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«Sylvia» de Manuel Legris par Le Ballet de l'Opéra de Paris

Après des décennies d'absence dans une version classique, Sylvia revient enfin au répertoire de l’Opéra national de Paris dans une version surprenante, signée Manuel Legris qui renouvelle la chorégraphie tout en conservant un style d’un autre temps.

Sylvia n’est autre que le premier ballet créé en 1876 pour le tout nouvel Opéra ou Palais Garnier, par Louis Mérante (1828-1887) à la chorégraphie et Léo Delibes à la musique. Il marque également une rupture en revenant à un style de ballet inspiré par l’Antiquité, tels qu’on en composait jusqu’à La Sylphide (1832) qui marque, avec Giselle (1841) l’apogée du Ballet romantique, et en posant les prémices du ballet académique que va inaugurer Marius Petipa en Russie. D’ailleurs, Tchaïkovski déclara qu’il n’aurait jamais pu composer Le Lac des cygnes sans avoir entendu Delibes ! Mais, paradoxalement, il a été souvent l’oublié de sa maison d’origine. C’est grâce à la version très réussie de Leo Staats (1919) reprise par Aveline en 1946 dans laquelle brille Lycette Darsonval, première Étoile de l’Opéra de Paris, qu’elle est conservée, avant que cette dernière ne donne sa propre version en 1979. Entre-temps, elle se fait éclipser par celle de John Neumeier créée pour l’Opéra de Paris en 1997 (dans laquelle danse Manuel Legris).

Galerie photo © Helena Buckley et Yonathan Kellerman /OnP

Legris signe donc ici une chorégraphie très informée des strates successives qui ont constitué l’histoire de Sylvia : Mérante, Staats, Lifar, Darsonval (sa version de référence) … jusqu’à Neumeier, dont il fut l’un des interprètes. Sa version rend particulièrement hommage à l’école française et à la tradition du ballet narratif, en réintégrant (un peu) la pantomime et situations de genre. Le pas de deux Diane-Endymion, ajouté en introduction, poursuit les options dramaturgiques de Neumeier sans pour autant dévier dans le psychologique ou l’émotionnel, et la leçon de Noureev ressort dans l’abondance de petits pas de liaison particulièrement ardus à exécuter dans le tempo.
Ce faisant, il crée un ballet au charme délicieusement rétro, pour ne pas dire suranné, tant au niveau de l’intrigue, relativement complexe dans ses emboîtements, où il est question de désir et de chasteté, de puissance féminine caractérisée par Diane, ses chasseresses et leurs arcs, et de retournements mythologiques. Qu’au niveau de la scénographie, avec ses tuniques de soie « cuisse de nymphe », son décor à belvédère en carton-pâte, et ses statues qui s’animent.

Galerie photo © Laurent Philippe (Attention, la distribution* présentée ici n'est pas celle que nous avons vue).

On retrouve dans la relecture de Legris des motifs qui évoquent les sources premières : chasseresses bondissantes, arabesques précises, postures hiératiques. La chorégraphie déploie le lexique académique : une succession de variations, de sauts, de batteries et de duos finement structurés, avec un souci constant d’élévation et de clarté formelle. Le corps de ballet est sollicité sans relâche, dans une écriture exigeante, difficile et ne lâchant rien dans les multiples embûches que recèle la chorégraphie – notamment l’enchaînement très rapide de tours et de sauts – mais relativement peu novatrice et assez peu expressive. Reste que toute l’école française y est exploitée avec talent, utilisant tout un vocabulaire classique aujourd’hui peu employé.
Valentine Colasante dans le rôle de Sylvia se montre assez impériale, maîtrisant parfaitement les chausse-trapes qui s’ouvrent sous ses pieds et s’appellent tours en attitudes devant, équilibres impeccables, ou pizzicati d’enfer. Héloïse Bourdon, la Diane qui lui donne la réplique est tout autant impérieuse et impressionnante. Guillaume Diop campe un Aminta, très élégant, avec une belle allonge et un phrasé très séduisant, mais reste un peu fragile dans les tours attitudes ou arabesques de sa première variation. Jack Gasztowtt en Éros, est tout aussi brillant et explosif dans ses sauts. L’Endymion de Lorenzo Lelli est une belle surprise avec un très joli travail du bas de jambe et du pied, une belle coordination des bras et du buste. Aurélien Gay campe un Faune très convaincant, avec une dynamique saltatoire impeccable et Hohyun Kang une Naïade d’une fluidité parfaite et merveilleusement silencieuse. Mention spéciale pour le trio Daniel Stokes, Luna Peigné et Rémi Singer-Gassner dans le tableau « paysan » de l’acte I.
 

Galerie photo © Laurent Phillippe (Attention, la distribution* présentée ici n'est pas celle que nous avons vue).

Dans l’Acte II on remarque particulièrement les belles lignes et la précision d’Orion, le chasseur noir interprété par Jeremy-Loup Quer, l’esprit des deux esclaves nubiennes que sont Hortense Millet-Maurin et Elizabeth Partington. Et dans l’Acte III les morceaux de bravoure de tous les solistes, particulièrement Sylvia et Aminta qui brillent de tous leurs feux chorégraphiques.
Le travail du Corps de ballet de l’Opéra de Paris impressionne fortement dans cette production très dansante. Bien sûr dans les ensembles de Chasseresses impétueuses (comme dans La Bacchanale du troisième acte), mais aussi dans les rondes paysannes ou les danses orientales du deuxième acte, sans parler des Faunes capricants (dont le costume rappelle celui de Bakst pour Nijinski) et Nymphes élancées, Silènes et Dryades…
Malgré son côté un peu désuet, et son manque de point de vue sur l’essence du récit, on passe une formidable soirée, grâce, entre autres, à la musique très attachante et rutilante de Léo Delibes, emmenée avec brio par l’orchestre de l’Opéra de Paris dirigé par Kevin Rhodes.
Agnès Izrine
Vu le 28 mai 2025 à l’Opéra de Paris, Palais Garnier. Jusqu’au 4 juin 2025.

Chorégraphe: Manuel Legris,
Compagnie, Ballet de l’opéra national de Paris,
Musique: Leo Delibes,
Direction musicale: Kevin Rhodes,
Décors et costumes: Luisa Spinatelli,
Lumières: Jacques Giovanangeli,
Dramaturgie: Jean-François Vazelle,

SYLVIA : Valentine Colasante
AMINTA : Guillaume Diop
ORION : Jérémy-Loup Quer
EROS : Jack Gasztowtt
DIANE : Héloïse Bourdon
ENDYMION : Lorenzo LellI
Un Faune : Aurélien Gay
Une Naïade : Hohyun Kang

 

* Distribution photo : Sylvia : Bleuenn Battistoni, Aminta Paul Marque, Orion : Andréa Sarri, Eros :Jack Gasztowtt, Diane : Silvia Saint-Martin, Une Naïade : Inès McIntosh, Un Faune :  Francesco Murra, Endymion : Marius Rubio

 

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