Le Musée de la danse à la Biennale du Val-de-Marne
Vingt danseurs activent la mémoire du vingtième siècle, et par là son présent, au MAC-VAL à Vitry-sur-Seine.
On se la traîne depuis l'enfance, cette phobie d'avoir à passer en ville des après-midi dominicaux plombés. Pire : de devoir les consacrer à des visites obligées au musée. On se décide tout de même. Porte de Choisy. Bus 183. Où l'on vérifie comment les prolétaires, contraints de s'entasser dans les transports en commun pour se rendre au travail dans la semaine, sont tout autant contraints de s'y entasser quand le week-end leur laisse quelque temps libre.
Au bout du long voyage, on arrive au MAC-VAL de Vitry-sur-Seine. Là, un édile communiste, passionné d'art moderne et contemporain, aura conduit son utopie à terme : offrir à la population du Val-de-Marne, l'accès à un musée de l'art du vingtième siècle, de très haut niveau. Et de pleine actualité, sous une direction avisée. C'est là qu'était accueilli le Musée de la danse, dimanche 26 mars, à l'initiative de la Biennale du Val-de-Marne.
Un musée dans un musée ? Boris Charmatz axe sa direction du Centre chorégraphique national de Rennes sur la poursuite de l'idée d'une mémoire de la danse qui se visiterait, tout autant que son essence éphémère lui interdirait de se confire dans une conservation arrêtée. 20 danseurs pour le XXe siècle est l'une de ses productions oeuvrant dans ce sens. Balayons d'emblée une petite ambiguïté : le vingtième siècle ici en cause déborde volontiers sur les dix-sept premières années du vingt-et-unième désormais en cours. Voilà qui est dit.
Dès lors, le programme à visiter peut aussi bien inclure le voguing de Lasseindra Ninja, les gestes cernés de guerre du Syrien Mithkal Alzghaïr, que les danses d'Isadora Duncan et gammes de Rudolf Laban, activées par Elisabeth Schwartz. Voulait-on qu'un musée orchestre le déploiement d'une ample portée historique ? Nous y sommes. Et c'est précieux, pour la compréhension à travers liens.
Parlait-on d'Elisabeth Schwartz, et sa jeune partenaire Olga Dukhovnaya ? D'emblée ces deux attirent, à la fraîcheur printanière, ensoleillée, du jardin du musée, qui sied si bien aux danses libres de Duncan. En face d'elles, ce vaste espace profite aussi à la rude énergie de Dimitri Chamblas, intraitable dans ses souvenirs de Mathilde Monnier. Etrange rupture, dans ce même espace, avec Yann Saïz, transportant le répertoire de l'Opéra de Paris loin des ors et rideaux des palais lyriques.
Cette relance des espaces ne cesse pas d'opérer, tout au long des parcours libres offerts cet après-midi. Dans le grand hall, la gestuelle endiablée de Mani Mungai reprenant Michaël Jackson tutoie à distance les fantastiques brisures de cercle du plasticien Felice Varini, nouant murs et plafonds. A l'inverse, c'est à l'extrême du confinement qu'Yves-Noël Genod fait entendre les contorsions d'écriture de la langue butô d'Hijikata.
Galerie photo © Marc Domage
Souvent, les résonances se font saisissantes entre les œuvres du musée, exposées, et les danses qui s'y exposent, en regard. Regards croisés. Fécondés. Samuel Lefeuvre risque de se briser, en Wolf d'Alain Platel, cerné par les portraits en solitaire, et contextes très Hauts-de France, de Laura Henno. Repris par Boris Charmatz, Projet de la matière paraît moulée dans La mer immense d'Agnès Varda, accrochée derrière lui.
Mais alors, on a déjà saisi la magnifique diversité des propositions rassemblées cet après-midi, qui assènent au moins l'une des vérités absolues de la danse moderne et contemporaine : à savoir, son absence d'unité stylistique obligée. Le visiteur trouve quelque chose d'enthousiasmant, mais presque rassurant aussi, à vérifier qu'il peut s'affranchir de toute compréhension linéaire obligée ; pour mieux s'enrichir en fouillant des données, chaque fois renouvelées.
Les logiques d'exposition sont très diverses, volontiers guidées de vive voix par les danseurs, qui amènent ici une sorte de cours (Cunningham en trois positions, par Ashley Chen), là se frottent au témoignage vécu (Raphaëlle Launay commentant la moindre inflexion d'un poignet chez Pina Bausch), ailleurs virent en épatant récit auto-biographique (Magali Caillet-Gajan, du cabaret à Maud Le Pladec). Sans oublier les nécessaires références savantes (Annabelle Pulcini sur Bagouet, Matthieu Doze en Good Boy de Buffard, Fabrice Mazliah sur Forsythe). Etc.
Cela se donne en déambulation, de plain pied, avec faces à peine suggérées. Les enfants vont tutoyer les mollets des danseurs sans crainte. La proximité générale fait de ces artistes des partenaires du monde vivant, en recherche, de tout à chacun. Il est jusqu'à la présence prégnante du microcosme de la danse contemporaine parisienne pour paraître ici une communauté qui, plutôt que nous étouffer dans l'entre-soi, nous aide à vivre de chaleureuses subtilités.
Galerie photo © Marc Domage
Au reste, le plus saillant, le mieux partagé, des traits de ce programme, est l'arrachement des interprètes, qui chacun défend et partage son extrait. De Nadia Beugré remuant la mémoire des fondations contemporaines africaines de son amie défunte ivoirienne Béatrice Kombé, à Annabelle Pulcini saisissante pour déchirer l'esprit de La sorcière de Mary Wigman. Cet engagement de soi pour recomposer au présent du singulier l'héritage transmis du répertoire, est sans doute à ranger parmi les puissances souterraines les plus actives de la danse au XXe siècle.
Après-midi réussi, dans toutes les dimensions !
Gérard Mayen
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