sa carrière, lui-même semblant si juvénile dans certains de ses solos que l’on croit revoir dans ses gestes le jeune homme de ses premières pièces.
Galerie photo : Laurent Philippe
Cette œuvre magistrale, élégante et concentrée, ouvrant la voie et les voix d’un monde inconnu dans le silence de la nuit montpelliéraine ne pouvait mieux ouvrir ce 44e festival signé par Jean-Paul Montanari.
Agnès Izrine
Le 22 juin 2024, Agora de la Danse, 44e festival Montpellier Danse
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