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« My Fierce Ignorant Step » de Christos Papadopoulos au Festival de Marseille

Une création absolument exaltante du chorégraphe grec qui explore la rage de vivre – et la joie qui va avec !

Christos Papadopoulos, figure incontournable de la danse grecque, aujourd’hui demandé dans le monde entier, a quelques succès à son actif. Rien que pour cette saison, Mycelium créé pour le Ballet de l’Opéra de Lyon [lire notre critique], et Ties Unseen pour le Nederlands Dans Theater [lire notre critique], sont deux œuvres exceptionnelles, fascinantes, vibratiles à souhait et en un mot captivantes, grâce à son travail du groupe se déplaçant comme un seul organisme en mouvement.

Allait-il nous proposer une autre version de cette même forme pour My Fierce Ignorant Step invité au festival de Marseille, pour sa toute Première française ?

Certes, nous retrouvons son tropisme autour de l’unisson et de la cohésion du groupe, constitué par sa propre compagnie, mais cette fois, ils dansent ensemble. Ils ne forment plus un seul individu polymorphe, mais des personnalités qui s’assemblent. Et tout est différent ! À commencer par le vocabulaire que le chorégraphe a choisi d’utiliser, inspiré par la danse jazz. Clin d’œil aux années 60-70 brièvement mentionnées dans le programme par la référence aux compositeurs Mikis Theodorákis Mános Hadjidádis, auteurs de musique populaire et engagée  ?  Quoi qu’il en soit, on ne les entendra pas, sinon de façon subliminale, car My Fierce Ignorant Step est tenu de bout en bout par la partition de Kornilios Selamsis qui réussit ici un tour de force musical qui traverse les genres et les époques.

Mais tout commence par une scène nue, bordée de panneaux noirs. Les dix danseurs et danseuses se lancent dans une chorégraphie minimale de microdéplacements sur une musique faite de seuls beats impersonnels le tout composant une séquence tête, épaules, un pas, un pas que l’on pourrait compter facilement… Sauf que le compte change sans cesse et que la chorégraphie se déploie dans tous les plans de cet espace scénique géométriquement délimité. Et soudain, tout à la répétition d’une même séquence, à laquelle s’ajoutent parfois quelques sauts, l’unisson se défait, non pas dans les corps, toujours soumis à la même rigueur, mais dans les regards, dans l’inclinaison d’une tête, dans un bras qui s’incurve et dans l'espace qui se creuse entre les interprètes. Une narrativité presque involontaire surgit, quelque chose de plus intime, de plus incarné. Et malgré la marche forcée, la performance athlétique qu’entraîne la pulsation incessante, les énergies synchrones, s'affirment de plus en plus des individus. Notamment l’extraordinaire Georgios Kotsifakis. Avec lui, on ne parle même plus de puissance d’incarnation, la danse émane de sa personne comme s’il la créait sous nos yeux. Avec lui, la chorégraphie prend un tour personnel, il regarde sa voisine (Sotiria Koutsopetrou, exceptionnelle, elle aussi), et sans déroger à la mécanique bien ordonnée, semble commenter ce qu’il fait tout en le faisant comme les autres. L’effet est saisissant !

Subrepticement, nous réalisons que la musique a pris la même inflexion. Quelques notes de piano, les beats deviennent de la batterie, beaucoup plus jazzy, tandis que Georgios Kotsifakis se lance dans des isolations de la tête stupéfiantes, des ondulations félines, et de plus en plus musicales (et drôles !). Et bientôt cette gestuelle très jazz contamine toute la troupe, faisant varier les lignes et même la belle organisation du début par des dérapages ou des échappées de plus en plus fréquentes, jusqu’à rappeler la scène du début de West Side Story, tout en conservant la trame de départ, en ne lâchant jamais la dynamique implacable du groupe. Et ce sont désormais des unissons décadents, sur la musique au tissage extraordinaire de Kornilios Selamsis d’où émerge une évocation du Boléro de Ravel, ou peut-être des chansons de Mikis Theodorakis et Mános Hadjidádis,  tandis que les mouvements se font plus souples ou plus classiques, que les danseurs et danseuses donnent des impulsions vocales, que ça tourne au cha-cha cha, au chœur de souffles, et finit en apothéose sur l’ouverture d’Orfeo de Monteverdi tandis que des éclairs illuminent le plateau.

My Fierce Ignorant Step (Mon pas féroce et ignorant) fait référence à la jeunesse, à son élan, à sa force, féroce et non pas innocente – mais ignorante ? Dans ce monde féroce, peut-être vaut-il mieux être ignorant, qu’innocent pour continuer à avancer avec cette foi en l’avenir ! En tout cas, la pièce est absolument splendide et ouvre de nouvelles perspectives dans le travail (déjà formidable) de Papadopoulos.

Agnès Izrine

Vu le 27 juin 2025 au Théâtre de la Criée, Festival de Marseille, 30e édition.

Distribution :
Concept et chorégraphie : Christos Papadopoulos
Danse et collaboration : Themis Andreoulaki, Maria Bregianni, Amalia Kosma, Georgios Kotsifakis, Sotiria Koutsopetrou, Tasos Nikas, Ioanna Paraskevopoulou, Danae Pazirgiannidi, Spyros Ntogas, Adonis Vais
Conseiller dramaturgique : Alexandros Mistriotis
Musique originale : Kornilios Selamsis
Compositeur associé : Jeph Vanger
Scénographie : Clio Boboti
Responsable des décors de la tournée : Angeliki Vasilopoulou-Kampitsi
Conception des costumes : Maria Panourgia
Création lumière : Stefanos Drousiotis
Chef de ré-éclairage pour la tournée : Alexandros Mavridis
Entraînement vocal : Apostolis Psichramis
Assistante chorégraphe : Sevasti Zafeira
Assistante scénographe : Aggeliki Vasilopoulou-Kampitsi
Assistante costumière : Panayiotis Renieris 

 

 

 

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