La Maison danse : Uzès à la croisée des époques
Le 29e épisode festivalier a transformé la ville et ses abords sylvestres en un plateau de danse à 360°.
Selon le titre du festival, à Uzès, la maison danse. Mais cette maison n'est pas toujours un théâtre.Pour la boîte noire, Emilie Peluchon avait prévu seulement Arthur Perole avec Tendre Carcasse et Ambra Senatore avec In Comune. À L'Ombrière, la bien-nommée. Mais ce qui rend le festival uzétien si unique se situe ailleurs. En ce mois de juin, où La Maison dansait, on compta cinq plateaux dans cette ville où le moindre recoin peut être investi, le temps d’un spectacle. Pas besoin de vestiaire ni d’ouvreurs et ouvreuses.
À Uzès, on se donne rendez-vous devant la salle pour marcher ensemble jusqu'au lieu du spectacle. Un kilomètre de balade, dans des conditions de rêve. Ni chaleur écrasante, ni vent, ni pluie. Un kilomètre de nature ou de vieille pierre. Le spectacle en prime. À Uzès, ils ont aussi 1 km de danse, où professionnels et non professionnels font régner Terpsichore pendant une après-midi entière, sous le ciel de Provence.
La veille, on avait fait un kilomètre avant la danse, et un kilomètre après, sur le chemin du retour. Par trois fois. D'abord, en direction des abords de la forêt, pour voir surgir un drôle de fantôme au visage tout de beige maquillé, tel un revenant des films de Murnau, tiraillé, déchiré par une force mystérieuse. Il fut plus tard rejoint par un double féminin. Fictive, Extérieur jour d'Emilie Labédan, était-ce donc un tournage? Un surgissement sylvestre qui parfois se faisait attendre, aux sons de percussions avec des échos moins effrayants que prévu. Et sur le mail, tout en haut, une passante sermonna son chien de ne pas s’approcher du précipice. Un accident canin aurait jeté une véritable ambiance d'effroi. La corrida du personnage crépusculaire avec sa toison noire aurait pu y parvenir, mais seulement à la nuit tombante. On comprend cependant le choix de ne pas exposer le public, pendant le kilomètre de retour, au risque de s'écarter du bon chemin dans le noir. À Uzès, la danse prend parfois des chemins non balisés.
La mort et l’humour
Ensuite, rendez-vous Place aux Herbes, devant le QG du festival, la maison-mère de La Maison Danse. Pour traverser la ville et arriver devant une placette avec une fontaine et des gradins installés en hémicycle miniature. Où l'on admira d'abord l'esprit explorateur d'Emilie Peluchon qui semble savoir tirer profit du moindre endroit poétique de la cité uzétienne. Car cette ville est, on le comprend d'année en année, entièrement gradinable et ils ont développé un système tout-terrain qui peut transformer le moindre bout de pavé en une scène pour la danse. Par exemple, face à cette fontaine où, pour se croiser, il faudrait sortir d’un des immeubles adjacents ou remonter l’une des deux petites voies pavées qui s’y rencontrent. Et les rues semblent désertes. Ici, moins de monde que dans la forêt !
Galerie photo © Thomas Hahn
Et soudain, un chevalier, en pleine monture couleur laiton. On l'attendait. C'est Zoé Lakhnati qui va se métamorphoser, de gentilhomme en coach d'athlétisme, puis en danseur-chanteur soul et en héroïne de film d'action. Tous ces personnages vont mourir, pour laisser la place à un autre. This is la mort, annonce la Bruxelloise dès le titre de son spectacle. On s'attendait au plus dramatique, et on est surpris qu'on puisse nous parler de la mort avec autant d'humour. Face à la statue avec ses quatre masques de Neptune crachant l’eau en permanence, le chevalier surmonte ses appréhensions au cœur du comique de situation. Ensuite son armure commence à se décomposer et Lakhnati redouble de complicité avec les spectateurs.
Opportunément, les cloches se mirent à sonner et on crut voir Michael Jackson se réincarner sous nos yeux, à moins qu’il s’agisse de Prince. Aussi, même pas besoin de passer au Moonwalk pour être au plus près des idoles de la soul. Femme-oignon qui s'épluche progressivement, Lakhnati alla jusqu’à escalader les murs pour feindre de se jeter dans le vide. Les costumes de cette mime-matriochka sont l'œuvre ingénieuse de la styliste Constance Tabourga. Et même les habitants, qu'on croyait absents vu les volets fermés et stores baissés, ont participé à la réussite de cette adaptation de This is la mort, entre autres en offrant une loge à la Doña Quichotta. Mortel !
Une histoire vraie
Le soir, on marcha à nouveau dans les prés et sous les marronniers, pour arriver au bout du Parc du Duché, où le grand plateau fut installé pour les huit danseurs et deux musiciens batteurs du grand classique de Christian Rizzo. D'Après une histoire vraie, donc. Une pièce qui a vécu des centaines de représentations depuis sa création au Festival d'Avignon en 2013. Mais l'équipe d'origine, à nouveau réunie, ne l'avait plus dansée depuis sept ans. Une pièce qui marque les mémoires de spectateur. Chacun semble se souvenir du moment et du lieu de sa découverte personnelle de ce rite amical et contemporain. Cette fois, elle marquera aussi la mémoire des danseurs. Car jamais la pièce n'avait été donnée de jour, sous la lumière du ciel.
Galerie photo © Thomas Hahn
Entre-temps, les interprètes sont nombreux à avoir amplifié ou débuté leurs carrières de chorégraphes: Youness Aboulakoul, Yaïr Barelli, Filipe Lourenço, Pep Garrigues, Massimo Fusco... Leur danse de tous les tropismes, si remuante à l'origine, est devenue une forme de sagesse, comme si la pièce arrivait à destination, s'inscrivant dans une image de la nature qui est presque plus forte que celle d’une tribu plus que jamais connectée au temps. Sept sur les huit danseurs avaient participé en personne à la création de la pièce. Depuis, chaque geste est profondément gravé dans leur chair.
Aussi ils dansent comme pour retarder le crépuscule et semblent y parvenir sans effort. Face à la forêt, le silence de la première partie chatoie les danseurs à genoux et leurs unissons qui relient terre et ciel. N'est-ce pas de ça qu'il a toujours été question dans ce questionnement de la masculinité ? Les pieds nus semblent charrier la terre, les batteurs sont protégés par le feuillage et la musique semble traverser le vent. D'Après une histoire vraie est devenu: Une histoire zen, une histoire vraie.
1 km de danse
Le lendemain, on marche encore plus. Sur trois plateaux, l'après-midi est dévolue au km de danse longuement annoncé. Ambra Senatore fait ses premiers pas, avec un Echauffement collectif au Parce du Duché. Sous le soleil, chacun créé une « forme », c’est à dire un geste et le transmet à quelqu’un d’autre. Plus tard, Marion Carriau crée la surprise. Sur le plateau, avec les arbres en toile de fond, elle tourne telle une derviche expressionniste à l’élégance d’une ballerine, ses deux fils l’accompagnant en mouvements ou en collant sur le plateau du scotch dans les couleurs emblématiques du km de danse : orange et mauve. Ditto to the sand est un travail en cours qui interroge la place de la mère dans le monde d’aujourd’hui. Un rôle à donner le vertige ? Jusqu’où la mère peut-elle résister, s’épuiser et offrir à ses enfants une stabilité vitale ?
En ville, près de la Place aux Herbes, un autre plateau accueille Filipa Correia Lescuyer. Sa danse solaire et parfois giratoire est accompagné par le compositeur M-Pex à la guitarra portuguesa, dans une transparence absolue des sons et des mouvements. Le corps de la danseuse devient la mandoline sur laquelle la chorégraphe joue une partition musicale à sa manière. Une danse, comme une offrande. Plus tard, sur le même plateau, une fédération de danses historiques arrive avec tout son attirail du 19e siècle pour une démonstration de quadrille. Depuis trente ans, la pratique se développe et les adhérents organisent des bals en France, Italie et Espagne, avec les associations locales. Leur ambassadeur, très loquace, explique les figures historiques, dont Poule, Pantalon et Galop, avant que la trentaine de quadrilleurs ne se rende au bal organisé à Uzès le même jour. C’est ainsi qu’Emilie Peluchon a eu l’idée de les intégrer dans le km de danse.
Galerie photo © Thomas Hahn
Leurs robes brodées, chapeaux fleuris, queues de pie et hauts-de-forme cadraient parfaitement avec l’historicité des murs et pavés, et même le lendemain on pouvait apercevoir dans la ville des personnes arborant canotiers et robes d’un autre temps. Que ce monde-là puisse croiser au hasard des rues celui de la création contemporaine fait d’Uzès un territoire où la danse peut pleinement jouer son rôle fédérateur. Et quand la nuit tomba sur l’Evêché, Magda Kachouche anima avec une explosivité furibonde son Balatata, un bal pour tous, atelier paillettes et quelques tenues très chaud-chaud-show à la clé, manipulant ses adeptes par le bout des doigts en dansant et chantant. C’est certain, avec son énergie débridée, elle ferait danser même la maison la plus retranchée. Et c’est parti pour l’année prochaine avec une grande édition anniversaire.
Thomas Hahn
Festival La Maison danse 2025
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