Error message

The file could not be created.

« Red Carpet » de Hofesh Shechter par le Ballet de l’Opéra de Paris

Hofesh Shechter retrouve la compagnie parisienne pour la quatrième de ses œuvres entrées au répertoire de l’Opéra, avec pour la première fois, une création.

Le chorégraphe Hofesh Shechter, citoyen du monde né à Jérusalem, mais ancré entre Londres, New York et désormais Montpellier (où il vient d’être nommé co-directeur de l’Agora la Cité de la Danse), retrouve la scène parisienne avec une création inédite conçue pour le Ballet de l’Opéra de Paris. Intitulée Red Carpet, cette pièce électrisante révèle une nouvelle facette de son univers chorégraphique, empreinte de poésie, de rituel et d’une sensibilité brute.

Galerie photo © Laurent Philippe

Sous les ors du Palais Garnier, Shechter signe une œuvre sur mesure, pour treize interprètes et quatre musiciens, où le faste apparent masque un trouble plus profond. Ici, le fameux tapis rouge se dérobe au regard, remplacé par un théâtre de tentures cramoisies, omniprésentes et mobiles, qui structurent l’espace scénique autant qu’elles le dissimulent, ouvrant sans cesse d’autres perspectives comme une mise en abyme du théâtre de l’Opéra.
Dès les premiers instants, une atmosphère étrange s’installe. Les danseurs, tout droit sortis d’une fête décadente, se meuvent dans un clair-obscur orchestré par le designer lumière Tom Visser. Costumes de soirée dépareillés – mais signés Chanel –  mouvements syncopés, regards perdus : la fête dégénère doucement en transe. La bande-son, composée par Shechter lui-même, oscille entre jazz abrasif, rythmes orientaux et riffs électro, jouée en direct par un quatuor perché en fond de scène, un peu comme dans l’excellent Grand Final. Une musique-matière, parfois déstabilisante, mais toujours charnelle.

Galerie photo © Laurent Philippe

Comme souvent chez Shechter, la gestuelle semble jaillir de l’intime : le geste part du ventre, secoue le bassin, irradie jusqu’aux mains, aux doigts. Le groupe se forme, se défait, se reforme, dans une pulsation commune. Par moments, des figures solitaires s’en détachent, ouvrant des interludes mélancoliques ou introspectifs – l’une des grandes forces de Red Carpet. Un solo, notamment, celui d’Antoine Kirscher, suspend le temps : il semble flotter entre grâce et fragilité.
Ce ballet est une déclaration d’amour au lieu même qui l’abrite. Les rideaux de velours, éléments scénographiques centraux, convoquent le passé prestigieux de Garnier, tout en le subvertissant avec ironie. Ils encadrent, dévoilent, étouffent ou magnifient les corps. Le gigantesque lustre qui descend lentement du plafond évoque davantage une cathédrale qu’un bal mondain.

Galerie photo © Laurent Philippe

Dans cette création foisonnante, Shechter tisse des réminiscences de son propre parcours – de ses débuts dans la danse folklorique à Jérusalem à son attrait pour le groove urbain et l’énergie punk, des mouvements très proches de la Batsheva Dance Company, ou même de Wim VandeKeybus, deux des compagnies où il a été danseur. Cambrés infinis et squats dynamiques, sauts presque sans élan visible, bras levés s’agitant dans l’air comme pour le faire miroiter… Des échos à ses œuvres passées (Uprising, Political Mother, Clowns) affleurent, mais Red Carpet s’en distingue par une forme de dépouillement : la fin du spectacle, dans une quasi-nudité, recentre tout sur le geste et l’humain. Les danseurs, débarrassés de leurs costumes rutilants, semblent renaître dans une prière collective, les bras tendus vers la lumière. Et ce groupe de danseurs de l’Opéra de Paris est tout simplement exceptionnel dans son interprétation. On les sent parfaitement à l’aise dans ce vocabulaire, non seulement qu’ils maîtrisent, mais probablement qu’ils aiment incarner.

Galerie photo © Laurent Philippe

Cette pièce n’est pas seulement un hommage à l’Opéra de Paris, mais aussi un autoportrait en creux de son auteur. À 50 ans, Hofesh Shechter semble moins chercher à impressionner qu’à transmettre, à faire ressentir. Pas de vedettes sur scène : chaque interprète, qu’il soit sujet ou coryphée, est mis en lumière avec la même intensité. Le collectif devient un seul et même corps vibrant.
À l’issue de cette heure intense, oscillant entre chaos festif et quête de transcendance, Red Carpet s’impose comme un objet scénique singulier, à la fois baroque, fragile et incandescent. Loin d’un simple défilé sur tapis rouge, c’est une plongée dans les coulisses de nos émotions, de nos désirs, de nos solitudes – dans ce théâtre vivant qu’est la danse.

Agnès Izrine
Vu le 10 juin 2015, Opéra Garnier. Jusqu’au 14 juillet.

Distribution :
Chorégraphie, décors et musique : Hofesh Shechter. 

Costumes : Chanel.

Lumières : Tom Visser. 

Assistante du chorégraphe : Kim Kohlmann, Hofesh Shechter Company.
Collaboration à la musique : Yaron Engler 

Musiciens : Olivier Koundouno, violoncelle ; Sulivan Loiseau, contrebasse ; Brice Perda, instruments à vent ; Yaron Engler, batterie. 

Inteprètes : Clémence Gross, Caroline Osmont, Ida Viikinkoski, Laurène Lévy, Adèle Belem, Marion Gautier de Charnacé, Antoine Kirscher, Alexandre Gasse, Mickaël Lafon, Hugo Vigliotti, Takeru Coste, Julien Guillemard, Loup Marcault-Derouard

 

Catégories: 

Add new comment