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Mehdi Kerkouche et ses « 360 » tours de manège

Après Portrait, son album photo dansé, familial et inter-générationnel, revoilà Mehdi Kerkouche ! Avec 360, le grand charmeur passe à une messe circulaire proche d’un concert rock, et affirme une volonté de boost énergétique, de rajeunissement, et d’immortalité ressentie.


Dans cette forme inattendue, le public se tient debout et entoure une aire de jeu à plusieurs plateformes, liées par des échelles. Huit danseuses et danseurs forment un cercle et pourtant chacun se tient en bord de scène, face au public comme pour un bain de foule.

Et ça grouillait de monde à Chaillot Théâtre national de la Danse, pas seulement dans la salle Firmin Gémier mais un peu partout. Chaillot entier s’était transformé en une sorte de salle des fêtes, envahi d’un public excité, remarquablement rajeuni. On pouvait estimer à 360 environ le nombre de personnes qui entouraient la plateforme imaginée par la scénographe Emmanuelle Favre. Visiblement le public entendait le titre de ce weekend  à Chaillot, On danse chez vous, comme une invitation à s’approprier les lieux. Mais il faut aussi saluer une armée de techniciens, omniprésents et efficaces, pour une fois mis en lumière, eux qui généralement travaillent dans l’ombre de la boîte noire.

Qu’est-ce qui nous rend vivant ?

Une sensation de liberté était le but affiché par Kerkouche : « La scénographie est conçue pour permettre à chacun.ne de profiter de la performance sans contrainte, mais le public sera également invité à y participer. Les spectateurs se déplaceront et seront invités par les artistes à créer les différents espaces de jeu. L’objectif principal est de créer une communauté et de répondre aux questions essentielles de la vie en groupe. Les spectateurs alterneront entre le rôle d’observateur et de participants, cherchant à se connecter aux artistes pour répondre à la question : qu’est-ce qui nous rend vivant ? »
Autour du plateau circulaire, la foule pouvait effectivement évoquer une communauté, un culte, une messe noire… Et qui dit, circulaire dit aussi, circulation… Et finalement, non. Le public ne se mettait pas à bouger et, si la scène donnait l’impression de tourner, c’était dû à un astucieux effet de lumière, tellement confondant que même après moult vérifications, on n’arrivait toujours pas à déterminer avec certitude la véracité de cette trépidante inertie. Ces 360, degrés ou jours de l’année, offraient donc une expérience comme il y en a trop peu dans le paysage chorégraphique. Et au centre, assez large pour un duo, on verrait bien des musiciens s’agiter, d’autant plus que la bande son composée par Lucie Antunes quitte parfois l’ambiance techno/électro pour se lancer dans un groove de batteur et bassiste.

Mais il faut faire des choix, et les effets de fumée l’ont emporté. Et puis, Kerkouche n’avait-il pas aussi promis un spectacle où « huit danseurs, issus de divers horizons artistiques, s'unissent pour façonner un langage commun à travers la danse », où « en dépassant leurs techniques d'origine, ils créent ensemble une harmonie vivante, illustrant notre capacité à collaborer et à célébrer la richesse du faire commun » ? La foule était enthousiaste, mais dans les cultes c’est gagné d’avance. L’adepte de le création artistique ne pouvait y voir qu’une forme de hurlement chorégraphique où les effets criards et les dynamiques grimaçantes l’emportent sur toute forme de subtilité. Qui préfère les orfèvres aux alchimistes risquait fort de rester sur sa faim. Quant à «l’harmonie vivante», elle est sacrifiée sur l’autel des luttes intestines servant une pseudo-dramaturgie cherchant à relancer sans cesse les violents tropismes.

Signes du temps

Lors d’une dynamique sonore produite en tapant sur les barres avec des bâtons en bois, on songea aux prestations des célèbres Métalovoice, où l’écriture musicale était d’un raffinement absolu et liée à une revendication politique s’exprimant par le gestus musical perturbateur. 360 n’en présente qu’un fade arrière-goût qui nous laisse sur notre faim, rappelant aussi d’anciennes messes noires des Catalans de La Fura Dels Baus, sans franchir le pas d’une transgression assumée. Un signe du temps, de notre époque où l’on passe de la subversion à l’animation ? À aucun moment, 360  ne débouche sur une vraie conscience ou revendication collective qui saurait se saisir des corps ou des esprits.

Galerie photo © Julien Benhamou

Il est intéressant de regarder en ce sens le rapport à l’image de ce Kerkouche qui s’est fait connaître par un travail de danse en vidéo où, déjà, le travail chorégraphique se situait dans le montage d’images plus que dans le geste dansé. Mais il réagissait alors à l’isolement dû au confinement Covid. Ensuite, Portrait  partait de photos familiales, comme si les images vidéo étaient physiquement réunies. Et on se disait qu’avec le temps il allait sans doute surmonter ces contraintes, on pensait qu’un directeur de CCN allait forcément trouver les moyens d’enrichir son inspiration et son vocabulaire chorégraphique. On attend encore…
Mais 360  s’adresse peut-être à un tout autre marché. Bien plus déterminante que le travail chorégraphique, la structure rappelle les propositions chorégraphiques pour l’espace public, où il faut fournir du spectaculaire et capter l’attention du chaland en grossissant le trait, pour éviter qu’il n’aille voir ailleurs. Et cette installation dansée est effectivement annoncée à la Biennale de la danse, à Lyon, sur la place Bellecour en clôture du Défilé, en plein jour et donc sans les effets lumineux mais avec la participation d’un groupe de danseurs amateurs. Une image forte pour un événement officiel, un semblant de provocation à la clé, c’est peut-être la vraie vocation de ce manège que ses carences en matière de profondeur n’empêcheront pas de tourner.

Thomas Hahn
Vu à Chaillot Théâtre national de la Danse, le 17 mai 2025

Distribution
Direction artistique et chorégraphie : Mehdi Kerkouche
Assistante à la chorégraphie : Sacha Néel
Musique : Lucie Antunes
Lumières : Rainbow
Scénographie : Emmanuelle Favre assistée d’Anaïs Favre
Costumes : Guillaume Boulez
Régie générale et son : Frédéric Valtre
Régie lumières : Charlie Lhuillier
Danseurs et danseuses : Jolan Cellier, Téo Cellier, Ashley Durand, Matthieu Jean, Jaouen Gouevic, Fien Lanckriet, Alice Lemonnier, Matteo Lochu, Grâce Tala.

En tournée :
Festival de Marseille du 25 au 27 juin
Biennale de la Danse, Lyon le 7 septembre

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