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La soirée brésilienne à June Events

Puma Camillê, Jéssica Texeira et Dilo Paulo: Trois manières de créer l'incrédulité.

Mandinga do futuro, en rythme de résistance. Si tel est le titre du spectacle de Puma Camillê, c'est aussi une manière de se présenter. Et elle prononce « mandjinga ». Invite le public à « faire partie » de la cérémonie qu'elle orchestre autour d'un bol dans lequel elle verse poudres, plantes et fruits, des feuilles et une sucette. C'est selon le même principe qu'elle compose sa session scénique où les ingrédients sont humains et artistiques : le chant, le berimbau, les percussions, les platines, des costumes qui peuvent renvoyer aux Orixás et autres divinités du Candomblé. Et bien sûr, la danse. Sans oublier l'incroyable crinière de cette lionne des ballrooms.

Femme trans, noire, Camillê s'investit corps et âme dans la lutte des personnes queer de toutes les couleurs (LGBTQIAPN+). Elle a grandi dans ce qu'elle appelle "les cercles traditionnels de capoeira", puis a découvert la scène ballroom à partir de 2019. C'est tout naturellement qu'elle fusionne les deux univers dans sa capoeira-Vogue  et son collectif Capoeira para todes  où toutes les adhérentes et adhérents font partie des communautés qu'elles et ils représentent, sur scène comme dans la vie.

Galerie photos © Patrick Berger

Confondant !

Au début, et pendant un bon moment, la cérémonie de la mandinga déconcerte. Visiblement, tout est pensé et jeté sur le plateau sans se soucier des règles du savoir-créer régies par les codes du spectacle institutionnel. Un peu de revue, une dose de shamanisme, des rôles de composition où l'on joue au vieillard pour ensuite marcher en poirier et exécuter des saltos. Et c'est finalement très bien faire sortir le public hexagonal de ses habitudes.
Il suffit à Camillê et sa bande de se détacher du modèle bien ordonné et de rentrer dans leur(s) élément(s) de communion et de battles en voguing et danses urbaines pour plonger la salle dans une incrédulité délirante. Incrédulité, sauf chez la partie du public qui fréquente elle-même les ballrooms et a trouvé les chemins menant à la Cartoucherie. A l'inverse, pour celles et ceux qui ont l'habitude de la danse contemporaine, une fenêtre s'ouvre sur une scène brésilienne revigorante et militante. "Une véritable fête, un moment de liberté", selon Camillê. Elle n'exagère pas.

"Le spectacle est une expérience rituelle et le ballroom permet de se connecter à son véritable être", dit-elle. Et d'inviter le public à se libérer : "Notez sur un papier ce qui vous bloque dans la vie". C'est une invitation à les suivre sur leur propre chemin, des sentiers "qui permettent aux corps marginalisés de se reconnecter à leurs racines". C'est tout le sens de ce rite contemporain, foisonnant, délirant, touchant et revigorant qui fait sortir le spectacle contemporain de ses gonds.

Ce « corps étrange »…

On n'en dira pas moins pour Jéssica Teixeira qui s'attaque carrément au monstrueux. Nous parle de vampires et de fantômes comme images de ce que le chaland projette sur des corps qui sortent des schémas formatés. Le Brésil n'est-il pas un des hauts lieux de la chirurgie esthétique? Teixeira dévoile son corps, intégralement: « Moi qui habite ce corps étrange... » Elle parle. Beaucoup. Entre autres, de son souhait d'un paradis fait pour « les gens bizarres à qui il manque quelque chose ». Elle a raison. Le paradis ne vaut que s'il est fait pour tous.
En effet, à bien y regarder il semble que son corps ait été raccourci, compacté, probablement au niveau des hanches. Si Raimund Hoghe promenait une bosse en trop, Teixeira a une étrange absence à gérer. Mais quand elle danse, ce qu'elle fait finalement un peu, chaque mouvement affirme sa singularité. Sa brésilianité l'empêche sans doute de lorgner vers le butô, mais elle incarne à la perfection le précepte d’Hijikata selon lequel un corps parfait est un corps handicapé puisqu'il n'a pas d'histoire à raconter. Teixeira revendique son autonomie : « Je ne suis pas née dans ce corps pour payer les péchés d'une vie passée ! » La société lui renvoie bien une image de monstre, à l'instar du masque de gorille qu'elle enfile à un moment - son unique vêtement de la soirée.


En s'inspirant d'un spectacle de freak show où une actrice se transforme en gorille féroce effrayant son public, Monga  met en question tout ce que nous attendons généralement d'un spectacle. Ici le public fait face à la femme au corps déconcertant, aux écrans qui reprennent les images du plateau, à l'incroyable performance d'une traductrice en langue des signes qui ne lâche pas un instant sa danse très physique, et à un technicien à la console qui se défoule en dansant librement. Mais Teixeira peut aussi se perdre, au cours de son happening scénique, dans les méandres de ses improvisations avec le public et leur traduction. Comme Camillê, elle libère l’idée-même de spectacle et partage avec le public une messe à l’image d’elle-même : Une forme incongrue qui revendique sa liberté en débordant d’énergie positive, dans un acte militant où tout part de son propre corps.

Ce corps si puissant

La soirée avait commencé par le solo de Dilo Paulo, sur la pelouse de la Cartoucherie. Avec son solo Ekesa Sanko, l’Angolais qui s’est établi à Brasilia, ne jure que par le mouvement. On lui attestera une approche quasiment conventionnelle, quand il incarne Ekesa, un « héros » qui va « retourner au passé » – c’est la signification de la seconde partie du titre – « pour donner un sens au présent ». D’où les dessins ritualisés sur son corps, d’où ses sauts de lion qui le suspendent en l’air dans une position animale où il semble vouloir se jeter sur ses spectateurs. Mais il s’agit sans doute d’une tentative d’attraper son histoire, celle de lui-même en tant qu’Eseka comme celle de son peuple.


Dilo Paulo prouve qu’il est un véritable Nijinski noir, exhibant ses muscles comme Teixeira exhibe sa vulnérabilité. « Nos rêves sont le moteur de nos mouvements. Ils nous font avancer. Sans eux, nous ne sommes qu’une coquille vide », déclare-t-il. D’où la diffusion du discours « I have a dream » de Martin Luther King ? Paulo, qui étonne par sa puissance physique, a lancé la soirée June Events de la Saison France-Brésil avec un saut dans le passé qui a parfaitement introduit les spectacles de Camillê et Teixeira, en faisant ressortir d’autant plus leur volonté d’ouvrir des avenirs nouveaux aux rencontres avec le public.

Thomas Hahn
Spectacles vus le 10 juin 2025
Festival June Events / Saison Brésil-France 2025

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