Renato Cruz aux Rencontres chorégraphiques : « Dança Frágil » et « Novo Fluxo »
Double présence des danses urbaines brésiliennes, en danse fragile et nouveaux flux, stigmates et résilience.
Avec sa Companhia Híbrida, Renato Cruz développe depuis plus de quinze ans à Rio de Janeiro une danse urbaine réinventée pour les plateaux de théâtre qui permet au corps de s’assumer et de questionner la réalité sociale. Cruz n’est pas un inconnu coté Paname. Il a été en résidence au Centquatre Paris, il y a sept ans déjà et a aussi été accueilli en résidence à La Villette. Accueilli par la manifestation de la Seine-Saint-Denis, il est arrivé en pleine Saison France-Brésil, sans pour autant s’inscrire dans ce dispositif – qu’on croyait incontournable en 2025. Cette autonomie des Rencontres chorégraphiques est en soi un gage de leur résilience, voire du fait que la directrice Frédérique Latu fait ses propres choix, sans opportunisme aucun. A Cruz elle a ouvert les plateaux du festival de la Seine-Saint-Denis par deux fois, et le chorégraphe de Rio a présenté ses deux derniers opus, Dança Frágil et Novo Fluxo.
L’histoire se répète-t-elle ? Comme avant lui Bruno Beltrão, Cruz devient pour l’Europe un repère des danses urbaines brésiliennes, non sans être passé par l’école libre de danse de Maré de Lia Rodrigues, où il dispense aujourd’hui des cours de hip hop. Et comme Rodrigues, il organise des cours de danse gratuits et forme des professeurs dans l’un des quartiers défavorisés de Rio. La fibre sociale de ses créations est indéniable. Avec Novo Fluxo, il déclare vouloir rompre avec la logique d’accélération. Et reste pourtant loin de ce qu’on entendrait par-là chez nous, en danse contemporaine. Chez Cruz, pas de corps passifs ou recroquevillés, pas de résistance par l’intériorité, pas de méditation faciale.
Nouvelles danses et flux fragiles
Quand Cruz parle de flux, il entend bien parler de mouvement, de dynamisme, de rencontres pour « confluer, partager, pour coexister, communiquer avec le corps ce dont les mots ne rendent pas compte. Et se joindre à d'autres rivières telle une rivière qui s’efface », selon la devise de l’agriculteur, poète et activiste Antonio Bispo, placée sous le regard d’Aylton Krenak qui entend « expérimenter la puissance de trouver d'autres chemins ». Donc : nouveaux flux, nouvelles confluences, entre les corps des interprètes comme entre cultures dansantes, avec une fusion entre hip hop, krump et de danses urbaines d’origine brésilienne.
Des cyphers en hip hop, Cruz reprend le footwork circulaire des B-Boys qui se chargent d’énergie avant d’attaquer leurs solos en battle. Et il place ses interprètes à l’intérieur de figures lumineuses qui se dessinent au sol, projections rappelant une végétation tropicale avec le même goût de figures répétitives et abstraites que dans ses chorégraphies. A propos de quoi Cruz se réfère à Kandinsky : « La répétition est un moyen puissant d’intensifier l’émotion intérieure et en même temps de créer un rythme primitif qui est à son tour un moyen d’atteindre une harmonie primitive dans chaque forme d’art. »
Quant à ses notes d’intention, on peut s’y perdre un peu, entre Dança Frágil et Novo Fluxo. A y regarder de plus près, ce serait plutôt la première qui nous parlerait de résistance et de décélération, avec son quintette qui, comme dans un défilé de mode, ne cesse d’avancer et de reculer, s’exposant aux regards jusqu’à finalement suspendre la mécanique collective et se refuser au flux imposé, tout en pointant leurs origines culturelles et sociales, leurs parties de corps vulnérables et chargées de stigmates. C’est ici que Cruz avance le plus sur les terrains de la danse occidentale des années 2000 avec ses manières de transformer le corps en symbole.
Galerie photo © Renato Mangolin
Logique de diptyque.
De telles suspensions, de tels actes de résistance ne sont pas tant l’affaire de Novo Fluxo, qui semble reprendre là où les protagonistes de Dança Frágil - qu’on retrouve dans Novo Fluxo - était entrée en débrayage. Au début, ils essayent de parler, d’articuler quelques mots, peut-être pour exprimer quelques désirs ou intentions. Mais les gorges sont nouées, les corps comme empêchés. Ensuite, ils tournent la page, faisant de Novo Fluxo une histoire d’ouverture où l’on retrouve la mobilité, grâce à la rencontre avec l’autre. Cela ne se passe pas sans heurts, mais on y construit des ouvertures, en ambiances ludiques, unissons, portés ou confrontations dans la séduction.
Dança Frágil et Novo Fluxo font partie d’un triptyque, mais forment également un excellent diptyque révélant la passion de Cruz pour une écriture répétitive dans l’affirmation d’une force vitale. Et si l’écriture de Novo Fluxo semble moins affirmée que celle de Dança Frágil, elle est en revanche empreinte de sincérité et d’un esprit de rue authentique. En même temps, Novo Fluxo est, dans sa référence à Bispo et Krenak, un manifeste de la résilience et de l’ouverture, de la richesse potentielle qui réside dans les échanges avec autrui. Le contraire donc des fameux « flux tendus » qui imposent la soumission générale à d’impitoyables cadences industrielles.
Thomas Hahn
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis, les 13 et 15 mai 2025
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