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Montpellier Danse : Le point sur la nouvelle direction

La danse à Montpellier a un nouveau patron, ou plutôt quatre. De nouveaux arrivants brillants et plus clairs sur leurs intentions que ne le sont les institutions. Un projet qui s'annonce passionnant à suivre, y compris sur le plan pédagogique et de la politique locale.

L'annonce de la nomination de Jann Gallois, Dominique Hervieu, Pierre Martinez et Hofesh Shechter à la direction de l’Agora – Cité internationale de la danse, le 10 avril, a marqué l'aboutissement du processus de nomination commun à la tête du festival Montpellier Danse et du Centre Chorégraphique National de Montpellier (CCN) et l'on peut accorder que celui-ci s'est déroulé dans les règles de l’art.
Pour mémoire, ce processus débute réellement (et seulement car il y a eu beaucoup de rumeurs) le mardi 9 avril 2024, quand « le Conseil d’administration de Montpellier Danse, réuni en Assemblée générale en présence des représentants de la Métropole de Montpellier, de la Région Occitanie et du Ministère de la Culture sous la présidence de Didier Deschamps, a pris acte de la décision de Jean-Paul Montanari, directeur, de faire valoir ses droits à la retraite au 1er octobre 2024. » Le cadre temporel était fixé. Pour le reste les choses s'annonçaient plus confuses car au fil du temps, le Directeur du Festival Montpellier danse avait largement dépassé le strict cadre de son festival, lequel n'est pas rien : un budget de 3,3 millions pour une manifestation de réputation mondiale, ce budget incluant le coût d'une saison complète que l'institution porte désormais entièrement seule. Mais il y a aussi l'Agora de la danse bâtiment patrimonial lourd (XVIIe siècle) avec trois studios, un théâtre de plein air et la cour (lieu de spectacle « in situ » ) qui surtout héberge également le CCN… Les deux institutions entretenant des relations notoirement tendues depuis une dizaine d’années. Les départs simultanés de leurs deux directeurs donnaient l'occasion de les fusionner. Enfin Jean-Paul Montanari dirigeait aussi la Cité internationale Agora de la danse comme entité, soit onze logements qui accueillent chaque saison plus d'une trentaine de chorégraphes (avec souvent leur compagnie). Ces résidences d’artistes bénéficiant d’un budget de fonctionnement de 80 000 € apporté par Montpellier Danse et la Fondation BNP Paribas. Un dispositif unique en Europe pour une activité qui tient une place croissante. Cette introduction pour expliquer que la candidature devait être collective (ce que rappelait l'appel d'offre) et réponde à des exigences dont beaucoup étaient non formulées (comme la nécessité économique d'une compagnie « qui tourne », ou la dimension pédagogique représentée par exerce, le Master créée en 2001 avec l'Université Paul-Valéry Montpellier 3).

En tout neuf équipes postulèrent pour prendre les rênes de la nouvelle entité, mais la short list (quoique secrète) a rapidement été connue, chaque collectif s'incarnant derrière une figure Dominique Hervieu, Nicolas Dubourg, Nacera Belaza et Annie Hanauer, « chorégraphe américaine, vivant entre la France et le Royaume-Uni », mais plus connue comme danseuse pour Rachid Ouramdane (Tordre, 2014) en duo avec Emanuele Masi ancien directeur du Festival Bolzano Danza. Les tutelles reconnaissaient in petto que les propositions n'avaient, dans leur ensemble, pas été enthousiasmantes et force est d'admettre que le quadrige qui entraîne aujourd'hui la danse à Montpellier a un peu tué le suspens tant les quatre personnalités se complètent.


Tout naît durant l’Olympiade culturelle des Jeux olympiques et paralympiques Paris 2024 pour laquelle, en 2022, Dominique Hervieu est nommée directrice de la culture. Elle y rencontre Pierre Martinez qui y gère 13,19 M€, hors masse salariale… L'homme est un spécialiste des questions difficiles et a été à la manœuvre lors de la transition du CCN de Roubaix au départ d’Olivier Dubois, ou encore celle du CNDC d’Angers. Dominique Hervieu lui confie être intéressé par Montpellier mais ne pas vouloir « y aller » sans lui. L'ex-directrice de la Maison de la danse de Lyon, ex- codirectrice du Théâtre national de Chaillot après celle du CCN de Créteil, coche pourtant toutes les cases pour diriger Montpellier Danse. Mais la moindre de ses compétences est de connaître ses limites et l'extrême complexité de la fusion qui se profile. Pour les deux autres protagonistes : Jann Gallois artiste résidente à la Maison de la danse est depuis plusieurs années une des valeurs sûres de la jeune génération de chorégraphes, et sa candidature a été plusieurs fois évoquée pour prendre la direction de CCN même si elle s’est montrée d'une grande prudence sur ce sujet. Le coup média a bien évidemment été de convaincre Hofesh Shechter. Star de la danse contemporaine mondiale le chorégraphe israélien est installé à Londres où il anime deux compagnies (Hofesh Shechter1 & 2). C'est là que Dominique Hervieu et Pierre Martinez vont le rencontrer et le convaincre. Le quadrige se retrouve ensuite à Lyon durant les représentations de sa compagnie. L'entente est immédiate. La machine est lancée. On connaît la suite.

Reste que, après la nomination, l'essentiel reste à faire car les tutelles pour avoir, du côté de la Mairie notamment, beaucoup poussé à la fusion du CCN et du festival, n'ont guère avancé sur la réalité pratique et juridique du dossier. Dès le nom, cela se corse puisque nul ne sait encore clairement comment appeler la nouvelle entité : le communiqué de presse du ministère de la culture désigne « l’Agora, Cité internationale de la danse dotée du label Centre chorégraphique national (CCN) », ce qui n'est pas le plus simple et il serait regrettable que le vocable Montpellier Danse disparaisse totalement quand tout le monde entend rendre hommage à l'action de Jean-Paul Montanari.

Si le montage juridique reste encore extrêment flou, il doit, avec certitude, s'agir d'une association loi 1901 reprenant les actifs et tous les contrats (donc tous les salariés) des deux associations pré-existantes (CCN et festival Montpellier Danse). Mais l'hypothèse d'un « super Centre de Développement Chorégraphique » dans lequel -un peu sur le modèle du CCN-Ballet de l'opéra au sein de l'Opéra du Rhin le CDC tenant la place de l'Opéra – aurait été intégré le CCN de Montpellier a été, de fait, écartée. Depuis deux mois, Thierry Tordjman est chargé d'une mission de management de transition et des projets circulent. Ce dont les quatre nommés ne s'offusquent guère. Comme l'explique Pierre Martinez, « il vaut mieux maintenant que tout ne soit pas entièrement bouclé avant que l'on puisse prendre la mesure de la réalité ».
Si le flou institutionnel domine largement, du côté des futurs directeurs, les choses ont été éclaircies. Tous logeront à Montpellier, sauf Hofesh Shechter car le chorégraphe basé à Londres garde son activité personnelle et une bonne part de son activité, mais tous seront salariés en CDI sur un modèle qui emprunte au collectif F.A.I.R.E lequel dirige actuellement le CCN de Rennes. Hofesh Shechter disposera d'un CDI de droit français sur une base de temps partiel (20%) et sera, de ce fait pleinement directeur du CCN. Pour Jann Gallois, les choses sont encore plus claires.

La chorégraphe crée sa nouvelle pièce, Imminentes, pour six danseuses, les 4 et 5 novembre 2025, à la MC2 de Grenoble, puis, après quelques dates de diffusion, mettra sa compagnie Burn Out en sommeil. Le contrat avec Montpellier commencera le 1er janvier 2026. Les danseurs de ses futures productions seront engagés par le CCN. Dominique Hervieu comme Pierre Martinez souhaiteraient, pour leur part, être en poste en septembre ou octobre. Mais cela suppose réglés les questions juridiques évoquées ci-dessus et, pour être un sujet au cœur des préoccupations depuis l'origine du projet, cet aspect n'a pas encore été tranché et imposera ses propre délais (c'est le président de la future association qui doit, par exemple, signer les contrats de travail). Les quatre futurs co-directeurs souhaitent être sur place pour la prochaine édition du festival ( 21 juin au 5 juillet 2025). À noter que cette quadri-direction ne se traduira pas par un alourdissement des coûts salariaux puisque il s'agit de remplacer Christian Rizzo (CCN) et Jean-Paul Montanari (Montpellier danse) mais aussi Rostan Chentouf, directeur délégué du CCN, et Gisèle Depuccio, directrice adjointe de Montpellier Danse, soit quatre postes pourvus par quatre nouveaux arrivants.

Pour les deux chorégraphes co-directeurs dont il est bien à souligner qu'aucun n'a barre sur l'autre et qu'ils sont également associés aux choix artistiques d'ensemble comme aux résidences de compagnie, ils réaliseront une création en alternance par an. Celle de 2028 devrait échoir à Hofesh Shechter pour sa compagnie 2 dont la présence à Montpellier va être importante. Les treize jeunes danseurs qui y participent (contrats de deux ans) vont être souvent présents dans les murs de l'Agora. Ils représentent l'un des trois volets de la dimension pédagogique, avec exerce la formation supérieure en recherche chorégraphique, mais aussi la nouvelle classe préparatoire permettant, un peu sur le modèle de L'Atlantique Ballet Contemporain qu'anime la compagnie Sine Qua Non Art à la Rochelle, à des danseurs n'ayant pas suivi les parcours reconnus de formation en danse, d'intégrer le Master. Dominique Hervieu et Jann Gallois insistent beaucoup sur cette dimension pédagogique et leurs implications respectives. Hofesh Shechter va y être largement associé, car la présence des « apprentis » de la compagnie 2 va pouvoir fournir un contingent d'interprètes à la formation de chorégraphe et ancrer celle-ci dans la pratique de la danse, ce qu'elle a pu parfois négliger.

Enfin, cette nomination a permis un changement dans le fonctionnement même du milieu chorégraphique de Montpellier. Le 13 janvier 2025, une conférence de presse a officialisé les travaux d'une soixantaine de personnalités du champ chorégraphique de la ville et de sa région regroupés, pour réfléchir à ce que pourrait être une politique chorégraphique dans une zone géographique moins riche que ce que l'on pourrait croire. Plutôt que de protester et de récriminer sur le ton de la revendication personnelle, ce Manifeste sollicite une place au CA de la future institution en gestation et envisage le territoire au sens élargi. Il se pose aussi en force de proposition plus que de récrimination, posture assez nouvelle. Là encore, tout reste à faire mais avec de belles promesses.
Philippe Verrièle

 

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