« L'Eloge des possibles » de Raphaël Cottin
L'Eloge des possibles de Raphaël Cottin porte la marque de son auteur, mais c'est aussi le second programme du festival Faits d'Hiver qui manifeste l'importance de Christine Gérard. Figure émérite de la danse en France depuis les années 1970, témoin, passeur et créatrice, mais présente ici par effet miroir, indirect, dans le reflet de ses élèves-disciples (cf Aurélie Berland) . La pièce, de Raphaël Cottin, discours appliqué de la méthode « Gérard », porte certes toutes les qualités de son auteur, mais aussi celles de cette grande dame…
D'abord, l'exceptionnel interprète, incarnation de la sensibilité et de la précision extrême requises par les œuvres de Thomas Lebrun dont il est une manière de double contraire (le Doppelgänger des légendes du nord, mais en version favorable)… Mais Raphaël Cottin mène aussi une carrière de chorégraphe qui exploite ces mêmes vertus mais dans un contexte nourri de culture chorégraphique. Car le chorégraphe Cottin appartient à la rare espèce des artistes saltatoires fin connaisseur de l'histoire de leur art au point d'en maîtriser la notation Laban et d'y beaucoup œuvrer. Un Cas, donc… Et qui a eu une professeure : Christine Gérard dont il fait volontiers et avec beaucoup de sensibilité l'éloge.
Un arrêt biographique s'impose, donc : Christine Gérard.
Dès l'âge de 14 ans, à l'occasion d'un spectacle, Christine Gérard rencontre et commence à travailler avec Jacqueline Robinson (1922-2000) ; cette proximité ne se démentira jamais. Au décès de sa professeure, Christine Gérard disait « Les cours nous permettaient d'explorer le cœur du mouvement, ses forces, et de sentir en nous s'épanouir la danse. Nous étions portés vers cette nécessité intérieure et j'ai donc été tout de suite plongée dans cette quête, dans cette exploration de la matière, dans la recherche de cette mélodie intérieure. » Et les élèves de Christine Gérard, par exemple et pour faire simple, Raphaël Cottin, en disent « quels que soient les caractères de ses élèves et leurs profils plus ou moins enclins à la chorégraphie, plus ou moins en sympathie par rapport à son approche pédagogique, nous partagions le devoir d’introspection propre à l’impro-compo. La question en filigrane de « qui sommes-nous à travers notre danse ? » semble avoir résonné chez beaucoup d’entre nous, tout au long de nos études »…
Voilà pour la question de la transmission et du rôle du pédagogue. Pour la place dans la danse, le programme de la Biennale de Lyon 1986 la résume : « Le maître et l'élève. Mary Wigman et Jacqueline Robinson, Jacqueline Robinson et Christine Gérard. Rites [1967], chorégraphie de Jacqueline Robinson, a près de 20 ans et reprend vie pour la biennale. Automnale, création de Christine Gérard, naît au cours de ces deux soirées. Élevées dans le culte de Wigman, ces deux femmes, ces deux chorégraphe prouvent la pérennité de son message et de son apport. » Pour le reste, il y a une carrière ! Françoise et Dominique Dupuy d'abord, puis elle rejoint la troupe Danse-Théatre Susan Buirge en 1971 où elle restera sept ans. En 1974, elle fonde avec Alexandre Witzman-Anaya, le groupe Animation et Recherche Chorégraphique (ARCOR) où elle continue à chorégraphier. En 1979, elle obtient le prix du public et une mention du Ministère au concours de Bagnolet pour Entre les Masques. Avec Daniel Dobbels, qui fait à présent partie de la compagnie, elle présente Il est défendu d'entrer dans le jardin avec des fleurs à la main (1983), Le Silence des Sirènes et Les Lignes Orphelines (1984). En mai 1989, elle obtient son certificat d'aptitude aux fonctions de professeur de danse contemporaine et enseigne tout d'abord au Conservatoire de la Rochelle (1989-90) puis au C.N.S.M.D. de Paris jusqu'en 2011. Son absence de préjugé, son ouverture ont fait de cette classe d’improvisation et de composition une des boussoles de la génération de chorégraphes qui émerge à partir de 2010.
Galerie photo © Frédéric Iovino
Et c'est pour cette raison que pour ce Faits d'Hiver à la nuance très mémorielle, le nom de Gérard revient avec tant d'insistance.
Ici de façon singulière. Raphaël Cottin n'a pas cherché à reprendre une pièce de Christine Gérard. Il est parti d'une de ses pièces et il a appliqué et développé les concepts de sa professeure en matière de composition. Et l'improvisation aussi, il y a un moment très drôle baptisé événement au milieu du programme où les interprètes se confrontent à l'aléa le plus complet. Donc cela commence avec l'entrée d'un homme (Arthur Gautier) masqué. Gestes d'une maîtrise étonnante, en particulier dans les appuis et la position des mains, tout cela provenant d’un solo repris en 2012 par Raphaël Cottin et qui fait partie de Quel est ce visage ?, une suite de sept soli pour sept masques créés par le plasticien Jean-Pierre Schneider entre 1999 et 2000. L'air du Eja Matter de Vivaldi ajoute à la gravité.
Les autres interprètes se joignent au premier, Les trois autres interprètes se joignent à la danse et diffractent le solo initial en éclats, le multipliant par l'unisson, le soulignant par décalage. La démonstration ludique de l'art de composer s'emballe jusqu'à Sweet dreams d’Eurythmics et la version française de Sylvie Vartan, Déprime ! A entendre ici par antiphrase tant l'ensemble enflamme joyeusement le plateau. La construction conduit vers le Concerto pour quatre claviers de Bach (BWW 1065) où les danseurs tissent les liens de leurs mouvements, non pas en prenant chacun une voix (l'un des claviers par exemple) – ce serait trop facile – mais en soulignant, à l'image de Bach, la continuité d'une ligne qui passe de l'un à l'autre jusqu'à parvenir, comme par un hasard auquel il faut se laisser prendre, au moment de clôture. Une démonstration qui, bien dans l'esprit de Raphaël Cottin, commence par une austérité assumée avant la franche libération.
Et, pour qui douterait que la première qualité d'un chorégraphe est de savoir monter un casting, un simple coup d'œil sur Amandine Brun, Arthur Gautier et Paul Grassin, les trois autres danseurs de cet Eloge des Possibles, se convaincra que Raphaël Cottin a bien suivi les leçons de son maître jusqu'à être indubitablement un des chorégraphes qui compte aujourd'hui.
Philippe Verrièle
Vu le 27 janvier 2024 à Micadanses, Paris, dans le cadre du festival Faits d'hiver.
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