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Thierry Malandain : Les affres de la création. Entretien

Le chorégraphe prépare une création, qui sera présentée du 16 au 18 mai au Théâtre Victoria Eugenia de Donostia San Sebastian, une occasion de faire le point avec le Directeur du CCN Malandain Ballet Biarritz, qui vient également de publier un livre sur L’Après-midi d’un Faune…

DCH : Pouvez-vous nous parler de votre future création qui va avoir lieu au Théâtre de Donostia San Sebastian couplé avec Nocturnes, un ballet de 2014 ?
Thierry Malandain : La soirée prévue à Donostia San Sebastian, se clôt avec la création sur des mélodies de Saint-Saens qui s’intitule Minuit et demi ou le Cœur mystérieux, cette dernière locution étant tirée d’un poème éponyme de Victor Hugo qui est présent dans ce cycle de mélodies.
J’aime beaucoup Saint-Saens et je n’ai jamais eu l’occasion de chorégraphier sur ses partitions. J’avais découvert, il y a longtemps, un disque de ses mélodies que personne (ou presque) ne connaît. J’avais eu un coup de cœur pour cette musique qui rassemble des textes magnifiques sur des airs qui ne le sont pas moins. Il se trouve que dans ce cycle de mélodies, figure La Danse macabre mais dans une version chantée. Le ballet ouvrira donc avec la version pour orchestre de La Danse macabre, puis enchaînera sur les mélodies. Je ne sais pas encore combien d’entre elles figureront dans Minuit et demi ou le Cœur mystérieux, cela dépendra du temps imparti à la création dans la soirée. Les costumes seront réversibles, avec des manteaux noirs doublés de bleu ciel.

DCH : Pourquoi vous référer à La Danse macabre ?
Thierry Malandain : Ma mère est décédée fin septembre 2024. Cela a été si douloureux, que lorsque j’ai commencé à chorégraphier La Danse macabre, rien ne venait. Ça ne m’était jamais arrivé. Le corps était bloqué. J’étais dans un état de sidération totale. Depuis, après une thérapie, ça va mieux, j’ai pu finir. Je suis l’aîné de six enfants, né dans une famille formidable. Mais c’était lourd. La danse était mon échappatoire. J’ai quitté la maison à 18 ans pour le travail, ça m’a permis d’être ailleurs. Émotionnellement, j’étais obligé de m’éloigner. Le thème de la création tourne, évidemment autour de la mort, même si ce n’était pas prévu au départ. En réalité, je pensais que le thème ce ballet marquerait mes adieux au CCN. D’une certaine façon, c’est un double deuil pour moi.

DCH : Mais vous ne quittez le CCN qu’en 2026. Pourquoi s’en préoccuper si tôt, avec un appel à candidature lancé dès 2024 ?
Thierry Malandain : En fait, ça date d’il y a sept ans, et je n’en peux plus ! Il y a sept ans, on m’a dit : « En septembre 24 tu auras 65 ans, ce sera ton dernier mandat ». Or, c’est un métier tellement difficile, que ça m’a un peu assommé, et soulagé en même temps. C’est une telle lutte de tous les instants. Chaque création déclenche une angoisse, et je ne supporte plus cette pression. Dans le studio, tout va bien. Mais, alors qu’un peintre ou un écrivain crée dans l’instant, le fait de devoir tout planifier, suscite une telle déconnexion entre le désir et sa réalisation qu’au moment T. on aurait envie de chorégraphier autre chose. L’autre souci étant que le fruit de mon travail doit faire vivre toute une compagnie, beaucoup de personnes, et l’on ne sait jamais si ça va plaire, être vendu… C’est devenu assez insupportable. Donc quand le ministère m’a dit, il y a sept ans, que je devais partir, j’ai trouvé d’une part que c’était assez injuste, et d’autre part, j’ai ressenti une sorte de libération. Ensuite est arrivé le COVID ! La maire ne souhaitait pas mon départ et s’est battue pour m’obtenir deux ans supplémentaires. Mais le ministère et le Conseil d’administration ont décidé de lancer l’appel d’offre. Le nouveau ou nouvelle chorégraphe sera nommé vraisemblablement en juin, juillet et je suis censé faire 18 mois de « tuilage ». C’est un peu long. Et surtout ce n’est pas corrélé à nos métiers, avec l’émotionnel qu’ils supposent. Car mes états d’âme sont une chose, mais il y a 22 danseurs qui sont très inquiets et bien sûr, ça influe aussi sur leur travail.
 

DCH : Pour revenir à Minuit et demi ou le Cœur mystérieux, comment entrez-vous dans le processus de création chorégraphique ?
Thierry Malandain : Le plus souvent, j'écoute la musique à la maison le matin, pour préparer les répétitions. Les images de ma future chorégraphie, les enchaînements de danse défilent dans ma tête, sans que je puisse réellement les ancrer. D’autant que dans le studio, mon corps est incapable de reproduire ces images, qui sont bien plus belles que ce qui est réalisable physiquement. Comme dans les rêves, il y a une espèce d'accumulation de situations, de figures qui se superposent en même temps et sont impossibles à transposer dans la réalité. Cela engendre énormément de frustration, car nous avons le corps trop lourd pour reproduire les choses de l’esprit. Et c’est encore plus vrai dans mon cas, car l’âge nous rattrape. Aujourd’hui, ma manière de transmettre le mouvement est plus hybride que le simple fait de suivre la musique avec mon corps. Mais j’en suis plus embarrassé, apparemment que les interprètes du ballet.

DCH : Vous venez également de publier un excellent texte sur L’Après-midi d’un Faune dans la collection Chefs-d’œuvre de la danse des Nouvelles éditions Scala, dirigée par Philippe Verrièle. Qu’est-ce qui vous a motivé à l’écrire ? Envisagez-vous de continuer sur cette lancée ?
Thierry Malandain : J’étais à Palerme en train de remonter Cendrillon. Philippe Verrièle m’appelle et je crois comprendre qu’il me demande un article sur L’Après-midi d’un faune que j’ai chorégraphié (solo, créé en 1995 à Saint-Etienne NDLR). J’en étais très flatté. En rentrant de Palerme, je m’aperçois que je n’ai plus rien sur ce ballet si ce n’est les cinq lignes de l’argument. Je décline donc l’offre pensant ne pas être en capacité de l’écrire. Mais Philippe insiste. Comme j’avais dit oui, et que je n’aime pas me dédire, j’accepte. Arrive enfin le contrat de l’éditeur. Et je lis « entre 40 et 56 », sans lire la ligne d’après. Je me lance dans une espèce de récit sur la genèse de mon « Faune » et ,comme je n’avais pas fini dans le délai imparti, j’envoie donc les quarante premières pages. Au bout de quinze jours, il me rappelle. J’avais écrit plus du double que ce qui était demandé, ne sachant pas qu’il s’agissait de « feuillets » et non de pages, et que ceux-ci sont calibrés à 1500 signes.

Mais j’étais embarrassé, car je m’étais inspiré de la deuxième édition des Cahiers de Nijinsky pour mon "Faune".J’avais dansé au Ballet du Rhin, L’Après-midi d’un Faune de Serge Lifar, au Ballet de Nancy on avait celui de Nijinsky avec Rudolf Noureev, et ça me suffisait comme source d’inspiration pour chorégraphier. Mais là, c’était tout autre chose. J’avais toutes sortes de livres sur Les Ballets russes à mes pieds et pensais que nombre de personnes étaient plus instruites que moi sur le sujet. Finalement, je suis retourné aux sources, comme je le fais pour rédiger un article dans Numéro, notre bulletin d’information qui développe toujours un article d’histoire de la danse. Bon, j’ai réussi à le finir. Je ne le referai pas. J’adore écrire, mais en amateur, par amour du métier et je ne prétends pas à plus. Et comme je dors très peu, écrire me détend, me fait trouver un état de sérénité.

Propos recueillis par Agnès Izrine
Création de Minuit et demi ou le Cœur mystérieux , dans la Soirée de Ballets, Théâtre Victoria / Eugenia - San Sebastián (Pays basque) du 16 au 18 mai 2025  ici

L’Après-midi d’un Faune, Vaslav Nijinsky de Thierry Malandain, Collection Chefs-d’œuvre de la danse, dirigée par Philippe Verrièle, Nouvelles éditions Scala, en coédition avec micadanses, Paris. 12 €

 

 

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