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Odile Cougoule (1950-2025)

C’est avec tristesse et surprise que nous avons appris le décès de la chorégraphe Odile Cougoule survenu le 24 octobre 2025 – plus exactement dans la nuit du 23 au 24 – des suites d’une hémorragie interne.

« Elle s’est éteinte paisiblement, dans son lit, comme elle en avait parfois rêvé (…). Elle revenait d’un festival de danse en Tunisie sur lequel elle devait écrire. Elle travaillait sur un de ses solos qu’elle devait faire danser la semaine prochaine », précise sa fille Marie Gautier sur son réseau social.

Au moment où ses collègues de bureau, danseurs et chorégraphes, tiennent le haut du pavé de La Villette et celui de l’affiche dans les couloirs du métro et se produisent sur scène sans tenir compte de la limite d’âge (cf. la dernière pièce de Philippe Decouflé), la prénommée Odile – hommage sans doute inconscient de la part de ses parents à l’anti-héroïne du Lac des cygnes – tire sa révérence à 75 ans tout rond. Une rondeur – et un sourire délicat qui va avec – dissimulant une grande force de caractère. À titre d’exemple, elle obtint de ses parents d’être émancipée avant l’heure, dès dix-huit ans, ce qui n’était pas, à l’époque des « événements de mai 68 », celle de la majorité civile. Ses parents étaient ouverts aux arts. Son père était très « éducation populaire » ; il animait à Bourges, ville natale d’Odile, des cours et des camps d’été ; il transmit son côté fantasque et créatif à sa fille. Sa mère avait été institutrice avant de s’occuper de ses cinq enfants ; elle jouait beaucoup de piano.

Odile a commencé par la gymnastique artistique, dans la mouvance de la « gymnastique harmonique et rythmique » prônée surtout dans les classes de filles, fondée par Georges Demenÿ et développée par son élève Irène Popard, une discipline pas très éloignée de la Rythmique d’Émile Jaques-Dalcroze. Elle racontera plus tard à ses proches ses passages sur la poutre, au tapis, au sol et, déjà, les compétitions. Il lui arrivait d’encadrer les plus jeunes. Elle fut éblouie par un spectacle de Merce Cunningham et de ses danseuses (sans doute Carolyn Brown et Viola Farber) qui s’étaient produits à la Maison de la Culture de Bourges, un établissement inauguré avant d’être totalement achevé ; l’adolescente avait dû y admirer aussi l’exposition Alexander Calder qui se tenait à ce moment-là. Le court métrage Merce Cunningham (1965) d’Étienne Becker et Jackie Raynal décrit la tournée en France du chorégraphe, l’une des premières sinon la première, qui démarrait par le Théâtre de l’est parisien et se poursuivait par la Maison de la Culture berrichonne.

Dès lors, elle décida de se consacrer à la danse ; et de quitter sa ville natale, Bourges, pour suivre à Paris les cours de danse moderne. En l’occurrence, ceux dispensés par Karin Waehner à la Schola Cantorum, dont elle avait entendu parler. Pour gagner sa vie, la danseuse en herbe dut travailler comme serveuse dans un des cafés de la Mouffe. On peut penser que Karin Waehner, qui la distribua dans plusieurs créations, considérant ses aptitudes, l’encouragea à se présenter en 1976 au Concours chorégraphique international de Bagnolet qu’avait fondé Jaque Chaurand au lendemain de 68. Elle y obtint le 1er prix dans la catégorie amateur, la même année que Molly Molloy, Jean-Claude Gallotta et Dominique Bagouet qui s’étaient présentés, eux, chez les « pros ».

Cette reconnaissance comme « chorégraphe du ballet pour demain » l’aida par la suite à se faire une place dans le milieu. Ce succès lui permit d’obtenir une bourse pour se rendre à New York, l’année suivante, et suivre la leçon de Merce Cunningham dans son studio. Hors mariage, Odile décida alors de faire « un bébé toute seule », comme dit la chanson. Toute seule ou presque, la prénommée Marie ayant été reconnue par le père. Au bout de quelques mois, Cunningham remarqua une grossesse que la danseuse ne pouvait plus cacher et lui conseilla de rentrer accoucher en France.

Le style chorégraphique d’Odile Cougoule, que ce soit en groupe (cf. quelques vidéos des années 80) ou sous la forme de solos, comme ceux que nous avons vus plus récemment, fait la synthèse entre se trois sources d’inspiration : le geste gymnique efficace (qui, de technique, devient esthétique), le motif expressionniste (avec le besoin de représenter ou de symboliser) et la velléité d’abstraction (le mouvement pur ou géométrique qu’est la danse pour la danse). Le style Cougoule est plus retenu que celui, spectaculaire, de ses pairs de la « Nouvelle danse française ». On pense au baroquisme d’un Bagouet, au badinage enfantin d’un Gallotta, à l’inclination punk d’une Chopinot, à l’automatisme ambulatoire d’une Saporta, à l’ornementation pantomimique d’un Boivin, à l’élasticité rigolboche d’un Decouflé.

Humainement parlant, Odile était très sociable ; elle avait une facilité de contact avec les autres, quel que soit leur âge, leur origine ou leur milieu social. Sa fille n’a jamais compris « comment elle faisait pour arriver à suivre autant de personnes, à avoir toujours le petit mot, le petit conseil, à savoir ce qui se passait dans le milieu en prenant des nouvelles des uns et des autres ». Sur le tournage d’une série télé réalisée en partie dans sa cour d’immeuble par Zoiad Doueiri où nous fîmes de la figuration grâce à elle, elle avait vite fait de sympathiser avec toute l’équipe. Elle ne cessa de voir des spectacles, d’en rendre compte d’abord dans des revues telles que Pour la Danse, Danser, Arts de la piste, Strada, La Revue de l’agence du court métrage, puis sur son blog ou sur des sites comme cult.news ou bien Dansercanalhistorique; de créer des solos féminins ; de faire des stages aux Antilles ; des inspections pour le ministère de la Culture ; et des ouvrages sur la danse comme La Vie sur un fil (2005) ou sur la pédagogie comme Enseigner la danse jazz (2018) ou Pratiquer et enseigner la danse hip-hop (2022), tous deux édités par le CND.

Odile Cougoule a contribué au documentaire Karin Waehner, L'Empreinte du Sensible (2001) signé Marc Lawton et Sylvia Ghibaudo. Sa dernière action artistique a d’ailleurs été de rendre hommage à Karin Waehner, avec une exposition photo, galerie Le Fil rouge, rue Wurtz, dans le 13e, reprise tout dernièrement par le Regard du cygne. Sa fille Marie résume ainsi son œuvre : « La danse était sa passion. Elle y a consacré toute sa vie. Elle doutait parfois d’avoir suffisamment contribué à ce milieu. Les messages qui émergent aujourd’hui montrent qu’elle a touché bien plus de monde qu’elle ne le pensait ».

Ses obsèques auront lieu mardi 4 Novembre au cimetière du Père Lachaise, le RDV est fixé à 13h devant la coupole du Crématorium.

Nicolas Villodre

Odile Cougoule
Née le 4 août 1950
Licence de Psychologie (1975)
Formation à la rédaction, Centre de formation des journalistes (1988-89)
Formation La Danse à l’école (1989)
Formation auprès de Françoise et Dominique Dupuy (1969-72)
Schola cantorum, cycle de 3 ans d’études, diplôme de pédagogie, degré supérieur (1974)
Stages avec Andy Degroat, Douglas Dunn, Lucinda Childs (à partir de 1976)
Stage à l’école de Merce Cunningham à New York (1978-79)
Fonde la Cie Odile Cougoule (1980)
Stage de formation à la méthode Dalcroze (1995-96)
 
Œuvres
Les Dames, Parking, Poissy (1975)
Huecanas vida, Ballets K. Waehner, Gémeaux, Sceaux (1977)
Manuel, solo pour Micheline Lelièvre (1977)
Tout en vrac, rue, Poissy (1978-80)
Zhou, Ballets K. Waehner, théâtre de la Cité internationale (1978)
Parcours, Conservatoire de La Rochelle (1978)
Marmelades, solo pour Annie Delichères (1979)
Calligraphie, festival Danses au présent, théâtre Présent (1980)
Participation à Pièces détachées et Pièces de rechange, de Jean Pomarès (1979)
Joe King run away, solo pour Jean Pomarès (1980)
Passedame, festival d’Aix (1981)
Intervention artistique en grande surface (1981)
Atelier de Saint-Martin, Théâtre Présent (1981)
Raboliot, Union pour la culture populaire, La Motte Beuvron (1981-82)
Step in line, Carrefour de la différence, Paris (1983)
Solo (1984)
3e étage face, rendez-vous chorégraphiques de Sceaux (1984)
Quelques jours avec vous, conservatoire de Saintes (1984)
Cruel mic mac, festival Banlieue 89, Champigny (1985)
Step forward, festival international d’avant-garde, Grand Palais (1985)
Voyage à l'air libre, Printemps de la danse, Blois (1986)
Haute tension, journée jeunes créateurs, Centre Pompidou (1986)
Feux follets, spectacle multimédia, Union pour la culture populaire (UPCP), Parthenay (1986)
Travail chorégraphique avec les détenues, Prison de Fresnes (1988)
Le Fourche à loup, UCPC, Parthenay (1987)
Chorégraphie pour le spectacle Al Khamar, Cirque d’hiver (1990)
Formation des danseurs du Ballet national tunisien (1991)
Histoires d’elle, festival de Carthage (1991)
Pictures, chorégraphie pour les élèves de Paris Centre, Théâtre de Paris (1992)
Les Forêts vierges, projet chorégraphique, CCN du Havre (1994-96)
La Chouette enrhumée, chorégraphie d’un opéra pour enfants (1997)
L’Esprit de la forêt, chorégraphie d’un opéra pour enfants, La Villette (1998)
Créations, cours de composition, École nationale de musique et de danse de Yerres (2000-05)
Asphalte blues, théâtre Rive gauche, Saint-Étienne du Rouvray (2002)
Space form, Regard du cygnet (2004)
Passion recluse, festival Solos sans frontières, Mandapa (2005)
Solos vies, suite de 4 solos, portraits de femmes : Phoolan Devi, Arlette Laguiller, Janis Joplin, Karen Blixen (2006-2007)
 

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