« Twofold » de la Sydney Dance Company
Ce diptyque met en tension deux visions du monde et de la danse, entre vertige de l’éphémère et exaltation des corps.
Avec Twofold, la Sydney Dance Company livre un programme en miroir, où deux œuvres distinctes dialoguent autour d’une même interrogation : que reste-t-il de nos structures — sociales, affectives, sensibles — dans un monde où tout semble glisser entre les doigts ? D’un côté, Impermanence, pièce signée Rafael Bonachela, directeur de la Sydney Dance Company ; de l’autre, Love Lock, de Melanie Lane. Ce programme, porté par l’excellence technique et expressive des dix-sept interprètes de la compagnie, interroge avec une intensité rare la fugacité du monde et la complexité du lien humain.Impermanence a été imaginée en 2019 à la suite de l’incendie de Notre-Dame et des incendies de forêt en Australie. Conçue comme une réflexion sur l’instabilité des formes que l’on croyait immuables, la pièce fut ensuite traversée par la pandémie et ses suspensions. Cette genèse mouvementée a nourri une chorégraphie qui explore les relations humaines à travers un jeu de combinaisons en constant remaniement. Rien n’est jamais stable, mais rien n’est jamais vraiment perdu. La danse y est d’une élégance dépouillée, portée par un mouvement perpétuel qui traverse les corps sans relâche. Solos, duos, groupes se forment et se défont, dessinant une constellation d’histoires silencieuses, de liens naissants, de pertes invisibles. Les costumes d’Aleisa Jelbart, dans des teintes naturelles inspirées du bush australien, et les lumières de Damien Cooper, tantôt tamisées, tantôt flamboyantes, viennent sublimer cette méditation sur l’impermanence des choses.
Galerie photo «Impermanence» © Pedro Greig
La chorégraphie de Bonachela se distingue par une physicalité fluide, aérienne, athlétique, où chaque transition semble surgir d’un élan intérieur. Les corps très musculeux de la Sydney Dance Company se prêtent à une écriture en perpétuel mouvement : allongements, rebonds, suspensions s’enchaînent avec une précision qui ne sacrifie jamais la dimension sensible. La progression est organique, les corps se croisent et se répondent sans heurt, animés par un souffle commun. La danse y surgit comme une métaphore de la précarité du vivant : jamais figée, toujours traversée par l’élan ou la chute. Dès les premières minutes, les déplacements sont lents, évoquant dans leur marche hallucinée et une lumière comme tamisée par la fumée les fameux incendies. Mais une dynamique s’installe, subtile, inexorable. Solos, duos, trios et quintettes se succèdent avec une précision organique, chacun explorant des états de corps entre tension et relâchement, entre retenue et abandon. C’est pourtant la renaissance inespérée après tout qui porte Impermanence « cette dualité entre violence et grâce, effondrement et émegence » selon Bonachela.
La partition de Bryce Dessner, jouée sur scène par le quatuor Zaïde, accompagne cette circulation avec une tension continue, entre lyrisme contenu et élans tragiques. Le tout est soutenu par un dispositif sobre, où lumières et costumes s’accordent à l’évocation d’un monde à la fois vulnérable et en reconstruction.
Galerie photo «Love Lock» © Pedro Greig
Changement total d’univers avec Love Lock. Là où Impermanence observe le repli intérieur, Love Lock s’expose, se confronte, s’affirme. Melanie Lane y déploie une écriture chorégraphique où la répétition, le décalage et l’exagération prennent le pas sur la ligne pure. Sur une musique électro hypnotique signée Clark, la pièce s’ouvre sur une série de figures sombres, gainées de vinyle noir, dans une gestuelle saccadée, presque animale. Le plateau se transforme peu à peu en un espace carnavalesque, où les corps se parent de plumes, de franges, de tissus irisés. Love Lock frappe d’emblée par son exubérance visuelle et sonore. La chorégraphe Melanie Lane imagine un monde à la croisée du folklore réinventé, de la culture pop et du rituel contemporain dans une chorégraphie géométrique – qui n’est pas sans rappeler Static Shot de Maud Le Pladec, costumes compris ! – scandée par des vocalises percussives et une bande-son électro saturée. Le vocabulaire est incisif, fragmenté, souvent syncopé : la danse devient ici un langage à la fois intime et spectaculaire.
Avec Twofold, le Sydney Dance Company démontre sa versatilté et son excellence technique. Entre introspection et explosion, silence et saturation, ces deux œuvres offrent un portrait composite de nos tensions actuelles.
Agnès Izrine
Vu le 11 juin 2025 à La Grande Halle de La Villette, avec Chaillot Théâtre national de la Danse. Jusqu’au 15 juin 2025.
Première diffusion d’un spectacle filmé à La Villette dans le cadre des Micro-Folies, ce spectacle est proposé gratuitement, en exclusivité dans l'ensemble du réseau : une diffusion en direct le 11 juin dans certaines structures, puis une rediffusion du 27 au 29 juin dans l’ensemble du réseau. Cette initiative s’inscrit dans la stratégie affirmée de Blanca Li, présidente de La Villette, de développer fortement la présence du spectacle vivant au sein de la programmation du dispositif. Elle ouvre ainsi la voie à de nouvelles formes de diffusion artistique, accessibles sur l’ensemble du territoire.
Distribution
Impermanence
Chorégraphie Rafael Bonachela Musique Quatuor Zaïde ; Bryce Dessner © Chester Music Ltd Avec l’aimable autorisation de Première Music Group, une division de Wise Music Group Lumière Damien Cooper Costume Aleisa Jelbart Scénographie David Fleischer
Love Lock
Chorégraphie Melanie Lane Musique Clark Lumière Damien Cooper Costume Akira Isogowa
Danseurs et danseuses : Lucy Angel, Mathilda Ballantyne, Timothy Blankenship, Mali Comlekci, Naiara De Matos, Riley Fitgerald, Liam Green, Luke Hayward, Sonrissa Hubbard, Morgan Hurrell, Ngaere Jenkins, Sophie Jones, Ryan Pearson, Eka Perunicic, Amelia Russell, Piran Scott, Sam Winkler.
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