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June Events : Le banquet et la banquette

Soirée événementielle à June Events, orchestrée par Nina Santes autour de réjouissances diverses et variées, notamment un banquet dansant et deux singes humains.

Dans la salle principale de l’Atelier de Paris, débarrassée de ses gradins, un énorme triangle de tables fut dressé pour accueillir les convives par centaines, pour un « banquet performatif. » Juste à côté, en passant par l’extérieur, on put entrer dans le studio et s’asseoir au sol pour observer deux étranges créatures, assises sur un praticable évoquant la banquette arrière d’une voiture familiale. Pendant trois heures et demie, un duo de faux primates s’adonna à des occupations humaines (ou presque). Ce spectacle est-il donc antispéciste ? Ce n’est pas impossible, mais il se peut que Consul et Meshie nous parle moins des primates que de nous autres humains.

Les visages de Consul, le mâle (Antonia Baehr), et Meshie, la femelle (Latifa Laâbissi), font penser aux Chlorocebus (singes verts) lesquels vivent en groupes de trente à cinquante individus, ce qui correspond parfaitement au nombre de spectateurs humains prévus pour cette performance. Curieuse coïncidence, mais bien à sa place dans ce jeu d’inversion des réflexions et du regard, créant un formidable ouvrage de distanciation théâtrale et au passage un miroir un brin déformant de notre humanité.

Historiquement parlant, il faut cependant avouer que Consul et Meshie, ces deux chimpanzés « humanisés », n’ont jamais vécu ensemble. Consul 1er décéda en 1894, mais il y eut beaucoup d’autres « Consul » après lui, selon Eric Baratay, auteur de l’ouvrage Biographies animales. Des vies retrouvées, où il nous parle de certains primates qui imitaient les codes de la société humaine. Quant à Meshie,elle vécut dans les années 1930.

Autant que ces singes aimaient participer au quotidien des humains, étaient-ils vraiment capables d’une réflexion sur leurs actes ? Etaient-ils dans le vrai ou dans le jeu ? Jusqu’où leurs comportements étaient-ils authentiques au lieu d’être de simples imitations ? Et en même temps, qu’en est-il chez nous-mêmes ? La rencontre fictive des deux quasi-humains sur la banquette automobile (scénographe: Nadia Lauro) soulève un mille-feuille de questionnements sur la distinction culture/nature et ressemble à un débat sur les humains qui sont venus les regarder.

Face aux duos mi-singe mi-humain, les spectateurs sont entièrement absorbés par l’observation et la réflexion, sans pouvoir faire quoi que ce soit d’autre, alors que Consul et Meshie sont libres de choisir leurs actions qui reproduisent celles des humains. Ca brode, ça tricote, et le spectateur détricote, si ce n’est Meshie qui examine les dents de Consul ou lance au public ces cacahuètes que le Consul historique aimait jeter en direction des autres animaux en imitant les humains. Et Meshie de croquer une pomme hautement symbolique, sans que Consul se transforme en Adam pour autant, n’ayant aucune feuille de vigne sous la main.

Pendant ce temps, au banquet, le public arrive pour consommer nourriture, pensées et images. Mais on sent bien qu’ici il n’y a pas de spectateurs, qu’on a un rôle à jouer, que chaque humain y participe en même temps d’une scénographie vivante. Il n’y a pas de séparation, le spectacle est dans la salle et sur les tables, célébrant sur un mode très féminin le trou noir dans ventre, porteur de poésie digestive, savante et spirituelle. Les estomacs caressés de l’intérieur par le mafé, le public se réjouit de l’arrivée des femmes qui ont préparé le repas et nous invitent maintenant à danser. Ce sont Les Mères en Place, une association du 19e arrondissement qui lutte pour l’alphabétisation des jeunes et plus encore. Après le repas, elles apportent chaleur musicale et humaine...

Retour chez Consul et Meshie où la cinquantaine de spectateurs est devenue une dizaine. Les autres sont en train de manger… Mais paradoxalement, moins nous sommes nombreux, plus nous sommes libres face à ces créatures qui incarnent des singes qui jouent aux humains avec leurs comportements, attitudes et réactions propres aux primates et pourtant si proches des nôtres. Le public réduit à une poignée, on est moins dans une forme de zoo, fut-il inversé, et plus proche d’une vraie communication avec cette altérité mouvante, comme chez les chimpanzés humanisés historiques.

Tel était bien le désir de Consul, selon Baratay: S’éloigner de sa propre espèce pour s’intégrer pleinement chez les humains. Ce qui implique en soi une réflexion sur ses convives. Consul et Meshie est une rencontre qui pourrait bien nous réhumaniser. Mais entretemps, il faut bien manger et danser. C’est une équipe 100% féminine, à commencer par Anne Sauvage, directrice artistique de June Events, qui a su nous rappeler ces nécessités en réalisant un jeu de miroirs passionnant entre nature et culture. Il ne manquait qu’une visite de Consul et Meshie au Banquet. Après tout, ces primates-là étaient initiés aux arts de la table...

Thomas Hahn

Festival June Events, 8 juin 2019, Atelier de Paris

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