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« Longueur d’avance » au Festival Plein Phare

Pour cette troisième soirée du festival Plein Phare, intitulée Longueur d’avance, Fouad Boussouf a donné carte blanche et apporté son soutien à quatre jeunes chorégraphes qui présentent leur toute première pièce. Le directeur du CCN souligne aussi par là son intention d’une programmation « intergénérationnelle ». C’est ainsi que le public a pu apprécier les vieux routards et les jeunes pousses, Dominique Boivin accompagné de Daniel Larrieu présentant la veille l’excellent Tenues de scène - Road Movie. [lire notre critique].

Charlène Pons, qu’on a pu voir danser dans Feû de Fouad Boussouf, ouvre le bal avec Caprice, version courte de 25 minutes laissant entendre un possible développement. Assise sur une chaise au centre du plateau dans un costume over size lui donnant un petit air à la Chaplin, elle développe un phrasé et une ponctuation corporels riches et imagés. Haussements d’épaules, retournement des mains, soubresauts, affaissements, tensions, chutes, balancements  et pulsations rythment le développement de sa danse et de son propos. Elle semble s’adresser autant à elle-même qu’aux trois autres chaises blanches disposées à proximité en demi-cercle, telle une petite société invisible. Alternant états d’hypertonie, comme si son corps était parfois secoué de décharges électriques, et   relâchements complets, sa grande veste lui servant parfois d’abri ou la faisant disparaître, elle questionne, doute, et se livre entre détresse et sérénité, panique et calme jusqu’à un moment paroxystique de rébellion. Cette gestuelle éloquente et la poésie qui se dégage de la pièce, bouclée par un texte original – on apprend que Charlène Pons écrit aussi des poèmes – nous touchent. Sans effets scéniques, avec une grande économie de moyens, Charlène Pons suit son propos du début à la fin avec beaucoup de justesse et sans jamais se perdre en route, osant une mise à nu sincère et percutante.  

Du texte aussi dès l’ouverture de Jusqu’à la nuit où Fiona Le Goff souhaite convoquer ce qu’elle appelle « nos fantômes, c’est-à-dire nos failles, nos deuils et nos épreuves ». Avec en arrière-plan, une voix off parlant de détails, de petites choses de la vie, parfois obsessionnelles, comme la façon minutieuse de faire ses lacets, elle arpente le plateau à grands pas et semble préparer l’espace. Sa danse est fluide, ronde, courbe, ponctuée de suspensions, de mouvements saccadés, de postures hip-hop ou de figures acrobatiques. La pièce est séquencée et lorsqu’à mi-chemin la musique passe en registre cordes et archet, la danseuse tombe le survêt rouge et, éclairée par une large poursuite, nous offre un très beau moment où le corps devient plus mystérieux et la danse plus charnelle. Puis dans une véritable orgie de fumigènes et de lumières saturées allant du vert au violet en passant par le rouge, on finit par perdre Fiona. Noyée dans un brouillard chatoyant quasi opaque on perçoit de moins en moins sa  belle physicalité … mais c’est peut être bien à ce moment où le corps s’efface que les « fantômes » apparaissent et que la cérémonie invoquée par l’autrice peut commencer. 

En deuxième partie de soirée, l’intime et l’émotion laissent la place à deux pièces à d’une haute énergie, interpellant directement le public de manière frontale, chacune traitant en filigrane d’un sujet sociétal. 

À la fois danseuse, chorégraphe et coach sportive, Léa Deschaintres arrive sur le plateau, volontaire, vêtue d’un costume blanc comme une meneuse de revue, attrape un micro. Face au public, elle exprime sa quête de perfection et de performance, sa peur de l’échec, son désir d’avoir un corps conforme, et la violence de toutes ces contraintes. Elle sort ses oracles qu’elle tire avec le public et enchaîne sur un irrésistible coaching qui commence par une séance de cohérence cardiaque collective suivie d’un cours d’aérobic entraînant une bonne partie de la salle, qui va se gâter avec hilarité quand il s’agira d’aller à droite et à gauche. Ce cours de cardio (et la musique qui va avec) mené par une Léa désormais gainée d’un maillot en lycra rose fluo pourrait vite s’avérer répétitif, et on se demande pendant un moment jusqu’où tout ça va aller… Mais son énergie fascine, et continuant sur sa lancée, elle se met à chanter tout en sautant à la corde, chaque « plantade » étant immédiatement auto-sanctionnée, et assène en rengaine, entre rap et disco, des sentences sensées booster la performance physique et mentale.  Montée sur ressort du début à la fin, secouant la tête compulsivement, elle va de plus en plus vite, elle fait peur. Léa Deschaintres use de toute l’énergie qu’elle possède, d’humour et d’une bonne dose d’autodérision, pour aborder un sujet sérieux, emportant l’adhésion du public. Nos abysses est un show atypique et drôle qui va au-delà de son apparence.

Galerie photo © Antoine Billet

À l’instar de sa prédécesseuse et de manière plus frontale, Valentin Mériot est dans une forme performative absolue. Un marathon, d’où le titre éponyme. Ce jeune danseur formé à 16 ans par Fouad Boussouf, court pendant 45 minutes sur un couloir blanc traversant le plateau, effectuant des allers-retours. Le rythme de sa course est constant, son expression imperturbable et, là aussi, on pourrait ressentir une certaine monotonie, mais pourtant … Au long de cette quête inexorable, il va manger ou plutôt avaler des aliments, de la street-food, parfois pleine de colorants. Il crache, ça dégouline, c’est dégoûtant. De cette voie tracée et rectiligne il ne sortira pas indemne, et s’écroulera à la fin, épuisé et coiffé d’une tête de cheval. On ne peut pas parler ici précisément de chorégraphie ou de danse, mais la force de la performance est à saluer et Valentin Mériot développe lentement mais sûrement son propos, la dénonciation de la course au consumérisme, avec un engagement physique total, sans fioritures. Terrifiant et très efficace ! 

Au lendemain de cette copieuse soirée, direction le MuMa (Musée Malraux) où Charlène Pons, Valentin Mériot et Elie Tremblay démarrent l’ultime répétition de Musée Dansant, projet conçu par Fouad Boussouf qui aime investir des lieux particuliers et inspirants. Dans cette déambulation au sein des œuvres sublimes de l’exposition Les Senn, collectionneurs et mécènes, les danseurs, à la fois nourris des gestuelles qu’ils ont traversées et en impro, vont explorer le rapport au trait, prolonger les œuvres « inachevées » (esquisses et croquis) et transmettre l’émotion qui traverse les tableaux tout en  jouant avec la scénographie de l’installation.  

Ce projet muséal, porté par la même équipe, investira le Musée du Quai Branly en mai prochain. À vos agendas !

Marjolaine Zurfluh 

Vu le 22 novembre 2024 au CCN du Havre / Haute-Normandie dans le cadre du festival Plein Phare
Répétition de Musée Dansantle 23 novembre
Exposition : Les Seen – Collectionneurs et mécènes- MuMa 

Photos et teasers de répétitions 

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