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Triple programme du Ballet du Grand Théâtre de Genève au Châtelet

En présentant trois œuvres très différentes, signées Sidi Larbi Cherkaoui et Damien Jalet, Aszure Barton, et Sharon Eyal, qui toutes demandent des interprètes aguerris, le Ballet du Grand Théâtre de Genève démontrait, avec ce triple programme, l’étendue de son talent, permettant de composer un répertoire riche de techniques fort diverses.

Tout commence par ces deux mains qui en tournant, semblent ouvrir les portes d’un monde parallèle qui nous est inconnu. Alors le souffle produit apporte dans son sillage ces êtres orageux, vêtus de capes noires alors commence la ronde infernale, aux portes d’un au-delà, ou d’un rêve peut-être maléfique.
Sidi Larbi Cherkaoui, actuel directeur du Ballet du Grand Théâtre de Genève ,et Damien Jalet associés à Marina Abramović, dans cette expérience inouïe du Boléro, vécu ici comme un rite Soufi, où la puissance et la poésie des tournoiements sans fin, nous projettent dans une galaxie gazeuse où tournent des corps humains plutôt que célestes.
Dans cette danse et cette interprétation du Boléro de Ravel, plus orientalisante qu’hispanisante, les corps, portés par une scénographie somptueuse de Marina Abramović qui relie les ténèbres au ciel et la terre à la vie, les danseurs tournent et s’enroulent dans d’infinies spirales, virent et tourbillonnent, précipités de l’autre côté du miroir dans un élément inconnu, ni air, ni eau, où s’opère une sorte de superconductivité des corps, à chaque tour plus fluides, plus rapides, plus légers. La vidéo floute et distord le mouvement qui se réfléchit dans le miroir qui surplombe l’ensemble et trouble notre regard, et nous finissons par nous demander quel est ce charme étrange qui nous fait préférer son reflet à la réalité, alors que la chorégraphie commence à nous faire distinguer au sein de cette nébuleuse, des trios, des duos, des portés, et qui finit, comme elle a commencé, en un tour de main qui referme cette danse macabre et cet univers dans lequel nous avions pu pénétrer…

Galerie photos © Filip Van Roe & Magali Dougados

Changement de ton avec Busk d’Aszure Barton, une chorégraphe canadienne ayant vécu aux États-Unis, notamment à New York ou en Californie. C’est d’ailleurs de cette expérience qu’est né Busk, une œuvre qui prend acte de violence de la disparité économique des différentes couches sociales en Amérique, qui, curieusement, se reflète dans le nombre de strates de vêtements portés, particulièrement chez les sans-abri.

C'est pourquoi Busk débute par l'arrivée d'un personnage entièrement habillé de gris, masqué par sa capuche, qui rappelle autant un personnage d’une Cour des miracles médiévale, qu’un SDF d’aujourd’hui. Sa gestuelle est littéralement hallucinante, ses bras d’une fluidité impressionnante, ses sauts silencieux, et son incroyable façon de se mouvoir tout en souplesse comme sans os. Bientôt le groupe entier le rejoint dans cette même corporéité, très éclectique, qui mélange à des figures classiques, notamment des sauts, le waving, le gliding ou le boogalooing issus du hip-hop, voire même un soupçon de tap dance. Le résultat est bluffant, mixant l’énergie des unes à l’élasticité de l’autre, la flexibilité à une dynamique virtuose. Une façon pour la chorégraphe d’affirmer son propos, accumulant les différents langages physiques, comme autant de couches vestimentaires. On regrettera néanmoins le côté « succession de numéros » imposé par une musique hétéroclite qui finit par émousser un peu les effets chorégraphiques.

Enfin, Sharon Eyal dans Strong met à nu la mécanique des corps dans une pièce envoûtante pour dix-sept danseurs et danseuses réunis, au départ, dans un groupe compact, qui se meut comme autant de machines dans une usine, avec ses à-coups et ses arrêts, ses extensions et ses emballements, la musique d’Ori Lichtik pulsant implacablement comme toujours. Parfois, dans ces ensembles parfaits, surgit un désir d’échapper à l’ensemble, des bras qui tendent vers l’extérieur, des jambes qui s’esquivent… tandis que la formation se métamorphose, se déplace, se dissout, en phalanges, en carrés, en banc de poissons qui changent brusquement de direction. Peu à peu, le groupe se défait pour retrouver les lignes et les chaînes qui caractérisent la danse obsessionnelle d’Eyal qui répète toujours un même mouvement perché sur une demi-pointe très haute. Notamment avec des arabesques répétées sans fin, et reprenant les thèmes qui sont chers à la chorégraphe : le groupe contre l’individu, les tics gestuels, les soubresauts et les lignes géométriques qui enserrent la chorégraphie de leurs invisibles barricades. C’est prenant. Mais parfois un peu lassant.

Galerie photo ©  Gregory Batardon

Mais le plus extraordinaire de ce programme en trois temps, est sans aucun doute les formidables danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève qui parviennent à se couler dans le style complexe de ces trois pièces qui toutes demandent une virtuosité et une force exceptionnelles, avec une facilité étonnante et une maestria surprenante.

Agnès Izrine
Le 11 avril 2025 au Théâtre du Châtelet.

Boléro :  Chorégraphie : Damien Jalet et Sidi Larbi Cherkaoui. Scénographie : Marina Abramović. Musique : Maurice Ravel. Costumes : Riccardo Tisci. Lumières : Urs Schönebaum.
Busk : Chorégraphie : Aszure Barton. Régisseur chorégraphique et collaborateur adjoint : Jonathan Alsberry. Scénographie et Lumières : Nicole Pearce. Musique : August Soderman, Camille Saint-Saëns, Daniel Belanger, Lev « Ljova » Zhurbin, Moondog, Slava Grigoryan. Costumes : Michelle Jank.

Strong : Chorégraphie : Sharon Eyal. Co-chorégraphie : Gai Behar. Assistant chorégraphe : Clyde Emmanuel Archer. Musique : Ori Lichtik. Costumes : Rebecca Hytting. Lumières : Alon Cohen.
Avec : Yumi Aizawa, Céline Allain, Jared Brown, Adelson Carlos, Anna Cenzuales, Zoé Charpentier, Quintin Cianci, Oscar Comesaña Salgueiro, Ricardo Gomes Macedo, Zoe Hollinshead, Mason Kelly, Stefanie Noll, Juan Perez Cardona, Luca Scaduto, Endre Schumicky, Sara Shigenari, Kim Van Der Put, Geoffrey Van Dyck, Madeline Wong, Mason Kelly, Julio León Torres, Emilie Meeus, Kim Van Der Put, Nahuel Vega

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