Vadori-Gauthier / Lachambre : « Mille et un jours » et « Parce que nos os brillent »
En ouverture de saison à l'Atelier de Paris, un solo et un trio à l’intimité grandiloquente : Mille et un jours, suivi de Parce que nos os brillent. Des drôles de tentatives...
Une minute de danse par jour était un formidable projet pour créer une œuvre chorégraphique par la vidéo, un projet capable de lier l’intime à l’histoire et à l’espace public. Une œuvre qui s’est imposée par l’ampleur acquise grâce à la persévérance de Nadia Vadori-Gauthier qui s’est filmée jour après jour, presque trois ans durant, au gré de sa vie et de ses déplacements, telle une chamane essayant de chasser les mauvais esprits qui se sont abattus sur le pays avec l’attentat islamiste contre Charlie Hebdo.
Il est moins sûr que Vadori-Gauthier a été bien inspirée de transformer ce journal intime chorégraphique en un solo long pour la scène. Non que l’idée soit farfelue en soi, au contraire. Philippe Jamet avait bien réussi à transformer ses fameux Portraits dansés, filmés au domicile de chaque participant, en une œuvre chorégraphique poignante. Mais il pouvait se nourrir d’un corpus très varié et le retravailler dans une distanciation qui l’a sauvé de la tautologie.
Mille et un jours n’arrive à aucun moment à prendre de la hauteur pour créer une métaphore à partir de sa propre matière de départ, à savoir les impromptus du Vadori-Gauthier. Ce solo se prend les pieds dans l’émotion née de l’attentat contre Charlie Hebdo de janvier 2015. Le paradoxe est qu’humainement parlant, il vaut mieux être secoué que rester de marbre alors qu’en même temps, pour travailler « dans les règles de l’art », il faut savoir s’arrêter de trembler.
Dans l’espace public, l’onde de choc de l’attentat a pu se prolonger dans le corps de l’interprète, corps dans lequel se croisaient son ressenti intime et l’énergie d’un lieu, traversé par des personnes traversées par les mêmes ondes. C’est pourquoi cette matière chorégraphique n’est pas autonome, mais un vecteur. Si elle doit s’incarner sur un plateau, elle perd sa sève et sa moelle épinière.
Et voilà que Vadori-Gauthier est obligée de se charger d’émotions comme Don Quichotte s’emplit de courage pour lutter contre les moulins à vent. Par ailleurs, le galop est l’un des modes corporel fortement présent dans Mille et un jours. Mais Cervantes maîtrisait le second degré...
Vadori-Gauthier nous montre à quel point on peut se perdre en se laissant déborder par l’émotion. Elle avait pourtant bien réussi à emprunter une voie indirecte pour aboutir à une création véritablement artistique, à partir de ses désarrois, suite à l’attaque de 2015. Mais en passant à la scène, elle semble avoir épuisé ses outils de distanciation. Le résultat est pathétique, alors que ses vidéos ne le sont pas.
Aurait-elle choisi de proposer à un(e) autre chorégraphe de rebondir sur ses mille et une minutes de danse dans l’espace public, alors, qui sait ? Mille et un jour aurait pu atteindre une autre dimension. Peut-être qu’il lui fallait créer ce solo pour aider à diffuser l’œuvre vidéo qui est son point de départ ? Peut-être aussi que le public, qui l’ovationne et qui avait commencé la soirée par une projection d’Une minute de danse par jour, est lui-même encore sous le choc des attentats et a grand besoin d’apaiser ses douleurs. Il nous faudrait mille et une Nadia Vadori-Gauthier dans l’espace public !
Pourquoi un titre ?
Et puis, en seconde partie, il faudrait ici plus longuement narrer les volutes vocales et les convulsions gestuelles d’Isabelle Duthoit. Elles sont pourtant inénarrables. Cette vocaliste hors norme guide Benoît Lachambre et Nadia Vadori-Gauthier dans Parce que nos os brillent, un trio qui creuse des espaces inconnus à l’intérieur des corps. Au début, Duthoit crée à elle seule une véritable forêt sauvage, emplie de pluie et d’animaux. Il y a là des sons qu’on n’a sans doute encore jamais vu sortir d’un corps humain.
Les moyens vocaux employés génèrent une panoplie d’effets spéciaux. Mais le plus remarquable est que Parce que nos os brillent commence dans une économie des moyens qui crée un suspense intense et annonce une écriture subtile. Le titre (brillant, par ailleurs) de cette rencontre inédite renforce encore cet espoir, d’autant plus que le souvenir du formidable duo de Benoît Lachambre avec Clara Furey (Chutes incandescentes) est indélébile. Hélas, la belle promesse faite en ouverture, où les trois se tiennent immobiles et créent une toile de possibles, est vite rompue.
Isabelle Duthoit, Benoît Lachambre, Nadia Vadori-Gauthier à l'Atelier de Paris
Parce que nos os brillent est une séance d’improvisation et tombe dans tous les travers du genre. Comme dans le solo précédent, la belle matière de départ passe à côté de l’alchimie. Vadori-Gauthier qui ne s’offre pas un instant de recul, se lance dans une suite de mouvements ondulants et pendulaires de plus en plus superflus. Elle pousse ainsi Lachambre et Duthoit vers la même hyperactivité, et la soirée se résume à un catalogue d’effets vocaux et gestuels, certes intéressants mais finalement sans dépasser une démonstration de sortie d’atelier.
C’est encore Duthoit qui sait le mieux préserver une sorte de sobriété, laissant entrevoir la possibilité d’une œuvre. On découvre chez elle comme chez Lachambre, moult façon passionnante de relier des cris et des gestes. Ne manque que la volonté de les inscrire dans une dramaturgie. Ou de se lancer à l’assaut des festivals d’impro-danse à travers le monde. Sans titre.
Thomas Hahn
Spectacles vus le 14 octobre 2017 à l’Atelier de Paris
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