« Tendre Colère » de Christian et François Ben Aïm
Cette superbe création pour dix interprètes virtuoses faisait l’ouverture de Suresnes Cités Danse, les frères Ben Aïm étant artistes associés du Théâtre de Suresnes – Jean Vilar.
Après un prologue assez amusant, où un homme ganté d’une main de fer tient ferme son balai tout en ayant l’air surpris d’être là (une métaphore, peut-être, du corps de ballet ?), se lève un magnifique chant gaëlique (?) tandis que sont alignés les dix danseurs et danseuses en fond de scène. Alors s’élancent les individualités dans une gestuelle souple, s’enroulant et se déroulant dans des tours et des circonvolutions, s’éparpillant dans de fausses désorganisations des corps, et des instants suspendus. Les costumes signés Mossi Traoré tout comme la gestuelle qui fait voler les jupes dans des rondes à la Bruehgel, ou en chaînes d’inspiration folklorique, ont quelque chose de médiéval, qui nous plonge dans un sentiment du collectif ancré dans la vie même.
Les unissons désaccordés qui permettent au regard de zoomer soudain sur un individu, une figure, donnent à l’ensemble un aspect presque cinématographique avec un effet de profondeur de champ extrêmement réussi. L’écriture chorégraphique est extraordinairement travaillée dans la masse, avec ses déploiements et ses spirales, ses chutes finies quatrième, ses torsades sans fin, ses courbures magistrales, et ses voltes renversées. Le rythme est prenant, admirablement soutenu par la composition musicale de Patrick De Oliveira, tout en pulsations et en sonorités diverses et variées qui mêle voix profondes, et ondes électro, cordes et nappes subtiles. Tiraillés sans cesse entre poids des corps et élévation, énergie terrienne ou aérienne, les corps semblent toujours au bord du déséquilibre, de l’instabilité ou plutôt de l’intranquillité. C’est une fine partition d’états et d’humeur qui décuple le mouvement en autant d’expressions que d’interprètes.
Soudain, un nuage de fumée explose au centre du plateau dans un effet très réussi. Quand il se dissipe peu à peu, naît un nouveau langage, grotesque, burlesque et extravagant, rappelant le Combat de Carnaval et Carême, jouant d’oppositions gestuelles, voire de contradictions radicales qui demandent aux danseuses et danseurs une virtuosité sans faille tandis que leurs cris et leur folie laissent croire à l’abandon le plus total.
Galerie photo © Laurent Philippe
Est-ce de la colère ? Peut-être. Ce qui est certain, c’est que la tendresse est bien au rendez-vous de duos d’une douceur fiévreuse, d’une affection ombrageuse qui se matérialisent en portés et étreintes fougueuses. Cette folie douce est-elle une forme de résistance, une invitation à réinventer nos modes de vivre ensemble ? En tout cas, l’ensemble forme une superbe pièce dansée, qui ouvre nos imaginaires.
En première partie, deux très jolis duos de chorégraphes émergents amorçaient la soirée.
Le premier, intitulé Bernard, faisait référence au mollusque sans coquille qui se cherche toujours un habitat convenable, le bernard-l’hermite. De façon amusante, Allison Faye (la chorégraphe) et Juliette Bolzer, explorent, à l’aide d’un manteau carapace bien trouvé, avec ses nombreuses poches, tout ce que ce petit animal suppose : la vulnérabilité, le fait de ses glisser « dans la peau d’un autre » ou le fait « d’être (aussi !) un autre ».
Galerie photo © Laurent Philippe
Mais peu à peu, surgissent d’autres problématiques, comme trouver sa place, se distinguer, voire occuper l’espace – et donc la question des limites qu’il ne faut pas empiéter sous peine de se faire expulser ! C’est assez drôle et bien pensé. Et peut tout aussi bien s’adresser à un jeune public comme à des spectateurs avertis. C’est aussi le cas de Juste un moment de Christophe West et Gaël Grzeskowiak.
Très expressif, pour ne pas dire théâtral, car c’est un duo très dansé, la pièce raconte une rencontre entre deux hommes dont nous ignorons les tenants et les aboutissants. Ce sont de brefs instants capturés en plein vol, pleins d’humour et d’esprit, d’une virtuosité impressionnante. Leur récit oscille entre sensations intérieures et représentation extérieure, avançant presque toujours en parallèle sur ce double plan, ce qui indéniablement, est une force spécifique à la danse de pouvoir signifier simultanément des affects contradictoires – ne serait-ce qu’en dissociant les parties du corps, ou les mimiques du visage du mouvement lui-même.
Galerie photo © Laurent Philippe
La gestuelle très fluide, très liée, d’une souplesse et d’une célérité alerte est littéralement épatante ! Empruntant volontiers au hip-hop comme au vocabulaire classique et contemporain, c’est un vrai plaisir de découvrir cette petite forme mais d’une grande puissance physique et communicative.
Agnès Izrine
Vu le 11 janvier à Suresnes Cités Danse – Salle Jean-Vilar
Tendre Colère
Distribution :
Chorégraphie : François et Christian Ben Aïm
Avec Eva Assayas, Jamil Attar, Johan Bichot, Alex Blondeau, Rosanne Briens, Chiara Corbetta, Andrea Givanovitch, Jeremy Kouyoumdjian, Andréa Moufounda, Emilio Urbina
Assistante chorégraphique Alex Blondeau, Composition musicale Patrick De Oliveira, Lumières Laurent Patissier,Création costumes Mossi Traoré, Regard dramaturgique Véronique Sternberg, Régie générale et plateauStéphane Holvêque, Régie plateau Christophe Velay
En tournée :
18 janvier – Théâtre Jacques Carat – Cachan
2 février – L’Envolée – Pôle artistique du Val Briard
7 février – Château Rouge – Scène conventionnée d’intérêt national Art & Création d’Annemasse
12 février – Escher Theater – Esch-sur-Alzette (Luxembourg)
25 avril – La Faïencerie Théâtre de Creil – Scène conventionnée Art en territoire
29 avril – L’Orange Bleue* – Eaubonne
14 novembre 2025 – Théâtre Jean Vilar – Vitry-sur-Seine
15 novembre 2025 – Théâtre Antoine Watteau – Nogent-sur-Marne
16 décembre 2025 – Théâtre de Châtillon
13 janvier 2026 – La Maison / Nevers – Scène conventionnée Art en territoire
21 janvier 2026 – Centre d’art et de culture de Meudon
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