“Mes Autres“ de Sylvie Pabiot et “Kill Me“ de Marina Otero
“Mes Autres“ de Sylvie Pabiot et “Kill Me“ de Marina Otero Une soirée qui réunit deux œuvres fortes, très différentes voire opposées mais qui ont la nudité féminine comme dénominateur commun ouvrait le festival Immersion Danse de Vélizy-Villacoublay.
Dans Mes autres, qui sont les autres de Sylvie Pabiot ? Déjà cet autre qu’est son corps – dans son plus simple appareil – vu et interprété par les autres qui l’observent et auquel elle n’a pas accès. Mais ce sont aussi toutes les fantasmagories qui nous composent, ces fictions illusoires et nécessaires du moi, d’autant plus pour un danseur ou une danseuse qui oscille toujours entre être et avoir un corps.
Ce sont encore ses sensations qu’elle essaie de rendre visibles en jouant avec l’invisible qui la hante. Ce sont enfin ces parties qui, sous l’effet de la scénographie lumineuse de Guillaume Herrmann, deviennent totalement innommables et apparaissent comme autant d‘inconnus ou d’insus corporels et incarnent des personnages fantastiques, des hominidés, des gorgones ou des gnomes, voire même des Aliens – soit très précisément le radicalement autre, ce qui nous est le plus étranger… mais peut nous habiter.
Jouant avec l’animalité, déplaçant sans cesse les représentations d’une identité obligée, elle livre un « spectacle » très intime, très intense, somptueux avec presque rien, si ce n’est son corps, sans projecteurs, sans décor, juste la précision d’orfèvre de la lumière, et la scénographie sonore de Nihil Bordures, ses deux complices dont le travail est à saluer. Et il faut s’abandonner aux images surprenantes, fulgurantes qui surgissent, mangées par l’ombre, comme une œuvre au noir, un rivage, un ressac où roulent des coquillages, où l’organique devient paysage. Comme une femme qui avance dans la nuit, Sylvie Pabiot nous offre un voyage immobile, contemplatif et poétique. Une œuvre plastique à méditer.
Soit le contraire exact de Kill Me de Marina Otero. Chez elle, la nudité est crue, comme les éclairages bruts qui n’évitent aucun détail. Hurlante, baroque, revendicatrice, Marina Otero est l’une des figures de la scène argentine alternative, connue pour ses spectacles volontiers provocants. Kill Me est le troisième volet d’un triptyque autofictionnel qui comporte également Fuck Me et Love Me.
Crédit photo Kill Me © Marina Caputo
Après une sorte d’introduction où elle raconte sa forme de dépression à la suite d’une rupture avec Pedro, portrait type du pervers narcissique, dans un montage vidéo assez hystérique avec ses plans qui se chevauchent, elle annonce le diagnostic de personnalité borderline qui lui a été diagnostiqué. Est-ce la raison ? Kill Me sera – officiellement – interprété par trois danseuses borderline (dont elle-même), une musicienne bipolaire, une fille de psychanalystes lacaniens et un prétendu « sosie » de Nijinski qui ressemble plus à la caricature d’un Bacchus transformé en femme qu’au danseur étoile des Ballets russes. Les voilà donc toutes sur le plateau, nues, emperruquées de chevelure rousse et un flingue à la main faisant penser à un générique de James Bond passé à la moulinette d’Angelica Lidell, ou à un numéro du Crazy Horse mal bidouillé.
Bientôt, exit la perruque mais pas le revolver. Toutes viennent raconter, en émaillant leur récit des mouvements qui les caractérisent – comme les DSM classent les maladies mentales – leur vie, leurs passions, leurs angoisses et leurs déboires. Toutes sont poignantes dans leurs témoignages imagés, et Marina, sorte de guerrière furieuse et intrépide, qui s’imagine en Sarah Connor (oui, celle de Terminator !) impétueuse et violente mène l’ensemble à toute volée. Le point commun de toutes ces identités fracassées ? Elles veulent être aimées, elles veulent « plaire » tout en sachant que c’est la cause première de leur aliénation – au double sens du terme. Il y a une danseuse classique qui se jette en l’air ou par terre avec une énergie d’après tout et nous raconte qu’elle s’est déjà brisé tous les membres, ou danse le backpack kid dance (la danse fétiche de tik tok où l’on balance son corps raide entre ses bras tendus), la pianiste qui hésite, le Nijinski Bacchus dysfonctionnel et celle qui glisse vêtue d’ailes en patins à roulettes. La musique est tonitruante. Et tout finit sur Wrecking Ball de Miley Cyrus. Mais est-ce la fiction ou la réalité ? Et ces interprètes ont-elles une existence propre ou ne sont-elles qu’une émanation des fantasmes érotico-suicidaires de Marina Otero ? Voilà qui ouvre une porte sur une question vertigineuse à laquelle on se gardera bien de répondre. Reste que le spectacle est un pied de nez au "corps médical" et un joyeux délire qui entraîne les spectateurs dans son tourbillon infernal.
Agnès Izrine
Le 5 novembre 2024 à l’Onde Théâtre et Centre d’Art de Vélizy-Villacoublay dans le cadre du festival Immersion Danse.
Mes Autres est programmé le 17 février 2025 dans le cadre du Festival Faits D’Hiver au Colombier, Bagnolet.
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