Error message

The file could not be created.

« Jardin / Collisions et combustions » de Michèle Murray

Rien n'est plus compliqué que ce qui apparaît simple ! Proposé dans le cadre du festival organisé par le CCN de Tours, Jardin/Collisions et Combustions, de la chorégraphe Michèle Murray au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré invite à analyser ce domaine où la danse tient une place prépondérante autant que discrète : l'intervention dans les musées.

Appelons cela un objet chorégraphique à définir : Michèle Murray, chorégraphe associé du Centre Chorégraphique National de Tours présentait une de ces propositions conçues pour le milieu muséal dans le superbe bâtiment blanc du Centre de Création Contemporaine Olivier Debré. Un magnifique écrin dédié aux œuvres du peintre, mais qui accueille aussi des expositions successives et diverses - dans le cas présent une exposition baptisée End and consistant surtout en une œuvre monumentale (tapisserie de 19 m de long) du plasticien néerlandais Koen Taselaar, ce qui en fait un genre de musée, rattachant la proposition de Michèle Murray à la vaste catégorie des interventions chorégraphiques dans les lieux d'exposition. Objet donc, car pas un spectacle, mais pas non plus pas un spectacle… Un autre chose qui annonce sa complexité conceptuelle dans la formulation même du titre qu'il faut commencer par expliciter.
Jardin tel que présenté au au CCC OD est la forme performative du projet général qui répond au titre Collisions et Combustions. Contrairement à Duos, autre protocole de ce projet général, Jardin se déroule dans une seule salle avec des motifs chorégraphiques dans différentes constellations ou « bouquets » qui se déploient de manières simultanées ou consécutives en solo, duos, trios etc… Le tout peut aller jusqu’à des constellations avec tous les interprètes en même temps ; à Tours, la proposition allait jusqu’au sextet. Comme l'explique la chorégraphe : « tout se déroule dans la lenteur, ponctuée par de rares éclats ». L’idée de calme, d’introspection et de silence ont donné ce titre de Jardin. Les deux protocoles partagent quelques “règles“, une durée qui va de de heures , comme au CCC OD, à une journée en se calant sur les horaires d’ouverture du musée et si possible, sur plusieurs journées consécutives, pour s’approcher du format exposition, voire devenir exposition ; le silence ; le nombre d’interprètes pareillement variable dans les deux formats. Les deux protocoles partagent une partie des patterns développés.

Le déroulé ouvre quelques pistes. Il apparaît clairement que nous sommes au musée (même si cela ne s'appelle pas ainsi). Le truisme ne l'est pas tant que cela : quand le metteur en scène et cinéaste Patrick Chereau « débarqua » au Louvre dont il fut le Grand Invité en 2010, il reconstitua une manière de théâtre dans le lieu. Ici, la fonction d'exposition muséale reste première, témoignage de la labilité de la danse qui se glisse facilement dans les lieux sans les « dénaturer » ce que les auteurs du livre Le Spectacle vivant au musée pratiques, publics, médiations, Pauline Chevalier, Aurélie Mouton-Rezzouk et Daniel Urrutiaguer, souligne d'une façon amusante en écrivant : « Si la danse occupe une place importante sur cette scène muséale, elle est loin d'être la seule. Le théâtre, la performance, la musique, les arts du cirque s’y épanouissent dans les auditoriums et les galeries d'exposition ». Réserve savoureuse pour ceux qui, avec Dominique Dupuy, regrétèrent que la danse fut toujours « celle après les autres arts ». Dans le musée, la danse occupe une place majeure, voire première, parce qu'elle y entre sans le brusquer.


Ici, l’œuvre de Koen Taselaar occupe littéralement l'espace, soit une grande médiane de plusieurs dizaines de mètres au milieu d’une grande salle blanche. C’est une tapisserie recto-verso, dans un esprit proche, du Street, Art, ou de la bande dessinée. Une œuvre qui suppose que l’on s’approche pour revoir les détails, mais, qui part sa dimension même, résiste à cette possibilité. Le public déambule autour de ce vaste discours, dans une pièce qui se définit par sa banalité même. La proposition de Michèle Murray se confronte à cette définition du spatial par l’œuvre. Trois moments caractérisent particulièrement. L’entrée, quand les danseurs pénètrent dans l’espace, non comme des gladiateurs sous les vivats du public, mais avec une discrète modestie qui les fait s’instiller dans le tissu du public entourant celui de la tapisserie, se dégageant peu à peu, par leur mouvement, même de la masse (un peu comme dans Factory (1992) d’Herve Robbe, autre modalité de la relation des arts plastiques à la danse, dans laquelle les danseurs créaient l’espace pour montrer les places des œuvres du sculpteur Richard Deacon).
Pour autant, ils ne « jouent » pas au public, ne cherche pas l'effet de surprise. Même simple, leur costume s’affiche comme costume, ne serait-ce que par la similitude des tenues qu’ils arborent. Noir, sobre, avec un rien de chic, mais surtout similaire. Et puis ils se couchent immédiatement au sol, avec cette pleine présence consciente qui détrompe tout ceux qui pourraient croire à un accident. L'étonnant étant qu'il n'y en a pas.
La fin, par dilution de la propositon, chacun des six interprètes semblant s'évaporer, souligne que le propos ne se veut pas un spectacle : ce qui valu ce moment délicieux où la dernière interprète s'étant évanouit par une pièce sans issue, elle se vit contrainte de repasser par le public, sous des applaudissements imprévus et qui la mirent mal à l'aise !
Entre les deux, tandis que les duos se déroulaient de part en part de la tapisserie, et tandis que l'effectif de danseurs se regroupait petit à petit d'un seul côté, l'une des interprètes roula sur elle même, passant sous la tapisserie, indiquant par cette transgression limitée et maîtrisée que le propos était bien, par la maîtrise de l'espace par les danseurs, de permettre sa réappropriation par les visiteurs. Et de fait, ils se rapprochèrent de l'œuvre pour l'observer.

Contrairement à ce qu'en dit la chorégraphe elle-même, la proposition vise bien le musée, mais pas le corps. C'est par leur habileté à contrôler temps et espace (et la performance, sur deux heures non-stop est plus que remarquable) que Jardin opère. Michèle Murray explique que « les premiers commanditaires étaient la Potsdamer Tanzfabrik / Fabrikmoves Berlin en collaboration avec différents lieux de la Région du Brandenburg autour de Berlin, qui lançaient un appel à projet de création auquel j’ai répondu, et pour lequel mon projet a été retenu. L’appel proposait de réfléchir à un projet qui se ferait soit dans l’espace public de son choix, soit dans un musée. Il n’y avait aucune contrainte par rapport à une œuvre spécifique, il s’agissait de développer la présence de la danse ailleurs que dans le théâtre, et de diversifier les publics. J’ai proposé un projet pour l’espace muséal car j’avais, à plusieurs occasions, constaté un lien fort entre mes pièces, la peinture et la sculpture. Ça m’intéressait de réfléchir à la question de pourquoi, et comment présenter la danse dans un espace muséal. J’ai pu passer un mois en 2021 dans le «Brandenburgisches Landesmuseum für Moderne Kunst, DKW Cottbus» afin d’expérimenter et présenter un premier résultat: la forme DUOS. J’y suis retournée en 2022 et j’ai créé le second format / protocole JARDIN. Cette fois-ci le commanditaire était le musée de Brandenburg BLMK seul. ».

Galerie photo © Play Michèle Murray

On mesure à cette réponse ce qui, à l'encontre de l'opinion souvent professée, fait l'intérêt et le succès de la danse dans l'espace muséal : elle n'y force pas le rapport à l'œuvre mais redonne à ces lieux hors temps et coupé de l'espace de la vie, et l'un et l'autre ; ceci valant pour des propositions plus conceptuelles comme celle-ci, ou d'autres sur le modèle de ce que pratique Claude Brumachon, comme la récente reprise d'Ecorchés vifs (le modèle restant Nina ou la voleuse d'esprit au musée des Beaux-Arts de Nantes dans le cadre de l'exposition L'Avant-Garde Russe en 1993).
Et durant toute la proposition, à l'extérieur, deux groupes d'adolescentes répétaient « leurs chorés » (Tik-Tok ou spectacle de fin d'année?) en se mirant dans les vitres du musée sans y pénétrer autrement que pour user des sanitaires ! Il reste du travail…

Philippe Verrièle

Vu le 31 mai 2025 au Centre de Création Contemporaine Olivier Debré de Tours, dans le cadre du festival Tours d'Horizon 2025.

 

Catégories: 

Add new comment