« Numéro 0 / Scène III » de Marie-Caroline Hominal : Ça tourne en défilé.
Film, fashion et design : Ouverture de June Events avec une cérémonie chic et choc venue de Genève.
Avez-vous déjà éprouvé le désir d'assister à un défilé de la Fashion Week sans que personne ne vous propose une invitation ? Il existe une alternative, grâce à Marie-Caroline Hominal. La chorégraphe genevoise présente Numéro 0 / Scène III comme une sorte de rêve éveillé qui se déroule dans un studio de cinéma, « du moins tel que je l'imagine » et donc, comme elle avoue, « pas nécessairement réaliste ». Un peu de fantasme, c'est tout à fait l'étoffe de sa Scène III, énorme tourbillon qui traverse un espace qu'on désignerait avant tout comme "mental".
Comme dans un rêve, les univers se superposent. Quelque part, une barre de ballet. Et une danseuse soudainement en pointes (mais pas pour longtemps) pour le studio de danse. Un projecteur et un appareil Polaroid voire une caméra portés à la main comme dans un spectacle de danse contemporaine des années 1990. Un trapèze comme si nous étions aussi au cirque et l'utilisation à vue de la machine à brouillard. Mais il faut attendre longtemps avant de voir une première utilisation du fond photographique qui se présente dans un violet surréel. Mais toute pose, tout geste est ici fait pour la caméra et instagramable sans modération.
Galerie photo Laurent Philippe
10 + 3 = Anonymous
Et puis, les costumes ! Ça déchire, carrément, jouant sur la transparence, les paillettes, la séduction chic, le clubbing, la mode athleisure... Qui signe le style ainsi que la conception de l'espace? C'est « Anonymous » ! Anonymous ? Aucun masque n'apparaît sur le plateau et le mouvement Occupy semble faire éviter les bords du Lac Léman par un grand détour. Est-ce là une occupation politique de l'espace scénique ? Franchement, non. La guitariste, légèrement débridée, ainsi que le batteur et la batteuse semblent, plus que les danseurs, être rebello-compatibles.
Les models, elles et eux, sont une dizaine à se déhancher avec la sensualité nonchalante d’un défilé sur le catwalk, regards défiants et languissants inclus. Combien de fois les stylistes ont-ils fait appel aux chorégraphes pour leurs shows ? Hominal inverse la vapeur et invite un créateur qui nous reste inconnu mais donne une sacrée énergie aux models qui créent une sacrée circulation sur le plateau, et ils ne s'en privent pas. Entre solos, petits groupes, prises de parole au micro, duos de femmes en perruques noires de revue et très 1970, unissons et confrontations, sprints et pause chantée pour un Gloria in Excelsis deo singulièrement distordu, tout devient possible, tout se chevauche dans une effervescence qui pousse les protagonistes vers une transpiration de plus en plus intense.
Galerie photo Laurent Philippe
3 + 1 = 4
Hominal tient de Merce Cunningham l'idée d'une occupation de l'espace égalitaire où aucun centre ne se déclare. Autrement dit, le centre est partout. Et la scène est entourée du public sur quatre côtés, ce qui correspond, a priori, à l'idée circassienne d'une organisation non hiérarchique de la visibilité. Sauf que dans la salle du Théâtre de l'Aquarium, on se retrouve avec un seul côté pourvu de fauteuils, et trois qui n'offrent que le sol, pour s'y assoir ou rester debout, tout en offrant à ces trois quarts du public une quasi-participation au spectacle.
L’apport majeur de Numéro 0 / Scène III au paysage chorégraphique est justement de prouver la possibilité d’un public-paysage. Et d’ajouter une pierre à la reconstruction d’une tendance trop longtemps oubliée, où l’on expérimente des configurations hors normes, alternatives à une scénographie frontale. Aussi Hominal confirme que même dans une boîte noire, comme ici la grande salle du Théâtre de l'Aquarium, tout spectacle est au fond une création in situ. C'est d'autant plus vrai quand un projet s'approprie le plateau pour en redéfinir la fonction et les angles de vue. Le résultat était une ambiance particulièrement vivante.
4 - 3 = 1
Par contre, le quadrifrontal privilégiait ici singulièrement celles et ceux qui étaient assis dans les gradins – non pas pour le confort fessier, mais en raison de la vue sur trois côtés remplis de spectateurs qui s'intégraient dans l'aire de jeu, pour devenir un véritable élément scénographique. Et puis, à mi-parcours, les danseurs-animateurs ouvrent le rideau qui séparait le gradin et le public quitte le plateau pour s'installer dans les fauteuils. On revenait donc à une situation frontalement classique, mais pour voir les models chorégraphiques redoubler d'énergie.
Seulement : Où va-t-on, avec toute cette dépense ? Dans le studio de cinéma imaginaire, l’énergie se déverse sans but apparent. Les caméras passent à l’action mais ce petit monde tourne en rond et le tourbillon se suffit à lui-même. L’agitation est son propre but et brasse de l’air, comme le hairspray qui arrive sur scène et fait son office pour sculpter des volumes laqués artificiels. Pour quel film ? Ou bien, y aura-t-il un jour à nouveaux des Jeux Olympiques en Suisse ? On parle d’une candidature pour 2038... Au cas où, le pays aurait en Marie-Caroline Hominal une chorégraphe bien préparée pour orchestrer un show à l’énergie entraînante avec des circulations bien orchestrées, sachant contourner avec de grands sourires toute question qui fâche.
Thomas Hahn
Numéro 0 / Scène III de Marie-Caroline Hominal
Festival June Events, Théâtre de l’Aquarium le 2 juin 2025
direction artistique, conception, chorégraphie : Marie-Caroline Hominal
performance et danse : Jade Albasini, Alexandre Bibia, Natan Bouzy, Beatriz Coelho, Marcus Diallo, Anaïs Glérant, Marie-Caroline Hominal, Lola Kervroëdan, Akané Nussbaum, David Zagari
performance et musique : Salomon Asaro Baneck, Simone Aubert, Alexandra Bellon
espace, costume : Anonymous
lumière : Victor Roy
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