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« Starting with the Limbs » d’Annie Hanauer au Festival de Marseille

Portée par quatre interprètes aux trajectoires singulières, la pièce brouille volontairement les frontières entre norme et exception, pour mieux redéfinir l’espace scénique comme un terrain d’invention inclusive.

Avec Starting with the Limbs, la chorégraphe Annie Hanauer (danseuse de la Candoco Dance Company, et très remarquée dans les pièces de Rachid Ouramdane) poursuit sa recherche autour des corps et de leurs représentations, en collaborant avec la compagnie L’Autre Maison. Cette compagnie basée à Marseille, place la diversité et l’inclusion au cœur de sa démarche artistique. Dès les premières minutes, quatre interprètes – aux identités corporelles diverses – entrent tour à tour en relation avec l’espace et les autres. Certains évoluent avec une béquille, un fauteuil roulant, ou laissent entrevoir des micro-vibrations involontaires de la main. Mais bien vite, ce ne sont plus les signes visibles qui retiennent l’attention : la présence, la disponibilité, et la manière de se relayer dominent la perception.


Et finalement, les figures qu’ils inventent paraissent beaucoup plus originales que celles que nous connaissons déjà. Le danseur et sa béquille se lance dans des équilibres improbables, la danseuse en fauteuil roulant, beaucoup plus mobile et plus acrobatique que bien d’autres. La chorégraphie qui s’appuie sur une dynamique d’écoute partagée, où chaque geste, loin d’être spectaculaire, devient un vecteur d’expression. Cette approche permet à la pièce de s’éloigner de tout esthétisme normatif, en laissant émerger une danse du lien et de l’imagination. Pourtant, certains « portés » sont particulièrement virtuoses, et certaines situations jouent d’un humour inattendu.
Dans cette composition, les corps ne sont jamais seuls. La scénographie de néons et de blocs de projecteurs disposés sur les côtés donnent au plateau une dimension singulière. Des objets ajourés, qui font penser à des bassins, ou des squelettes d’animaux inconnus, conçus par le designer Ghali Bensouda, apparaissent progressivement sur scène. À la fois sculptures, accessoires et prothèses imaginaires, ils s’intègrent aux mouvements et prolongent les corps en offrant de nouveaux points d’appui. Ces structures, issues de technologies de pointe et de l'impression 3D, bouleversent les codes classiques de la scénographie. Elles deviennent des partenaires de jeu, modulables et symboliques, qui déplacent les repères habituels entre corps et espace.

Car Starting with the Limbs (commencer avec les membres) interroge « l’expérience du membre prothétique », laissant planer dans notre inconscient l’histoire du « membre fantôme ». Or, Annie Hanauer ne cherche ni à lisser les différences ni à les souligner de manière démonstrative. En s’inspirant de sa propre expérience avec les prothèses et de celles des interprètes, elle compose une œuvre où les corps sont pluriels, mouvants et affranchis de toute injonction gestuelle. Les objets technologiques, loin d’être purement fonctionnels, sont réinvestis comme extensions artistiques, portés ou portables, et intègrent pleinement la dramaturgie.
La partition sonore minimaliste d’Azizi Cole enveloppe cette pièce dans une atmosphère contemplative et s’accorde à l’intention de Hanauer : inviter le spectateur à une écoute profonde, à un ralentissement propice à la réflexion et à l’émotion discrète.
Le handicap, ici, ne fait l’objet d’aucun récit particulier — il est simplement là, intégré, constitutif de nouvelles façons de bouger, de coexister. Chaque interprète construit un autoportrait chorégraphique où le corps est à la fois sujet et paysage, et où l’identité se façonne dans la relation aux autres. La pièce propose ainsi une réflexion ouverte sur la représentation du corps dans l’espace scénique, déplaçant les frontières entre inclusion, accessibilité et poésie du geste.


Annie Hanauer ne cherche ni à lisser les différences ni à les mettre en exergue. Sa démarche s’éloigne d’un discours militant explicite pour proposer une réflexion sensible sur la pluralité corporelle, sans injonction ni revendication. Danser autrement, ici, signifie laisser chaque corps écrire sa propre partition, sans se soumettre aux attendus d’un idéal gestuel unique.

Agnès Izrine
Vu le 27 juin 2025, Festival de Marseille, Théâtre de la Criée.

Distribution :
Chorégraphie : Annie Hanauer
Danseur·ses : Felix Tamm, Nadia Garrad, Greta Sandon, Sofia Valdiri, Coralie Viudes
Direction artistique de la compagnie : Andrew Graham
Assistante chorégraphique : Anne-Gaëlle Thiriot et Andrew Graham
Création musicale : Azizi Cole
Costumes-scénographie : Ghali Bensouda
Création lumière et régie générale : Bastien Lagier
Régie Son : Jean Cochard
Production : L’Autre Maison
Chargées de production: Sonia Gaspard & in’8 circl

En tournée :
Mougins (FR) : 2025, Scène 55
Rennes (FR) : du 19 au 20 novembre 2025, Théâtre National de Bretagne
Rovereto (IT) : 2026, Festival Oriente Occidente
La Haye (NL) : 2026, Holland Dance Festival
Barcelone (ES) : 6 juin 2026, Mercat de Les Flors

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