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Rencontres chorégraphiques 2025 : Les spectacles de juin

De l’irruption du réel au Bal Jam, en passant par le Brésil, on danse dans un tube ou on prépare une feijoada.

Le mois de juin arrive aux Rencontres chorégraphiques, fort d’une bonne dose de réel, de réalisme voire de réalité sociale, politique ou historique, personnelle ou collective. Fin mai, déjà, Ladji Koné se lance dans une aventure scénique qui le projette sur les traces de son propre frère, qui avait quitté le Burkina natal, pour disparaître au Ghana. Dix ans après, Ladji retrouve son frère, et Page blanche – chapitre 2, une collaboration avec l’artiste visuelle Soly Volná et la musicienne Ridina Ahmedová, rend compte de ces retrouvailles.

Histoires d’asile

Et en juin ? C’est l’heure de La demande d’asile. En France. Pas pour Koné, mais pour les migrants en général. Entre théâtre et danse, la création de Nicolas Barry s’inspire d’entretiens menés par les agents de l’OFPRA qui interrogent les demandeurs d’asile arrivant en France. Et il met l’accent sur les demandes d’asile formulées par des personnes persécutées en leurs pays en raison de leur orientation sexuelle. Comment se déroulent ces interrogatoires, quelles mécaniques s’y créent, quels rapports de domination, quelles formes de violences symboliques ? Cet accueil favorise-t-il l’intégration ou l’exclusion ?

Une autre histoire d’exil est celle du père d’Anna Chirescu. Comme son nom l’indique, il est Roumain. Plus encore, il a réussi à fuir le régime socialiste de Ceausescu avant la chute du dictateur. Et comme il a obtenu l’asile politique en France, sa fille Anna est née sur le terrain hexagonal. Et pourtant l’histoire du pays de son père résonne à travers elle. La jeune chorégraphe interroge dans Kata le passé familial dans cette dimension qu’elle n’a pas connue et qu’elle aborde dans un spectacle qui part de la grande histoire comme de l’histoire de son père avec leurs situations concrètes, pour s’enrichir d’éléments romancés et se place sous le signe des katas, phrases de mouvements qu’on nomme chorégraphiques en danse et qui forment la base codifiée des arts martiaux. Pourquoi s’y réfère-t-elle ? La réponse n’est pas celle que vous imaginez...

D’une Alice l’autre

On créé souvent en danse des situations et circulations pour évoquer d’autres mondes, d’autres états. Rien de tel chez Alice Rende dans son solo Passages. Où la circassienne italo-brésilienne affronte l’étroitesse d’un tube carré en plexiglas, haut de quatre mètres mais large de 65 cm seulement. Cet enferment devient la situation, aussi métaphorique que concrète, dans laquelle Rende affronte les contraintes physiques et traverse moult état de corps, aussi intimes que spectaculaires, de l’apesanteur à la pression physique résultant de l’enfermement.

Une autre réalité physique, non spectaculaire mais authentique, est celle d’Alice Davazoglou. Dans la danse, elle a un peu trouvé son pays des merveilles, depuis le solo qu’avait créé pour elle Michaël Phelippeau. Ensuite elle a orchestré Danser ensemble, où une belle brochette de chorégraphes se sont prêtés au jeu de fêter la danse [lire notre critique]. Aujourd’hui le réalisateur Thibaut Ras (qui a notamment filmé à plusieurs reprises le travail de Tatiana Julien) présente Alice Danse Danse Danse, film documentaire qui retrace la création du spectacle et met en lumière cette réalité qu’affronte Alice Davazoglou en son corps et dans sa vie, car elle est porteuse de trisomie 21. Le film, tel un making-of du spectacle, relève les défis surmontés, par Davazoglou et sa la volonté de défier la stigmatisation.

Contre-cultures

Le Brésil était là en mai, le Brésil reste en juin. Ana Pi (qui n’est en rien la face cachée de Pol Pi) crée Atomic Joy, une ode à la joie pour huit danseurs urbains de la région parisienne. Avec, en ligne de mire et dans leur filiation avec les cyphers et battles des cultures urbaines occidentales, les sources chorégraphiques africaines et leurs formes nouvelles qui pullulent dans les métropoles. Avec elle, un doublé de Calixto Neto qui reprend de Luiz de Abreu le solo O samba do Crioulo Doido, solo radical, acte de libération des imaginaires et projections sur le corps noir. Un solo qui est pour lui un repère dans le paysage de la danse comme dans son propre parcours. Et puis, un autre programme, où il nous cuisine et sert une Feijoada, irruption du réel sur scène là aussi, à la lisière de la performance gastronomique et du spectacle chorégraphique. Mais sa réalisation de la recette la plus populaire du Brésil a ceci de particulier qu’il l’imagine comme une mise en bouche des maitres d’esclaves…

Passons à l’argot jamaïcain. Le terme de Batty Bwoy  désigne une personne queer (littéralement : garçon de cul). Le titre de ce solo de Harald Beharie est donc empreint d’autodérision sarcastique. Audacieux de corps et d’esprit, Beharie interroge la peur face aux personnes et corps queer. Il affronte les ambiances homophobes et les stéréotypes assignés par la soi-disant bonne société. Alors prenez garde, braves gens, quand vous rencontrez ce joyeux combattant, avant qu’il ne vous embrasse ! Ou bien, prenez les chemins de Lucía García Pullés. Cette performeuse argentine sort sa langue et en fait le centre névralgique de son solo Mother Tongue, qui interroge la capacité de résister à la dépersonnalisation. Cette performance techno-buccale et très rythmée est la preuve, s’il en fallait, que du corps humain tout ce qui bouge peut faire œuvre chorégraphique.

Cultures populaires

Après quoi il faut dire que les Rencontres chorégraphiques ne sont pas fermées à la danse telle qu’on la conçoit depuis des siècles, dans ses facettes populaires, festives et participatives. Et pas besoin d’attendre jusqu’à la fête finale, le Bal Jam, animé entre autres par Chantal Loïal, la reine du Bal Konsèr avec sa compagnie Difé Kako. Ici, le Bal Jam ne se limite pas aux ambiances antillaises. Il y aura démonstrations, performances et moments de danse partagée où se croiseront des ambiances indiennes, maliennes et bien sûr antillaises. Mais aussi méditerranéennes, toues rives confondues.

Et justement, la tradition inspire aujourd’hui très souvent la création contemporaine. C’est même l’une des grandes tendances depuis longtemps, et Filipe Lourenço porte plus loin cet esprit, avec les danses berbères du Moyen-Atlas dans la tradition amazighe, ce que des anglophones pourraient confondre avec « amazing ». Et ils n’auraient pas tort. Après son superbe Cheb  [lire notre critique], Lourenço prépare la première d’Amazigh in situ, en partie avec les mêmes interprètes - Kerem Gelebek, Youness Aboulakoul, Mithkal Alzghair, Ema Bertaud, Alice Lada – dont certains sont eux-mêmes des chorégraphes très appréciés. Et pour que la joie soit complète, Amazigh in situ est effectivement le chemin vivant et entrainant qui mène directement au Bal Jam final !

Thomas Hahn

Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Jusqu’au 15 juin 2025

Image de preview : " La demande d'asile " - Nicolas Barry © Guillaume Belveze

 

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