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Mathilde Invernon et Candela Capitán au Festival de Marseille

À la Friche Belle de Mai, le Festival de Marseille a enchaîné, au cours d’une même soirée, Bell end de Mathilde Invernon et Solas de Candela Capitán, nouvelle icône de la scène barcelonaise. Un voyage à travers les fantasmes et obsessions érotiques, par la fabrication de leurs images et le regard de deux femmes sur leur intrusion dans le quotidien.

Ce fut la soirée de tous les fantasmes et obsessions sexuelles. D’abord, Bell End de Mathilde Invernon, son duo avec Arianna Camilli [notre critique] qui dénonce et détourne les comportements des mâles qui fantasment sur les femmes avec « un regard qui insiste, des soupirs qui durent... », ce mâle qui ne sait que faire de sa testostérone. Bell end, nous apprend la feuille de salle, est l’expression anglaise pour le gland. Mais ce n’est pas tout. Le terme est aussi utilisé pour exprimer son dédain vis-à-vis de personnes que l’on considère comme incapables et primaires. Bref, des « connards », pour reprendre le qualificatif choisi par Invernon.

Après cette étude comportementale, cinq femmes en body rose, comme pour illustrer l’image que les « connards » d’Invernon projettent sur les femmes qu’ils croisent dans la rue ou ailleurs, forment le bataillon de danseuses de Candela Capitán. Devant leurs Macbook et leurs Iphones, face aux caméras, le quintette répète inlassablement les mêmes gestes sexuellement suggestifs et stéréotypés, censés flatter les glands en quête de conquêtes. Et pourtant seuls. Seules elles sont, chacune en train de s’agiter aux antipodes des 10000 Gestes de Boris Charmatz (qui jamais ne se répètent). Ici, dix gestes maximum et zéro individualité. Cinq interprètes, certes. Mais une seule image, normée par l’industrie du sexe. Cinq solitudes mécaniques, comme dans une mise en abîme, tel un fantasme de plus.

Les cuissardes blanches à haut talon et les justaucorps en lycra rose uniformisent autant que les coiffures. De la femme ne reste qu’une image, plus irréelle que dans toute revue, du Moulin Rouge au Crazy Horse. Un corps-machine à exploiter. La femme-objet s’expose et le spectateur (hommes et femmes confondus) peut suivre le show sur son smartphone, via un site pornographique sur lequel on est invité à s’inscrire : « Une fois connecté à la plateforme, scanne à nouveau le code QR. Si tu as déjà un compte, clique sur log in… » Mais le public résiste. Dans le cadre d’un festival de danse, il vient pour voir un spectacle. Et il insiste. Alors, on se retourne dans la salle et on vérifie. Qui regarde son petit écran pendant le show ? Personne, ou presque.

Le public affiche ses préférences : Il voudrait l’unité de temps et de lieu. Mais l’immense fond de scène, aussi blanc que le sol, reste vierge. Comme les corps par ailleurs, certes soumis à des cadences qui font des femmes des automates dans la douleur. Le spectacle se contente de suggérer, et c’est l’aspect qui, plus que tous les autres, rapproche Solas  de la danse. Son objectif est avant tout de nous mettre face au voyeurisme fomenté par les petits écrans et l’atomisation de la société moderne. Via les écrans, les cinq solitudes féminines rencontrent des millions de solitudes masculines. Et sur le plateau se dessine toute la vacuité du lien social jeté par-dessus bord.

Aussi Candela Capitán, née à Séville et travaillant à Barcelone, mène sa barque entre performance, culture underground et danse contemporaine, telle une version light de Florentina Holzinger, l’Autrichienne qui crée des formats monumentaux dans une revendication crue du désir féminin. La figure démultipliée dans Solas a d’abord été conçue pour un solo, Dispositivo de Saturación Sexual. Seis habitaciones en el (ciber)espacio,  point de départ de la réflexion de Capitán sur l’objectivation du corps de la femme à l’ère du tout-numérique. Avec Solas, elle poursuit sa réflexion sur l’évolution d’une société qui fait, de plus en plus, de la satisfaction des désirs primaires son sujet principal. Quid de la poésie du désir si tout est à portée de clics ?

Le résultat de cette disponibilité instantanée de la satisfaction est constaté par Mathilde Invernon. Le « connard », dit-elle, « marche dans nos rues, prend le bus, partage notre repas du dimanche ». Et il scanne son QR code, puis s’accroche à son écran qui se transforme en salle virtuelle et rose. De la webcam à l’écran, la solitude mutuelle n’est pas le résultat mais la condition d’un mécanisme qui réduit la sexualité à la pornographie et la femme à une figure en lycra rose, à l’écran comme à la ville. Rarement deux propositions réunies en une soirée se sont à ce point répondu.

Thomas Hahn

Festival de Marseille, le 2 juillet 2025

Bell End
Conception, mise en scène : Mathilde Carmen Chan Invernon
Interprétation : Arianna Camilli, Mathilde Carmen Chan Invernon
Scénographie et costumes : Andrea Baglione
Création lumières : Justine Bouillet et Loïc Waridel
Création sonore : Aho Ssan et Loïc Waridel
Coach vocal : François Renou
Confection costumes : Charlotte Lépine

Solas
Chorégraphie et création scénique : Candela Capitán  
Interprétation : Rocío Begines, Laia Camps, Mariona Moranta, Vera Palomino, Julia Romero  
Direction des répétitions et assistance chorégraphique : Virginia Martín  
Création sonore : Slim Soledad  
Conception lumière : Valentina Azzati  
Costumes : Candela Capitán, extraits de son solo Dispositivo de Saturación Sexual, initié en 2019  

 

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