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« L’Echo » de Nacera Belaza

À la MC93 de Bobigny, Nacera Belaza présente L’Echo, un duo avec la comédienne Valérie Dréville, en ouverture du focus que le Festival d’Automne consacre à la chorégraphe.

Sur le plateau de la MC93, tout commence avant que rien ne commence. L’espace est plongé dans une obscurité dense, non pas comme un décor, mais comme une matière à part entière. Un trou noir qui absorbe lumière et vibrations. Ce n’est pas un fond : il est actif, respirant, traversé de tensions. Il accueille le spectateur dans un seuil perceptif où l’attention se réinitialise. C’est une immersion dans une danse de l’invisible.

Bientôt, révélée par un pinceau de lumière sur ses cheveux clairs, Valérie Dréville apparaît dans un cône de brouillard, « sous la blafarde » comme le disait joliment une œuvre de Dominique Bagouet. L’actrice fétiche d’Antoine Vitez et Claude Régy ne joue pas, elle ne performe pas : elle installe une présence, elle entre dans la danse comme d’autres en religion. Sa lente rotation, bras levés, ne cherche ni effet ni narration. Elle propose un état, une qualité d’écoute, une manière d’être là parmi les cris des oiseaux. Dans le noir. Elle est une femme solitaire. Une ombre qui se reflète dans l’ombre de son ombre. Une illusion. On se demandera longtemps si elle est une ou deux « dans l’ensemble, de l’être dansant, jamais qu’emblème point quelqu’un.. »1.

Et tandis que remue le roulement de la mer, que ses jambes apparaissent, nous commençons à distinguer des formes étranges, comme si Valérie Dréville était jambes écartées, en équilibre instable sur les pieds de son négatif.

Nacera Belaza émerge alors. Fluide, avançant et reculant dans une dynamique qui module . Le duo ne se construit pas dans l’interaction, mais dans une mise en tension des régimes de présence. Comme un écho lointain. La chorégraphie ne s’impose pas. Elle se déploie en périphérie, dans les marges du visible. Le corps se fait traverser, se dissout, se recompose. Il devient vecteur d’intensités. Le geste minimal, suspendu, parfois à peine amorcé, laisse advenir une vibration, une onde, une manière d’habiter le temps. Le mouvement, minimal et suspendu, semble naître aux frontières du visible. Les visages restent dans l’ombre, les gestes s’étirent, se replient, se posent comme des jalons vers un ailleurs.

La lumière participe de cette dramaturgie de l’indistinction. Elle ne révèle pas, elle trouble. Elle crée des zones de porosité entre les corps et leur environnement, entre chien et loup… contre-jour instable. Elle accompagne les mutations, les effacements, les surgissements. Elle s’épaissit, se distend, se fait buée ou éclat. Elle sculpte l’espace, le dilate jusqu’à l’immensité. Dans cette dramaturgie subtile, les corps papillonnent, se cherchent, se dédoublent. Tout se mêle dans cette chorégraphie de l’imperceptible où chaque élément devient partenaire de jeu. De même la bande-son, riche de textures électro, de bruits, de sons d’une ville lointaine, est le prolongement de cette danse rentrée, le contrepoint, parfois le moteur, qui enveloppe, traverse, creuse les présences.

Ce qui se joue dans L’Echo, n’est pas vraiment un duo, ni une partition à deux voix. C’est une mise à l’épreuve de la perception. Le spectateur est invité à déplacer son regard, à suspendre ses attentes, à entrer dans un régime d’attention rare. Chaque variation de densité, chaque silence, chaque inflexion devient événement. La scène devient un espace d’écoute, un lieu de résonance, un champ d’expérience.

 

Valérie Dréville propose une disponibilité, une transparence, une manière de se tenir dans l’espace sans le saturer. Nacera Belaza, travaille la matière chorégraphique comme une écriture du retrait, du glissement, de l’effacement. Ensemble, elles construisent une dramaturgie du seuil, une danse qui ne se regarde pas seulement avec les yeux, mais avec l’ensemble du corps perceptif. Parfois les deux femmes affleurent en silhouettes découpées, comme des dessins du poète Henri Michaux, puis s’estompent littéralement, mangées par une nuit noire, ou peut-être une coulée d’encre… Parfois, tournant en volutes, parcourant le plateau, elles désorientées au sens littéral du terme.

L’Echo ne se donne pas, il se dérobe. La pièce installe une concentration qui apaise, une forme de recueillement actif. Dans cette danse de l’insaisissable, le spectateur est convié à une traversée, à une expérience de réception où le mystère des corps en tension ouvre une brèche vers l’imaginaire. Et on gardera longtemps en nous L’Echo de ces gestes, d’une beauté indicible.

Agnès Izrine

Vu le 5 octobre 2025, MC93, Bobigny dans le cadre du Festival d’Automne à Paris. Jusqu’au 11 octobre.

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1. Divagations de Stéphane Mallarmé.

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