La 14e édition de Pouce !
Le festival pour les jeunes de La Manufacture CDCN explore le rapport au monde, à des âges divers, d’un an à la préadolescence.
Qu’on le dise aux enfants : II n’y aura bientôt plus d’excuse ! Plus d’excuse de mal connaître le paysage chorégraphique... Car il suffit désormais d’avoir un an pour commencer à se constituer ses références. Connaissez-vous Amala Dianor ? Mais oui, c’est le grand monsieur à la peau noire qui a parlé au public à la fin de Coquilles, où la mante religieuse joue avec le singe…
Les enfants qui l’ont vu au festival Playground [lire notre article] s’en souviendront. Ceux qui le voient en Nouvelle Aquitaine dans le cadre de Pouce! ne l’oublieront pas. Quoi de mieux que d’entamer un parcours de spectateur de danse à un tel niveau d’excellence, avec une ballerine et un B-Boy, tous les deux au top par la technique et l’expression ? Pas besoin à ce stade de savoir distinguer entre mouvements issus de la danse classique et du hip hop. Ça viendra, d’autant plus que ces Coquilles donneront envie de retourner au « pestacle » de danse.
Papier et corps se plient
Envie d’enchaîner en danses urbaines ? Ce sera possible avec [Superstrat[ d’Anne Nguyen. Et voilà que le jeune public aura identifié une autre figure sachant enchanter les danses urbaines et autres styles qui gravitent autour d’elles. [Superstrat[ est la première création d’Anne Nguyen en tant qu’artiste associée à La Manufacture CDCN. Où l’on sera moins dans la fable que dans l’énergie pure et donc en plein champ de recherche de la chorégraphe qui s’évertue à interroger les liens entre les danses urbaines actuelles et les racines ancestrales de la danse, de la musique et du patrimoine de la diaspora afro-américaine. Et peu importe si l’on comprend – ou pas – les enjeux historiques et culturels. Il faut dire que tout cela est un peu compliqué quand on n’a que cinq ans, âge minimum indiqué pour [Superstrat[.
Un premier contact avec une soprano ? La danse mène à tout ! Jeanne Azoulay et Amine Boussa déploient un peuple de figures de papier et c’est tout un royaume qui se crée, sous l’œil d’une déesse observatrice, qui chante, dans une langue inventée, de façon aussi aérienne qu’Amine Boussa déploie sa danse. Le trio ImagOri est une manière de s’adresser à des enfants à partir de quatre ans, à la croisée des arts qui convergent autour de l’origami japonais.
Mythologies
Curieusement, Gilles Baron appelle sa compagnie Origami. Il présente ici pour la première fois au public le trio Aïon, spectacle qui fait se croiser acrobatie, jonglage et danse. Fort de dix ans de création pour la jeunesse, Baron opte pour le conte pour inciter son public – à partir de six ans – à quelques considérations sur le temps. A travers Chronos, Kaïros et Aïon – autrement dit, le temps linéaire, opportun ou cyclique – il amène ses jeunes spectateurs dans l’univers de la mythologie grecque.
S’adressant à la même tranche d’âge, Marion Carriau ouvre son public au panthéon indien et à la danse millénaire du Bharata Natyam. Son conte chorégraphique passe par le geste et les mots pour incarner tous les personnages : l’amante, l’idole, les dieux du Panthéon indien, un monstre, des animaux… Je suis tous les dieux, dit-elle sans indiquer si elle en est ou si elle les suit. Mais elle traverse suffisamment de paysages et aventures imaginaires pour que les deux se rejoignent.
Et une troisième chorégraphe s’intéresse aux mondes imaginaires. Marion Muzac propose un voyage sur MU, légendaire continent aussi mythique qu’hypothétique, situé dans l’océan Pacifique. Son quatuor féminin mêle performance, danse, musique live et installation plastique au milieu d’un mystérieux paysage de totems faits de tissus, pour interroger les mythologies de l’humanité jusqu’à ce qui crée aujourd’hui nos rites et cérémonies.
Regarder l’avenir et rassembler
Alors, cette édition de Pouce! a-t-elle pour but d’interroger la fascination mythologique de l’humanité ? Pas vraiment. Pas uniquement en tout cas. « Le fil rouge de ce festival se tisse autour de la volonté des artistes de faire corps pour regarder l’avenir et nous rassembler, dès le plus jeune âge, autour de sujets de société tels que la place de l’histoire ou le rapport aux normes », annonce la brochure-programme. Tout d’abord, Fabrice Ramalingom propose au public à partir de sept ans une excursion vers la rationalité et les sciences, à travers Newton et les lois de la gravité. Trois personnages vont expérimenter la pesanteur à travers leurs propres corps et ce qui fait décor sur le plateau. Ce qui ne se fait pas sans paroles, et surtout, avec humour, comme le prouve le titre de ce trio : Trois poids, trois mesures.
Pour Sofiane Chalal, le corps est lieu de puissance et de fragilité, et il est surtout soumis au diktat des normes. Car le corps ce danseur est a priori trop pesant pour s’envoler dans un grand jeté ou par les figures de la danse hip hop. Mais il est venu démontrer le contraire, dans son solo Ma part d’ombre. On arrive donc au volet de Pouce ! qui vient interroger notre regard sur l’autre et nos rapports avec un environnement sociétal qui conditionne nos réflexions et nos corps. La chorégraphe Sylvie Balestra, qui est également anthropologue, invente des Rites de passage qui pourraient permettre à une jeunesse vivant entre sports et danses urbaines de renouer avec des univers ancestraux, pour se questionner sur leur place en ce monde [lire notre entretien].
Si Pouce ! s’adresse, grâce à Amala Dianor, aux tout petits, le festival étend son champ d’attention jusqu’à la préadolescence. Et livre, avec Histoires (dé)coloniales de Betty Tchomanga, un regard sur la traite triangulaire coloniale et esclavagiste (#Emma) ainsi qu’un retour aux sources du continent africain avec #Folly, où le percussionniste, chanteur et danseur Folly Romain Azaman reprend contact avec la spiritualité du vaudou béninois. Et ce n’est pas un hasard si ces deux volets de la série décoloniale de Tchomanga sont à voir à l’Université Bordeaux Montaigne, lieu d’études et de débats.
Thomas Hahn
Pouce ! Le festival danse pour les jeunes
Du 5 au 15 février 2025
Organisé par La Manufacture CDCN Nouvelle-Aquitaine
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