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L’Afrique mexicaine de Monika Gintersdorfer

Depuis toujours, Monika Gintersdorfer est une vraie citoyenne du monde, à chaque instant de sa vie. Ses études universitaires, elle les faisait à Mexico City. De retour en Allemagne, elle devint une chorégraphe de l’Afrique francophone pour qui le coupé-décalé n’a aucun secret. A la Biennale du Val-de-Marne, en pré-ouverture de l’édition 2023, son Trio (for the beauty of it)  a animé la fête des dix ans de La Briqueterie. 

Dix ans déjà, alors que les souvenirs de l’ouverture du CDCN du Val-de-Marne sont encore très frais. En 2013, Michel Caserta, qui avait initié le projet avait déjà passé la main à son successeur, Daniel Favier. Il était d’autant plus agréable de fêter les dix ans en présence de ce dernier qui a passé la direction à Sandra Neuveut en 2020. 

Et tout le monde de danser sur la piste, en prolongement de la pièce de Gintersdorfer et ses acolytes, spectacle  se révélant idéal pour chauffer la salle, au point qu’à la fin de Trio…, on avait l’impression que le public n’attendait que ça, impression encore soutenue par certaines tenues aperçues chez les spectateurs-teufeurs. 

Pour sa beauté donc, voilà un trio sans frontières, tripolaire entre sensualité, énergie et drôlerie. Chacun son état, chacun sa danse. Chacun-x faudrait-il écrire, car la feuille de salle propose une nouvelle écriture inclusive. On y apprend entre autres que Monika Gintersdorfer travaille avec des « danseur-x-euses et des musicien-x-ne-s internationaux-ale-x-s ». C’est l’écriture inclusive XXL, ou bien en coupé-décalé, une vraie proposition d’e-x-il.e orthographique pour le XXIe siècle. 

Un trio bien décalé

Dans Trio (for the beauty of it), trois impayables interprètes comparent leurs cultures de danse, chacun à sa manière. Alex Mugler est « né-x à New York », maîtrise la danse « des chaussons aux talons hauts » et a travaillé avec Rihanna et Lindsay Lohan. Inutile d’ajouter que sa « maison » est le voguing. Et pas le voguin-x, tout de même. Car en effet, chez lui-x, toute certitude par rapport au se-x-e et au genre serait hasardeu-x-s-e. 

Quant à Carlos Gabriel Martinez, il est « né-x au Mexique » et « un-x danseur-x contemporain-x qui étudie le sonidero, l’high energy ou le reggaeton », décrites comme « des danses urbaines mexicaines issues d’un large brassage entre les cultures américaines, latino, européennes et africaines ». S’il est tout de même à identifier comme appartenant au sexe masculin et à un âge qui le qualifierait pour être le papa d’Alex Mugler par exemple, il s’amuse délicieusement de ses propres efforts de déconstruction de toutes catégories afférentes.  

Avec Ordinateur, on arrive sur les territoires de prédilection de Gintersdorfer : le coupé-décalé ! « La France nous a divisé jusqu’à la guerre civile, mais le coupé-décalé nous a rassemblés », dit-il. Et montre comment ça marche, avec des pas et des mouvements qui découpent et décalent son propre corps tout en le rassemblant. Une vraie machine à danser ! 

Une danse « à mille concepts »

Mais leur création commune avec Gintersdorfer et le DJ Timor Litzenberger au sein du collectif La Fleur ne se conçoit pas comme un triple solo. Au contraire, les univers se croisent, Ordinateur, l’agilité faite homme, explique qu’il y a « mille concepts de danse dans le coupé-décalé » et adapte son coupé-décalé au reggaeton, alors que Mugler « traduit » en gestes la danse d’Ordinateur (« je-laver-poulet » etc.) et explique les origines et les rites du voguing (la création des « house » (maisons) sur le mode de la fashion, p. ex.). Et Martinez s’amuse tel un bouffon du roi face aux identités queer. 

Bref, voir les trois ainsi,  joyeusement unis par leurs différences, est un régal et une illustration parfaite du modèle chorégraphique et de vie de Monika Gintersdorfer. Et même si on peut finir par se demander s’il y aurait une place pour les femmes dans un tel trio, on ne pourra nier que la féminité y est bien représentée par deux des trois danseurs-x, sans en faire un trio totalement queer. Ce qui veut dire qu’on est là dans une sorte de queer du queer. 

El Nueve : Objectif Mexique

Pour l’autre spectacle du collectif La Fleur, il faut opérer un petit retour en arrière. Il y a quelques décennies, Monika Gintersdorfer étudiait à Mexico City. Et elle y fréquentait une boîte de nuit légendaire, El Nueve (Le Neuf), lieu de l’avant-garde de la ville et au-delà. Le co-fondateur était un Français, Henri Donnadieu, et El Nueve exista pendant treize ans, à partir de 1977. « Récemment, quand je suis retournée au Mexique, j’ai compris que cette boîte de nuit contenait déjà tout ce qui est aujourd’hui revendiqué dans certaines structures culturelles : la diversité des personnes qui fréquentent l’endroit et l’aspect pluridisciplinaire », dit la chorégraphe et metteuse en scène. 

Nuits chaudes à Mexico City

A partir de vidéos tournées de spectacles de musique et de théâtre créés au Nueve, le collectif La Fleur crée un événement, plus qu’un spectacle en format habituel. Et Donnadieu, aujourd’hui d’un âge respectable, a fait le déplacement depuis le Mexique où il vit toujours, pour témoigner de son aventure, rejoignant Gintersdorfer à Aubervilliers. 

Au Théâtre de la Commune, la scène peut se transformer en club pour le public, une salle accueillant la projection des vidéos tournées au Nueve original (on y voit entre autres Klaus Nomi performer) pendant qu’à d’autres moments, le public s’installe dans la grande salle pour suivre les saynètes inspirées des créations de la Kitsch Company, fondée à l’époque par Donnadieu. 

On y retrouve Carlos et Ordinateur de Trio (For the beauty of it), entourés d’une fine fleur de performeuses et autres invités. Mention spéciale pour le remake des Demoiselles d’Avignon  d’après le tableau de Picasso, quatuor queer créé au Nueve originel dont les personnages sont « des prostitués dans le bordel de la vie » (dixit Donnadieu), pour revendiquer le droit à une existence hors normes, comme l’est cette création avec son mélange afro-mexicain et comme l’était El Nueve. 

Thomas Hahn

Trio (For the beauty of it) le 9 mars 2023, La Briqueterie CDCN

El Nueve, le 16 mars 2023, Aubervilliers, Théâtre de la Commune
Jusqu’au 26 mars

Biennale de danse du Val-de-Marne jusqu'au 6 avril 2023
 

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