"La Liesse" de Pierre Pontvianne à Montpellier Danse
Pour sa nouvelle création présentée en première mondiale au Festival Montpellier Danse, le chorégraphe Pierre Pontvianne — Artiste associé de Montpellier Danse — convoque la foule et ses pulsations profondes dans La Liesse, pièce hypnotique où le regard se perd, autant qu’il se reflète.
Dès les premières secondes, l’espace scénique capte le regard. Quatorze miroirs disposés à l’arrière-plan renvoient au public l’écho troublant de sa propre image : celle d’une multitude serrée, exposée à elle-même, mais déformée par la fragmentation due à ces panneaux réfléchissants posés côte à côte. Un bourdonnement discret flotte, puis une matière sonore envoûtante s’installe, suspendant l’attention.
Cinq interprètes suffisent à troubler les repères : démultipliés par les reflets, leurs corps semblent se conjuguer à l’infini. L’un initie un geste, l’autre y répond, comme porté par une onde invisible. Ici, tout est enchaînement et propagation — une mécanique sensible où l’individu se fond dans un ensemble fluide, presque vivant. Les combinaisons de mouvement de bras se font et se défont avec une fluidité organique très particulière au travail de Pontvianne, habitué à créer chaînes et files avec maestria. S’y mêlent bientôt des élans de jambes, des portés en apesanteur, donnant à la chorégraphie des allures de manège emporté.
La Liesse explore les nuances de l’unisson et du déchirement, du désir de lien à la volonté de séparation. Conjuguée au pluriel, la chorégraphie forme des mouvements de… houle. L’élision du F de foule, souvent associée à la liesse par le travail sur la gestuelle est très malin. Cette mer imaginée ouvre de nouveaux horizons, car si la chorégraphie joue sur le glissement de sens, ici le mot "liesse", n’est peut-être pas une simple jubilation collective, mais une matière sonore et viscérale, entre l’enlacement de « liens » ou de « liane » et « tresse » ou l’écho sombre d’une « détresse ». Cette chorégraphie distille un fond d’inquiétude, un déséquilibre. Le mot "liesse" y devient donc un fil sonore, tendu entre la légèreté de la fête et le vertige de l’effondrement. Tout s’étire, se dilate, puis s’efface, comme à la fin où il ne reste qu’une présence solitaire qui disparaît dans le silence.
On assiste à une danse de contradictions, où les essors prennent forme dans une précision physique saisissante, où les impulsions s’éteignent brusquement. Grâce aux miroirs qui s’incurvent légèrement, et aux éclairages qui jouent d’ombres chinoises, l’espace tangue entre hallucination optique et écriture chorégraphique millimétrée. Chaque geste semble répercuté ailleurs, comme si l’air vibrait encore du précédent. La scène se peuple de figures démultipliées, avatars d’une foule informe, mouvante, insaisissable. Sa danse, tout en courbes fractales et ondulations subtiles, est une topographie mouvante, rendue d’autant plus énigmatique par les jeux de lumière et les effets de miroirs. Par moments, on peut distinguer deux pièces en même temps, les danseurs et danseuses de face dans l’ombre, et de dos dans la lumière… ou certains détails de la gestuelle, qui, vus inversés, prennent un autre tour. Une idée brillante !
Les cinq danseurs donnent corps à cette composition mouvante avec une intensité magnétique. Drapés de noir et de bleu nuit, ils sont portés par une trame sonore immersive où musique électronique, voix, et poésie arabe fusionnent. La pièce culmine dans une scène marquante, bercée par Weavings (Part. 3) de Aho Ssan/Ka Baird & Resina, où les vers de Paul Chaoul résonnent avec les chants de Sandy Chamoun. Le seul problème, est qu’il faut lire le programme pour le savoir. Et c’est dommage. Car on ne sait ni ce qui est dit, ni pourquoi ces mots sont proférés de manière si véhémente. De même, on regrettera que Pontvianne construise toujours ses pièces de la même façon, à savoir par séquences ponctuées d’une coupure. Dans les précédentes, il s’agissait d’un « noir », cette fois d’un « rouge ». Cela lui évite de se poser la question de la cohérence des enchaînements, mais surtout de la dramaturgie, qui reste toujours étonnamment absente.
Agnès Izrine
Vu le 24 juin 2025 au 45e Festival Montpellier Danse, Théâtre de la Vignette.
Distribution
Chorégraphie : Pierre Pontvianne
Assistante : Laura Frigato
Avec : Jazz Barbé, Louise Carrière, Thomas Fontaine, Héloïse Larue, Clément Olivier
Musique : Sanam, Sandy Chamoun, d’après un poème de Paul Chaoul Weaving Part. 3, collab. Aho Ssan, Ka Baird, Resina ; Trois Liesses, Pierre Pontvianne
Lumière : Victor Mandin
Décor : Pierre Treille
Production : Compagnie PARC
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