« Puissance » de l’Opera Ballet Vlaanderen
C’est avec l’Opera Ballet Vlaanderen (OBV), en français l’Opéra Ballet Flandre, basé à Gand et Anvers en Belgique que débute, le 24 Avril, à la Villette, Paris, une ambitieuse programmation de neuf spectacles de danse de stature internationale, et ceci pendant trois mois.
Dans un marché qui exige de nouvelles créations chaque année, l’OBV est la compagnie qui, pendant ce cycle, se distingue en assumant de célébrer l’extraordinaire richesse de l’histoire de la danse contemporaine.
Et l’OBV envoie du lourd, du très lourd même. Le fil rouge de la soirée, pourtant, peut inquiéter : « un dialogue entre danse et musique de chambre contemporaine », avec les figures, côté musique, d'Anton Webern, orthographié Werben dans le programme, Steve Reich, Graciela Paraskevaídis, Stephen Montague, joué au clavecin par l’extraordinaire Elisabeth Chojnacka.
Trois générations successives de chorégraphes ce soir : Trisha Brown, Anne Teresa De Keersmaeker et Jan Martens. Ce qui est vertigineux, c’est de plonger dans l’histoire de la danse mondiale, ce mélange entre bascule vers le passé, observation de l’histoire en train de se faire, de laboratoire qui va de l’avant, d’œuvres qui traversent le temps sans encombres.
L’Américaine Trisha Brown a 20 ans en 1956. Elle participera à une révolution chorégraphique, de 1962 à 1964 au Judson Dance Theater à New York, espace pluridisciplinaire d’expérimentation, fondateur, avec notamment David Gordon, Steve Paxton, Yvonne Rainer, Lucinda Childs, Deborah Hay, Simone Forti, Meredith Monk, puis dans le cadre de la post-modern dance.
La pièce de Trisha Brown, pour 9 interprètes, Twelve Ton Rose, est datée de 1996. Les jeunes hommes portent ce qui peut faire penser à de très beaux, doux et sobres pyjamas oranges, et les jeunes femmes d’élégantes robes noires légèrement déstructurées. L’espace est vaste et peut faire penser à l’immensité d’un désert, la nuit.
Galerie photos © Opéra Ballet Vlaanderen - Phile Deprez
L’écriture de la danse réussit étonnamment à être à la fois très complexe et pourtant épurée, sorte de sympathiques hiéroglyphes mystérieux. Mais on perçoit plus de gravité, moins de peps, que les années précédentes. Deux danseurs, seuls sur le plateau, s’arrêtent soudain au fond à droite, et se figent de profil un moment, c’est impressionnant, puis repartent comme si de rien n’était. Une danseuse, au fond à gauche, va pour sortir du plateau, dans une diagonale, dans une gestuelle soudain cunninghamienne. Deux hommes seuls sur le plateau dans une dramaturgie qui suggère la verticalité, la minéralité et la lumière des rues de New York dans les années 70. Et ainsi de suite. Apparitions, disparitions, traversées. Mystère. Visions.
En contrepoint de la danse, on peut dire que la musique, bien qu’extrêmement mentale et savante de Webern, fend le cœur, dans sa puissance émotionnelle tragique.
Galerie photos © Opéra Ballet Vlaanderen - Phile Deprez
La Belge Anne Teresa De Keersmaeker a 20 ans en 1980. Elle fera partie de ce qu’on nommera la « vague belge », avec notamment Jan Fabre, Jan Lauwers, et Alain Platel, mais pas au sens où les uns travaillent avec les autres. Les deux extraits proposés, de 1982, Piano Phase et Clapping Music, font partie de la deuxième pièce d’ATDK, le fondateur Fase, Four Movements to the Music of Steve Reich. Ces duos féminins, répétitifs, obsessionnels et pourtant libérateurs sont fascinants. Bien qu’elle commence par s’inscrire dans l’abstraction et la répétitivité américaine des annes 70, elle déplace le matériel chorégraphique vers une incarnation et une théâtralité européenne. C’est une bascule historique.
Galerie photos © Opéra Ballet Vlaanderen - Phile Deprez
Jan Martens a 20 ans en 2004. Il reprend ici un extrait de son solo qu’il interprétait en 2021, Elisabeths Gets Her Way, mais le recadre dans un plan serré sur un bellâtre genre nageur professionnel portant uniquement un élégant slip métallique couleur or du plus bel effet. Il signe aussi une création pour 5 interprètes. Le plateau devient entrepôt fonctionnel, où chacun-e semble une île posée sur la mer. Si Martens sait manier la puissance spectaculaire, il a choisi ici un contrepoint fort tranquille. Chaque interprète reproduit un son, qui est produit plusieurs fois, puis un autre son. Effet comique pour certain-es. Façon ingénieuse de déconstruire le matériel chorégraphico-musical, mais ne s’agit-il pas aussi d’un portrait de modernes solitudes ? Quoiqu’il en soit, la soirée est fort copieuse, on ne s’en plaindra pas.
Fabien Rivière
ON PEUT LIRE :
— Guy Duplat, Une vague belge, Éditions Racine, Bruxelles, 2005.
— Sally Barnes, Democracy’s Body: Judson Dance Theater, 1962 - 1964, UMI Research Press, 1980 et 1983 et Duke University Press, 1993.
— Sally Barnes, Terpsichore In Sneakers: Post-Modern Dance, Houghton Mifflin, 1980 et Wesleyan University Press, 1987.
Traduction française : Terpsichore en baskets, post-modern dance, Éditions Chiron, co-édition Centre national de la danse, 2002.
TRISHA BROWN · Twelve Ton Rose
Composition Anton Webern
Chorégraphie Trisha Brown
Avec Aleix Labara i Cerver, Anaïs De Caster, Yaiza Davilla Gómez, Lara Fransen, Matthew Johnson, Philipe Lens, Allison McGuire, Willem-Jan Sas, Rune Verbilt
Costumes Burt Barr
Création lumière Spencer Brown
Mise en scène Trisha Brown Dance Company en coopération avec l’Opera Ballet Vlaanderen
ANNE TERESA DE KEERSMAEKER · Piano Phase et Clapping Music
Composition Steve Reich
Chorégraphie Anne Teresa De Keersmaeker
Avec Jasmine Achtari, Madison Vomastek
Création lumière Remon Fromont
Costumes Martine André, Anne Teresa De Keersmaeker
JAN MARTENS · On Speed et Graciela Quintet
— Graciela Quintet
Composition Graciela Paraskevaídis
Chorégraphie Jan Martens
Avec Brent Daneels, Towa Iwase, Taichi Sakai, Shane Urton, Louiza Avraam
Dramaturgie Tom Swaak
Costume design Cédric Charlier
Création lumière Elke Verachtert
— ON SPEED – Extrait de ELISABETH GETS HER WAY (GRIP)
Composition Stephen Montague
Chorégraphie Jan Martens
Avec David Ledger Création
Costumes Cédric Charlier
Création lumière Elke Verachtert
PROGRAMMATION DANSE - LA VILLETTE : (mai - juillet 2025)
— CCN - Ballet de Lorraine — 5>7 mai —
Maud le Pladec Static Shot + Marco Da Silva a Folia
— Ballet de l’Opéra de Lyon — 14>16 mai — Ohad Naharin Last Work
— International Illest Battle - 100% Krump — 30>31 mai
— Rocío Molina — 4>7 juin — Carnación
— Sydney Dance Company — 11>15 juin
— Rafael Bonachela Impermanence + Melanie Lane Love Lock
— Wim Vandekeybus — 25>28 juin — Infamous Offspring
— Florentina Holzinger — 30 juin>5 juillet — Ophelia’s Got Talent
— Batsheva Dance Company & The Batsheva Ensemble — 11>19 juillet — Anafaza
Catégories:
Add new comment