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Perrine Valli : Une création pour Faits d’Hiver

Alors qu’elle avait arrêté de chorégraphier depuis quelques années, Perrine Valli revient avec une création pour douze danseurs.

Estampillée artiste à suivre avec soin dès ses premiers essais et surtout à partir du duo Je pense comme une fille enlève sa robe (2009), la (encore) jeune franco-suisse (elle est née en 1980 à Aix-en-Provence) vit aujourd'hui à Genève et a changé de vie. Pas totalement cependant puisqu'elle propose les 13 et 14 février, au Théâtre de la Cité internationale une vaste et nouvelle pièce, dans le cadre du festival Faits d’Hiver, et baptisée Kantik.

Celle qui a été tenue pour une valeur sûre des années 2010, après Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt (2010), Si dans une chambre un ami attend (2012), ou le très ambitieux Les Renards des surfaces (2014) qui comptait parmi ses dix interprètes Jérôme  Andrieu, Jean-Baptiste André, Foofwa d'Imobilité et pouvait compter sur la participation de Denis Podalydès, donne encore une grande pièce, très personnelle, L'un à queue fouetteuse (2017) pour huit interprètes inspirée du peintre d’art brut Henry Darger, puis plus rien. « Ce n'est pas tout à fait vrai, j'ai répondu à une commande, Cloud (2018)  pour une association sur la jeunesse dans laquelle je cherchais à montrer l'impact des technologies sur les jeunes. Elle a été créée au forum de Meyrin ; c'était une pièce pour cinq professionnels et vingt-cinq enfants qui a été montrée aussi au CDC de Lille, et au Théâtre des Abbesses. Mais ce n'était pas une pièce totalement de moi. Il y avait un texte de Fabrice Melquiot, un circassien, tout un côté de médiation qui me plaisait assez, mais relativement loin de mes centres habituels d'intérêt. »

Depuis Je pense comme une fille enlève sa robe (2009), s'appuyant sur une phrase de Georges Bataille évoquant la prostitution, ou Si dans cette chambre un ami attend (2012) ou elle abordait le désir à travers la présence masculine, et dans une Une femme au soleil (2015), inspirée du peintre Hooper, toujours focalisé sur le désir mais d'une façon plus introspective, la danse de Perrine Valli poursuit un même but : explorer les rapports homme-femme et creuser plus avant la notion d’identité sexuelle. Elle écrivait d'ailleurs, à propos de cette dernière pièce, « Depuis 2005, ma recherche s'articule autour de ce corps introspectif, solitaire, tourné sur lui-même. Mes dernières créations traitent ce sujet à travers des soli ou des pièces dans lesquelles les corps évoluent de manière individuelle, sans véritable lien entre eux. […]  La société ne cesse de créer des objets à satisfaire nos désirs. Surproduction, innovation, consommation, culture du zapping du jetable, accessibilité en un clic à toute forme de satisfaction… […] Le désir peut-il survivre dans ce mode de production ? » se demandait-elle alors…

Puis il y a eu la crise du Covid et les difficultés de programmation de Cloud : « avec le confinement, la pièce qui était partie en tournée après sa création a vu son parcours interrompu. Elle a été programmée au Théâtre de la Ville annulée, reprise… Cela a pris beaucoup d'énergie ! ». Alors, elle explique : « J'ai entièrement changé de vie. Je ne peux pas dire que cela a été un choix très précis ni quand exactement. Plutôt une intuition. Je ne savais pas pourquoi, mais j'avais la sensation d'avoir fait le tour de ce que je pouvais trouver dans la danse. J'avais été très intéressée par le coaching en neurosciences, par le fonctionnement du cerveau. J'ai trouvé intéressant de mener ses recherches en parallèle avec mon parcours d'artiste. Je pensais aider les gens, et aussi gagner plus d'argent. Je venais d'avoir un enfant, et j'ai envisagé ce changement de vie. Je me suis donc engagée dans un double métier, en apprenant celui de sexologue. J'ai repris des études qui se sont déroulées durant le Covid pour la partie théorique ; j'ai fait les stages hors confinement. En définitive j'ai passé plusieurs diplômes de sexologie d'abord, mais comme j'ai trouvé que je manquais de matière, j'ai travaillé en thérapie de couple puis je me suis formée en hypnose Ericssonnienne.»

Galerie photo © Magali Dougados

Mais l'on ne se débarrasse pas de ce que l'on est. Et le désir de danser est revenu. Kantik en est la matérialisation. Perrine Valli le reconnaît volontiers « Dans le fond, j'avais prévu de faire ce retour. Cela m'allait très bien d'être une saltimbanque. Il fallait que cela se fasse. J'avais des intuitions, des visions, des images. Elles ont besoin de sortir. Ce ne sont pas des obsessions mais des insomnies ! C'est assez pratique. Après, je n'ai plus qu'à les mettre en scène. Et donc j'ai eu besoin de sortir ces images sur un plateau, voilà » Lorsqu'on lui fait remarquer qu'elle aurait pu faire avec moins de difficulté qu'en élaborant une pièce pour douze interprètes, elle réplique en riant « que la simplicité n'a jamais été son fort ». Puis, plus profondément explique : « C'est vrai, j'ai fait une pause certes studieuse mais profonde. Cela m'a redonné de l'énergie, une envie de challenges. De faire quelque chose que je n'ai pas encore fait. Mon enfant est plus grand et je peux m'engager sur autre chose. Je me sentais prête à cet effort de diriger un grand groupe et affronter les difficultés d'une grosse production ».

La moindre des difficultés n'étant pas d'avoir choisi, avec Le Cantique des cantiques un texte métaphorique et loin de l'ambition presque clinique que l'on peut lire dans les œuvres précédentes de Perrine Valli. « Tout au départ, je m'étais plutôt intéressée à la physique quantique. Mais pas pour sa dimension scientifique, plutôt pour l'utilisation de l'énergie. Je suis assez vite passée à celle des mots et cela m'a conduite au Cantique des cantiques pour parler de sexualité. Mais je suis dans une période plus spirituelle et la physique quantique accompagne plutôt une pratique spirituelle avec de la méditation et des états de conscience modifiée. L'autre aspect qui m'intéresse dans ce texte c'est qu'il parle au nom du féminin. Et j'aimais bien sa dimension métaphorique. C'est une source d'inspiration, pas du tout une adaptation. J'avais envie de cette approche de la sexualité, mais je trouve que sur les scènes, aujourd'hui, le sexe est trop dans une logique “string rose à paillettes“, entre pornographie légère et revendications. Je cherche un côté un peu plus complexe. Depuis que je travaille en tant que sexologue j'ai rencontré des gens, surtout des femmes, en véritable souffrance. Elles m'ont apporté des histoires, un univers, qui m'a beaucoup nourri. »

Alors Kantik commence comme une méditation solitaire d'une femme, seule debout sur le plateau, qui plonge dans un tas de corps… Mais pour la chorégraphe, cela ne signifie pas qu'elle plonge à nouveau dans le grand bain de la création : « non, je suis sortie du système et je crée si j'en ai envie. Je ne suis pas conventionnée, je ne cherche pas tous les ans à faire une pièce pour gagner de l'argent. C'est si j'ai du temps, je vais mener d'autres projets plus expérimentaux. J'ai un projet avec le festival Antigel. Mais la charge d'une compagnie structurée, c'est fini. Je change de système ».

Philippe Verrièle

13-14 février 2025 : Festival Faits d’Hiver au Théâtre de la Cité Internationale

 

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