« Panorama Danse » par l'Ensemble chorégraphique du CNSMDP
L’Ensemble chorégraphique du Conservatoire national de musique et de danse de Paris (CNSMDP) présentait un triple programme qui ne ménageait pas les difficultés pour de jeunes danseurs et danseuses.
À commencer par le formidable boléro un issu de trois boléros (1996) d’Odile Duboc qui réunit dix danseurs. Ce qui frappe d’abord c’est la finesse et l’intelligence de cette écriture que nous n’avions pas vue au plateau depuis de nombreuses années. Pas un seul unisson mais des myriades de possibilités, des entrelacs de duos, des portés inopinés, une légèreté qui contredit la répétition obsédante de la phrase musicale, et une accélération continue du mouvement qui se substitue avec élégance à l’accumulation des instruments. Le tout éclairé avec délicatesse par Françoise Michel. Comme nous sommes loin de nombres de chorégraphies actuelles qui ont tendance à assener leur propos avec force virtuosité de vocabulaires piochés un peu partout, le tout lié par des ensembles homogènes. Ici tout est subtilité, envols subreptices, énergie imperceptible, regards… C’est aussi pourquoi cette pièce est si difficile à interpréter. La simplicité apparente se travaille par le millimétrage de chaque geste, de chaque impulsion. Ni trop. Ni pas assez. Notamment tout ce qui concerne les portés sans élan et une gestuelle qui semble toujours couler de source. Bien sûr, il manque sans doute encore quelques ajustements à l’Ensemble du CNSMDP pour que ce boléro un soit parfait. Mais leur fraîcheur et leur jeunesse donne à cette partition la couleur qu’il faut.
Galerie photo © Ferrante-Ferranti
Pour Entropie, de Léo Lérus (2019), le défi était tout autre. Très dynamique, porté par une pulsation infernale de la musique aux accents caribbéens mâtinés de techno, il s’agit pour les interprètes de libérer les corps dans des mouvements jouissifs et sensuels, très inspirés de chaloupés guadeloupéens (comme Léo Lérus !) qui s’inspire des soirées Léwòz, événements culturels et populaires de Guadeloupe. Pour autant, la chorégraphie évite soigneusement les stéréotypes des danses antillaises tout en utilisant leur énergie et leur joie de vivre. Car l’entropie selon son étymologie grecque signifie l’action de se transformer. Par extension, elle désigne des phénomènes de systèmes instables, et mesure l'incertitude ou le désordre dans un système, qui augmente avec le temps et l'échange de chaleur et de travail.
Galerie photo © Ferrante-Ferranti
Et c’est bien ce que joue le groupe, tout en lui ajoutant un coefficient d’affects, comme la rivalité, la sensualité, ou le renouveau. C’est aussi pourquoi les couleurs chaudes des éclairages accompagnent la danse comme un nouveau partenaire. L’Ensemble du CNSMDP a parfaitement intégré ces enjeux et s’est lancé à corps perdu dans cette aventure. Il faut dire que le chorégraphe a lui-même fait ses classes dans cette prestigieuse institution et a dû mettre tout son talent dans cette transmission.
Enfin, JOIN 2 (2024), création de Ioannis Mandafounis est issu de JOIN présentée au Théâtre de la Ville, et réunissant la Dresden Frankfurt Dance Company et des étudiants du CNSMDP. Elle est constituée scènes entrecoupées de noirs. Les corps étant volontiers désarticulés, comme soumis à une volonté qui leur échapperait, ils donnent l’impression d’être non pas unifiés et certains, mais éclatés, explosés comme l’est cette dramaturgie entrecoupée de noirs !
Galerie photo © Laurent Paillier
N’empêche, quel travail pour l’Ensemble chorégraphique qui, après avoir joué les chiens en colère, enchaîne deux solos plutôt agités, avant que le groupe ne fuse dans l’espace occupant toutes les directions, toutes les dimensions dans une écriture de l’amplitude surprenante. Les portés sont particulièrement originaux, les sauts invraisemblables. Sous des lumières hypertravaillées, tout semble se précipiter – au sens chimique du terme – dans la fougue, le jaillissement de la scène finale, comme une sorte de rave party absolument éclatante. Et il faut une maîtrise assez extraordinaire pour donner à cette pièce sa cohérence et sa brillance. Ce que l’Ensemble du conservatoire réussit d’une main de maître !
Agnès Izrine
Le 30 janvier 2025. Malakoff Scène Nationale dans le cadre de Faits d’Hiver.
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