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Montpellier Danse : Sylvain Huc et Mathilde Olivares/Friends of Forsythe

Nous avons évoqué dans nos colonnes les créations d’Akram Khan, de Crystal Pite / Simon McBurney et de Nadia Beugré, fortement narratives. Mais une autre danse, où le geste est seul maître du plateau, sans devoir se soucier de récits politiques, mythologiques ou autres, fait tout autant partie de Montpellier Danse. Dans cette idée, le festival a présenté, après le solo From the heart – an etude  d’Armin Hokmi [notre critique], le programme Friends of Forsythe  et la création de La Vie nouvelle  de Sylvain Huc et Mathilde Olivares.

De la danse pure, est-ce que cela existe ? A Montpellier Danse, dont l’histoire est entre autres marquée par Trisha Brown, des tentatives d’approche d’une telle discipline et de son épure ont toute leur place. Mieux, elles sont une nécessité. On n’imagine pas le festival sans une danse où le mouvement est la source et non la conséquence des dramaturgies chorégraphiques. Des pièces sans discours sur le monde, qui reviennent au corps comme source des imaginaires. La dichotomie aurait fait un beau sujet de conversation lors de la rituelle conférence de presse « bilan » avec Jean-Paul Montanari. Qui nous manque, comme ce rendez-vous si spécial.

Montanari nous a légué son ultime édition, avec d’une part les propos mythologiques d’Akram Khan, personnels et autobiographiques comme chez Nadia Beugré. Avec des propos politiques comme avec le NDT ou Amit Noy. Et d’autre part, des études sans narration, s’articulant autour du geste en tant que tel, comme chez Armin Hokmi, les Friends of Forsythe et Sylvain Huc / Mathilde Olivares. Chez certains, le mouvement n’a rien d’autre à relater que sa propre énergie, sa propre vie. Chez d’autres, il est au service d’un manifeste.

Pour souligner cette dichotomie, rien de plus clair que le geste de Huc & Olivares à la fin des saluts. Un petit mot adressé au public, une feuille à attraper à la sortie. Donneraient-ils là des explications sur le spectacle qu’on venait de voir, La Vie nouvelle, duo qui semble évoquer une myriade de situations sans jamais livrer la moindre explication ? Au contraire, la page contient tout leur effarement face à la situation politique et humanitaire qui se dégrade dans le monde. « Nous affirmons que les lieux d’art, pour rester des espaces de poésie et d’humanité, peuvent et doivent aussi être des lieux de prise de position et de lutte », concluent-ils leur manifeste post-chorégraphique.

Optimiste par son titre

Huc et Olivares séparent les événements dans le monde de la poésie sur le plateau. Leur aventure à deux semble raconter mille micro-histoires et est ouverte à toutes les interprétations. Comme l’est aussi le langage de leur danse qui sait passer par tous les états – de joie, de peur, de sérénité, d’agitation, de stabilité ou d’apesanteur. Entre lyrisme et sobriété, amplitude et suspensions, Huc et Olivares ont créé leur propre grammaire, et donc un « système où tout se tient » (ce qui caractérise une langue selon Ferdinand de Saussure). Dans un tel système, les éléments peuvent se combiner librement et à l’infini, ce qui semble être la condition même de la création d’une « vie nouvelle » qui ne tomberait dans les travers de la vie à l’ancienne.

Galerie photo © Laurent Philippe

Comme son titre l’indique, La Vie nouvelle  est une pièce optimiste. Ce qui n’est possible qu’à condition de la séparation entre la danse et le cours du monde. Alors, peut-être, une telle poésie du mouvement peut-elle permettre aux spectateurs de se ressourcer pour repartir au combat, pour concevoir une vie nouvelle à la ville. Sur scène, Huc et Olivares se rapprochent parfois de l’esprit de Carolyn Carlson qui définit sa danse comme « poésie visuelle ». On peut aussi songer aux ambiances dans Annonciation  d’Angelin Preljocaj, qui partait là d’une situation concrète. Comme entre Marie et l’ange chez le directeur du CCN d’Aix-en-Provence, chaque geste de Huc et Olivares représente un absolu. On ne sait de quelles sortes d’images les deux sont partis, et il est primordial que rien n’en soit dévoilé. Mais les unissons de la première partie, où tout est mû par le passage permanent d’un relais blanc (à moins qu’il s’agisse d’un cierge) semblent parfois être empreints d’une profonde spiritualité.

A partir de là, toutes les aventures partagées sont possibles et imaginables, entre ces deux figures qui nous inspirent une confiance absolue en leur capacité à naviguer à travers terres, mers et cieux. Qui se débarrassent même assez rapidement de l’objet blanc et cylindrique, seul accessoire sur le plateau, par ailleurs merveilleusement habillé par les lumières de Jan Fedinger qui deviennent un élément scénographique actif et poétique. Dans l’ambiance sphérique du tableau final se dessine un passage vers des sphères qui sont à définir selon le goût de chacun. Définitivement, quelque chose s’est passé entre le début et la fin. Mais quoi ? Ont-ils juste partagé une conversation, quelques aventures éphémères ou bien une vie entière, pour finalement partir vers une vie nouvelle ? S’agirait-il de cette « vie » où ils pourraient retrouver Montanari ?

Sans titre

Alors, l’abstraction, la vraie, est-elle finalement impossible ? Pour s’en rapprocher, on se tournera vers les Friends of Forsythe. Le sextuor – où l’on retrouve Raul RubberLegz Yasit et Brigel Gojka qu’on avait croisés à Montpellier Danse dans A quiet Evening of Dance  de William Forsythe [notre critique] et puis, ailleurs, dans leur non moins remarquable Neighbors  [notre critique]. Ils affirment d’emblée leur quête d’une danse pure, par le fait de ne pas donner de titre à ce programme de pièces brèves et de travailler sans bande musicale, ce qui pourrait en soi introduire des pistes narratives. « Toute la musique est créée avec nos propres corps », affirme Yasit à Montpellier Danse.

Danser sans titre ? C’est que fait la compagnie TAO sous la direction de Tao Yé qui remplace les titres par des chiffres correspondant au nombre de danseurs sur le plateau. Il suffirait de définir un titre pour que la lecture du spectateur soit biaisée, affirme-t-il. De tableau en tableau, Rauf Yasit, Matt Luck, Julia Weiss, Brigel Gojka, Aidan Carberry et Jordan Johnson comparent et célèbrent leurs langages chorégraphiques, entre le traditionnel, les danses urbaines le contemporain et le classique. Au début, Yasit et Gjoka interrogent la construction du corps humain et proposent de surprenantes alternatives. Tantôt ça part des bras, tantôt du bassin, tantôt de la tête. Si Forsythe a participé au travail chorégraphique (sans que l’on sache dans quelle dimension et de quelle manière), on peut s’interroger sur une lointaine contribution de Picasso !

Galerie photo © Laurent Philippe

L’espace de cette danse est ici toujours celui que chacun se voit offrir par ses partenaires. Cet espace, on l’accepte volontiers pour se laisser surprendre par l’autre comme par son propre corps. Aussi la grammaire d’une danse se voit transposée et le centre de gravité se décale alors que la technique de l’un croise celle de l’autre. Les corps peuvent alors s’imbriquer sans pour autant se toucher, parfois dans une grammaire liée à d’autres champs comme les arts martiaux. Quelqu’un propose un geste, les autres suivent et se l’approprient. Ce n’est qu’à la fin que des relations se tissent aussi par quelques regards et émotions. Juste ce qu’il faut, sans aller plus loin. Pour ne pas basculer dans un champ de lecture qui créerait l’envie d’un titre…

Thomas Hahn
Studio Bagouet, le 3 juillet 2025
45e festival Montpellier Danse

La Vie nouvelle
Conception, chorégraphie, interprétation : Sylvain Huc et Mathilde Olivares
Création lumière : Jan Fedinger
Univers sonore et conseil artistique : Fabrice Planquette
Regard extérieur : Théo Aucremanne
Regard extérieur et assistante : Juliana Béjaud
Interlocuteur : Daniel Larrieu
Régie lumière, régie générale : Manfred Armand
Régie son : Bernard Lévéjac
Costumes : Lucie Patarozzi

Friends of Forsythe,
Théâtre Jean-Claude Carrière, le 26 juin 2025
45e festival Montpellier Danse

Conçu par William Forsythe et Rauf « RubberLegz » Yasit
Chorégraphie : William Forsythe, Rauf « RubberLegz » Yasit, Matt Luck, Riley Watts, Brigel Gjoka, Aidan Carberry et Jordan Johnson (JA Collective)
Avec Rauf « RubberLegz » Yasit, Matt Luck, Julia Weiss, Brigel Gjoka, Aidan Carberry, Jordan Johnson

 

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