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La 27e édition d’Artdanthé : Queer et engagée

A Vanves, le mois de mars s’annonce comme un plaidoyer pour l’ouverture des esprits et un monde meilleur.

Artdanthé, en 2025, se présente comme un festival indéniablement ardent. On pourrait croire en une prise de position sociétale urgente, en vue des changements politiques intervenus depuis l’édition précédente. Mais on sait bien que l’édition 2025 a été conçue avant le retour de Donald Trump à la Maison Blanche. On y trouve  à peu près tout ce que le prétendu roi du monde déteste viscéralement.  

Dans La Demande d’Asile, Nicolas Barry se penche sur les procédures de demande d’asile politique et rappelle la situation trouble quand une personne appartenant aux LGBTQIA+ est obligée à dévoiler les agressions et persécutions subies, et ce parfois dans une langue inconnue. Mais comment danse-t-on une telle situation ? Barry confie la mission à Sophie Billon et Nangaline Gomis  pour un duo danse-théâtre autour de cette épreuve psychique  et physique.

Auto-sarcasmes en mode queer

Quand Matteo Sedda lance son appel Fuck me blind, Donald Trump pourrait faire partie des signataires. Mais l’ancien interprète de Jan Fabre, et notamment du solo The Generosity of Dorcas, va ici entrelacer son corps et celui de Marco Labellarte pour créer un « paysage homo-érotique », en fait un jeu avec la force centrifuge. Pour produire quelques vertiges ? Ce duo s’inspire du film Blue de Derek Jarman, tourné juste avant la mort du réalisateur, victime du sida.

Et que dire du Batty Bwoy  de Harald Beharie ? C’est un nom en argot jamaïcain pour une personne queer (littéralement : garçon de cul) et donc autant empreint d’autodérision sarcastique  que le nom de feu Johnny Rotten (= pourri) des Sex Pistols auquel se réfèrent Paolo Stella Minni & Konstantinos Rizos dans leur trio Rrrright Now, qui commence par le dernier regard de Rotten à la fin du dernier concert de Sex Pistols. Cette pièce porte un regard sur le monde à travers la culture punk. Quelle place pour elle dans notre monde néolibéral et pré-tragique ?

La contre-culture sait-elle où aller dans ce monde ? Le chorégraphe et performer Andrea Giganovitch laisse son (Some faggy  gestures) carrément Untitled. C’est  « la révolte des corps queer face aux normes sociales, patriarcales et capitalistes ». S’inspirant des ouvrages Queer Art  et Freak Theory  de Renate Lorenz comme de Some Faggy Gestures  d’Henrik Olesen, ce solo interroge la stigmatisation des corps non normatifs à travers le VIH et ses ravages sur les personnes LGBTQIA+. Et l’auto-sarcasme de faggy, un gros mot anglais pour désigner les personnes queer, n’est pas provocateur que celui de Batty Boy  ou Johnny Rotten. Mais revenons au Batty Bwoy, Harald Beharie, qui interroge la peur de la soi-disant bonne société face aux personnes et corps queer. Beharie y affronte les ambiances homophobes et les stéréotypes sur le corps queer.

Cas d’école(s)

Mais même des corps plutôt normatifs comme ceux du B-Boy et de la ballerine dans Coquilles  d’Amala Dianor [lire notre critique] peuvent contribuer à œuvrer pour un regard sans préjugés. Ici c’est la mante religieuse qui mène la danse, devant le public le plus jeune qui soit. C’est pour les tout-petits, d’un an par exemple. Deux ou trois ans de plus, histoire de ne pas se laisser effrayer, et c’est bon pour Les Géantes, duo féminin signé Antoine Arbeit. On est dans la montagne, habitée par deux figures qui tour à tour prennent des traits monstrueux et fascinants à la fois. Et qui disputent au passage à la gent masculine son apanage d’apparaître en ogre ou cyclope etc. Mais elles sont aussi nourrices et protectrices. Un autre gigantisme est possible

Pour rendre le sujet accessible aux adultes, c’est vite trouvé. Il y a Mathilde Invernon qui, aux côtés de sa partenaire Arianna Camilli, retourne les rôles assignés des genres comme un gant. Les deux se présentent non seulement en clowns, danseuses et ventriloques, mais carrément en s’appropriant certaines mauvaises manières masculines pour mieux en démontrer la futilité. Pourra-t-on reconnaître dans leur Bell End certains Père Ubu de notre époque ?

Tout ça fait irrévocablement partie de l’univers « woke », terme aujourd’hui honni par les chantres d’un revanchisme mâle et blanc, capitaliste et néo-colonialiste. Et vous savez à qui on pense. Pour s’y opposer, on peut continuer à s’inspirer à Artdanthé et continuer dans la direction d’un modèle d’ouverture et de société non discriminatoire, en étendant le champ au colonialisme, avec les Histoires (dé)coloniales  de Betty Tchomanga [lire notre critique] qui présente ici le volume # Folly, où le musicien, chanteur et danseur Folly Romain amène le public scolaire – auquel ces pièces tout-terrain s’adressent en particulier sans exclure le public général – sur les traces la culture béninoise des origines et d’aujourd’hui.

Il faut aussi parler, en ce sens, de Malika Djardi qui n’aurait sans doute pas cru, en commençant à mettre en œuvre son solo Martyre, que ce nouvel hommage à sa mère, aujourd’hui atteinte d’Alzheimer, puisse dépasser le cadre d’une quête intime et devenir politique. Mais avec toute notion de respect même pour les personnes malades qui se répand depuis la Maison Blanche, voilà que ce dialogue dansant avec sa mère participe de l’affirmation du désir d’un monde plus respectueux, même si le questionnement premier concerne ici la filiation et la transmission de gestes, et avec eux de tout un héritage conscient et inconscient.

Tout va dans le sens d’un mieux-vivre-ensemble en se libérant des esprits de la haine. Le but est clair, ça s’appelle : Bonheur. Proclamé sans détours par Maurice Broizat dont la compagnie s’appelle : Lovelabo. Bonheur  interroge justement les possibilité de ce concept face à nos modes de vie, dans un quatuor qu’on ressent d’emblée ludique, ironique, joyeux et sarcastique au bon endroit. De quoi amuser tout le monde, jusqu’aux cœurs les plus endurcis.

Et puis, retour à l’école, à partir de l’ouverture même, avec The Great Chevalier, une fiction chorégraphique pour « l’iconique Ballet Folklorique National du Luxembourg », représenté par son directeur M. Chevalier dans la flamboyante Danse du pigeon, et ce malgré son âge qui doit atteindre le hors d’âge, étant donné que son dernier passage à Vanves, prétendument inoublié – mais qui pour s’en souvenir, surtout lors de la représentation scolaire  ? – date de 1975. Mais ça passe aussi en soirée, au Théâtre de Vanves, et on aura enfin une autre image du Luxembourg !

La voix des artistes

C’est comme si Ardanthé ouvrait un vaste débat sur les tolérance et intolérances des convives. Et les artistes sont invités dans ce cercle, encouragés à parler d’eux-mêmes pour une réflexion sur le rôle et la place des pratiques artistiques. Mais ils cherchent leur place et s‘interrogent. Vittorio Pagani ouvre au public certains aspects de la vie d’un danseur, dans A Solo in the Spotlights  qui interroge ce qui se transforme en être humain qui se produit sur scène, sous les projecteurs.

Si Pol Jimenez danse une créature entre faune et être humain, entre danses folkloriques espagnoles, boleros et flamenco  à la recherche d’un nouveau langage ibérique, on verra aussi Mother Tongue  de Lucia Garcia Pullés qui  interroge la capacité de résister à la dépersonnalisation. La chorégraphe argentine semble lutter contre la peur de perdre sa langue, mobilisant une énergie considérable.

Ensuite, il faut regarder du côté de l’Iran, où tout langage d’artiste est particulièrement muselé. Mais Darius Dolatyari-Dolatdoust est autant Iranien qu’Européen. Chorégraphe mais aussi plasticien, performeur et designer, il crée Wearing the Dead, un voyage imaginaire dans une culture fantasmée, portée par des chansons traditionnelles iraniennes. Si le titre se réfère aux vêtements et à la mort, c’est que l’artiste s’interroge, par ce quatuor, sur son héritage et la construction de nos identités qui s’expriment par les traces laissées en nous par nos ancêtres et les signes qui s’affichent dans nos accoutrements.

Le titre de Chœur, performance chorale dirigée par Audrey Bodiguel, est aussi à lire comme cœur, pour interroger, avec un groupe d’étudiant.e.s, et parfois des amateurs  d’autre nature, le type d’êtres que nous sommes aujourd’hui en ce monde : Qu’est-ce qui nous met en colère, nous émeut, inspire et fait bouger ?  Ce sera « un moment unique à vivre ensemble », dit Bodiguel puisque le temps de préparation est court – quelques heures seulement – et que la performance se crée en fonction du nombre et de la nature des participants, chaque fois très dfférents, entre les corps, le chœur et les cœurs.

Tout semble donc possible, et on n’en dira pas moins à propos des Chansons mouillées  de Nina Santes qui crée ce solo à partir de moments développés en répétitions et finalement pas mis sur le plateau. Elle nous en fera profiter dans une sorte de cabaret, et on sait que ces « chutes » peuvent contenir des moments de grâce comme de délire et peuvent offrir un véritable portrait de l’artiste. Et à ce portrait individuel on peut ajouter un portrait mutuel, avec le duo AC/DC [lire notre critique] pour un danseur senior et un jeune issu d’un institut médico-éducatif, Jules Lebel.  Agathe Pfauwadel et Aëla Labbé y définissent leur place entre la scène et des établissements de soins, éducatifs ou sociaux. Les deux interprètes engagent un jeu de la  découverte de l’autre qui redéfinit la place de chacun.

Thomas Hahn

27e édition d’Artdanthé Théâtre de Vanves du 7 au 28 mars

 

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