Les Risques psycho-sociaux dans la danse à l’étude
Une enquête sur les risques psycho-sociaux dans la danse vient de s’ouvrir en ligne. Vous pouvez participer depuis le 7 mai et jusqu’au 2 juin, à cette initiative qui nous semble très intéressante dans le cadre de la santé des danseurs, et au-delà, du milieu chorégraphique.
Avant même de permettre de référencer les risques et d'améliorer la qualité de vie au travail dans la danse, l'enquête qui est en cours va permettre de souligner le déni qui appartient à une certaine culture chorégraphique. En cela, et sans qu'il faille en attendre beaucoup plus, c'est déjà une étape importante.
Depuis le 7 mai, et jusqu'au 2 juin 2025, pour le moment- il est possible aux professionnels du monde chorégraphique de répondre à une enquête nationale sur les risques psychosociaux (RPS), « afin d’améliorer la qualité de vie et les conditions de travail du secteur de la danse et. « de faire du secteur chorégraphique une communauté professionnelle agissante dans ces domaines, malgré un contexte socio-économique dégradé ». Sachant que ces risques couvrent un assez large spectre dans lequel l'activité d'un grand nombre de professionnels du monde du spectacle peut être incluse. Mais une petite mention, sur le site où il est possible de répondre en ligne (https://www.milieudanse-sante.com/accueil), peut étonner : « Afin de tenir compte de la complexité et de la diversité des situations du milieu de la danse, nous avons fait le choix de repousser le lancement du questionnaire de une journée ». Passons sur le fait qu'une journée, cela fait peu pour appréhender les diversités, mais le signe est parlant, la qualité de vie au travail dans la danse ne s'aborde pas tout à fait comme dans les autres domaines.
Il peut surprendre que cette démarche émane du collectif Vaguement Compétitifs, compagnie de théâtre indépendante, animé par Stéphane Gornikowski et connue pour un travail souvent corrosif et inspiré de la sociologie, en collaboration avec le cabinet Toit de Soi. Comme si le monde de la danse ne pouvait pas de soi-même regarder en face ce qui est nécessaire de changer dans son fonctionnement pour y améliorer la vie de ses professionnels. Pourtant les enjeux paraissent simples, partant du principe que « dans un contexte économique dégradé, les conditions de travail dans le secteur chorégraphique deviennent un enjeu majeur pour la santé, le bien-être et l’engagement de celui-ci ». L'enquête vise donc à identifier « les réalités du terrain et à proposer des solutions pour améliorer les conditions de travail », ce qui en soit n'a rien de disruptif ! Mais il a fallu que l'initiative vienne du dehors et que s'investissent particulièrement quelques structures très engagées – dont le CCN Malandain Ballet Biarritz –- pour que les choses évoluent.
Le document de travail qui fixe la méthodologie de l'enquête « constate une quasi-absence de références académiques françaises récentes sur la prévention des RPS dans la danse », le « Centre de Documentation du CND a abouti aux mêmes conclusions » et l'enquête INSAART (Institut de soin et d'accompagnement des artistes et techniciens) qui a recueilli 1600 réponses n'en a obtenu que quarante venant du milieu chorégraphique avec un soupçon de biais méthodologique car les réponses pourraient émaner de personnes dont l’état de santé serait moins bon que la moyenne. Parmi les soutiens chorégraphiques affichés de la démarche de Vaguement Compétitifs on notera qu'il n'y a que trois CCN, un seul CDCN en préfiguration (Le Pôle chorégraphique de Clermont-Ferrand) un seul théâtre (Le TLA scène conventionnée danse de Tremblay-en-France), et une seule compagnie indépendante ! Cela fait peu pour un domaine qui n'a aucune raison d'être structurellement à l'abri des difficultés liées à a qualité de vie et les conditions de travail.
Georges Tran du Phuoc, administrateur du CCN Malandain Ballet Biarritz, interlocuteur privilégié pour l'enquête sur la prévention des RPS, et par ailleurs extrêmement investi dans le domaine de la préservation de la santé des danseurs, explique volontiers l'engagement dans la première par son action dans le second (le CCN de Biarritz est le -premier à avoir organisé un questionnement autour de la santé des danseurs avec l'Institut Danse Santé Biarritz ce qui s'est concrétisé par les journées d'étude de Septembre 2023). « La question de la prévention des RPS s'est imposé au CCN en parallèle à la prise en compte de la santé ; et les danseurs n'en voulaient pas » rappelle-t-il quand on lui demande pourquoi un CCN s'implique ainsi dans une action qui ne relève pas de son cahier des charges.
Le monde de la danse témoigne d'une réelle répugnance à regarder ces problèmes en face, même quand des drames, comme le suicide en octobre 2010 de Philippe Ménigault, sur son lieu de travail (administrateur du CCN d'Orléans) témoignait de l'acuité de la question. La condamnation de l'employeur pour faute inexcusable (en 2013) n'a d'ailleurs pas été source de plus amples interrogations. Posons pour hypothèse que le travail de danseur, avec sa souffrance (voir le travail du sociologue Pierre-Emmanuel Sorignet), et le surpassement constant fait obstacle à cette prise de conscience. Mais ce qui ressemble à un déni existe justement aussi dans le contexte des problèmes physiques. La mort à l’âge de 42 ans, en décembre 2021, du danseur et chorégraphe Ousmane Sy, après plusieurs autres décès tragiques n'a été l'objet d'aucune étude épidémiologique. La culture de l'effort voire une « idéologie du danseur-dur-au-mal » ne pourrait-elle pas contaminer l'ensemble du monde du travail du champ chorégraphique ?
Comme le résume Georges Tran du Phuoc, « pour un danseur, la souffrance fait partie du job et si l'on ne souffre pas c'est suspect ; il faut serrer les dents pour mériter ce que l'on veut : admettre que l'on souffre, c'est admettre un faiblesse qui risque de provoquer une mise de côté. Dès lors tout le monde accepte la souffrance physique, donc la souffrance psychique et se conforme à cette mentalité, à tous les postes ». L'administrateur use d'une formule policée mais sans concession : « la culture professionnelle de la danse est marqué par un habitus de la souffrance silencieuse » !
Il est remarquable que les structures qui se mobilisent pour aider à l'enquête de Vaguement Compétitifs sont toutes particulièrement avancées sur la question de la santé du danseur. Ainsi la compagnie de la chorégraphe Mélanie Perrier, particulièrement sensible aux questions du « care ». Au-delà des clichés – pas dénués de fondement au demeurant – qui font des danseurs de jeunes passionnés, et ce que ça peut impliquer collectivement, à cause d'une carrière particulièrement intense et brève, « il y a souffrance dans la danse, souligne Georges Tran du Phuoc, elle est objectivée et factuelle, mais elle ne pourra changer tant que la collectivité n'aura pas dit que cela constitue un problème ». Les résultats de cette enquête, dont les premiers résultats devraient-être dévoilés lors du Festival d’Avignon 2025, peuvent contribuer à cette mise en lumière. Elle risque néanmoins de se heurter à des réticences profondes et il n'est pas certain que retarder d'une petite journée suffira à « tenir compte de la complexité et de la diversité des situations du milieu de la danse » ! Mais on n'est pas obligé de se résoudre à la situation sas chercher au moins à la nommer.
Philippe Verrièle
Vous trouverez ICI le lien du questionnaire du 7 mai au 2 juin 2025
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