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« Futuro » par le collectif Toujours, Washington Timbò et le duo Mamba de la Suerte

Rite candomblé virant au concert dansé puis au show de drag queen, au défilé de mode, au tour de chant, ce Futuro joue de tous les codes pour faire spectacle. Mais cette rencontre entre un danseur-musicien-performeur-chorégraphe-bête de scène brésilien et un duo de musiciens traversés par des influences tout aussi brésiliennes, sait imposer subtilement son message tout en dégageant un plaisir communicatif.

Ceux qui eurent la chance de connaître les entrées de l'immense Elsa Wolliaston au début des années 1990 pour ces cérémonies inédites que furent Eclipse/Bascule (1992) ou La Source/Voyage (1993) se souviennent de cette étrange sensation de sentir qu'il se passait quelque chose de l'ordre du magique et que, pourtant, cela faisait spectacle. Que l'artiste devant nous accédait à des réalités cachées, mais qu'il était là aussi pour montrer et partager… L'entrée de Washington Timbò au début de Futuro procure le même moment de trouble délicieux.

Pourtant, la mise en place sur le plateau n'en laissait rien deviner. A jardin, une console de musicien électronique avec clavier gréé comme un stand de foire d'un rideau-ruban multicolore en parage ; à haut de jardin, la batterie plantée devant une sorte d’auvent en papiers brillants découpés d'un kitsch certain. Au fond, un meuble d'enceintes sur roulettes. Tout cela dans l'esprit performance et installation bien à la mode d'autant qu'un catwalk blanc et du plus bel effet traverse la scène en diagonale. Tout paraît en place pour un de ces trucs dans l'air du temps… Washington Timbò entre par la salle, affublé d'une coiffe improbable : un demi-bicorne bicolore comme un bec de toucan revue par une modiste ! Il brandit un court bâton de pluie « avec des couilles » et porte, outre un pagne très élégant, collier et fichu… Et il danse comme un damné, au sens propre. Halluciné, passant devant la batterie, provoquant la console dans des pas redoublés et percussifs, dérivant sur le catwalk devenu soudain parfaitement dérisoire, il évoque un personnage d'Orféo Négro (le film de Marcel Camus de 1959) invité par mégarde dans une rave party.

Soutenu par Adrien Leprêtre et Philippe Boudot, les deux membres du duo Mamba de la Suerte – déclinaison du groupe électro Samba de la Muerte – la démonstration sonne alors comme une manière d'illustration par les danses traditionnelles des sons contemporains. Un concert dansé de haute volée qui insensiblement va déraper pour s'ouvrir à de nouveaux horizons.

Galerie photo © Valentin Guerchet

Remontant vers le meuble d'enceintes, Washington Timbò entreprend de s'en faire un dressing-room. Il faut toujours prévoir des tiroirs dans les enceintes quand on invite un danseur de candomblé. C'est la base ! Cela lui laisse ainsi les mains libres pour venir enchanter la console du DJ ou arpenter la scène de pas d'une infinie complexité rythmique. Pour régler tout de suite la question, oui, à l'évidence, Washington Timbò connaît les rites du candomblé sur le bout des pieds et il ne fait aucun doute qu'il sait les traits de caractère de chaque oricha, qu'il sait aussi très bien jusqu'où aller pour que la transe ne l'emporte pas. Car ce Futuron'est pas un rite, c'est un spectacle et quand les deux musiciens poussent le meuble vers le devant de scène et sortent, c'est pour permettre une nouvelle séquence qui renvoie Rupaul's Drag Race au rang de sitcom anémique. Juché sur des bottines brillantes à talons aiguilles, gainé dans un pantalon bronze, maquillé mieux qu'une voiture volée, Washington Timbò met le feu au plateau et y organise un défilé de mode en invitant le public à la prestation ! Pour être juste, cette séquence gagne beaucoup à être donnée dans une salle dont une partie du public vient d'une école supérieure de danse contemporaine… Au point que les invités en furent presque à prendre le dessus (il est rare que, quand on invite le public sur scène, celui-ci enchaîne les grands jetés), mais le maître de cérémonie à paillette connaît son affaire. Et le même va soudain calmer le jeu pour se mettre aux percussions, calmant l'excitation avec une maîtrise confondante.

Spectacle, tout est spectacle. Du candomblé à la mode, en passant par les drag queens, le spectacle est partout mais il est un outil parfaitement contrôlé. Futuro a bénéficié des conseils de Volmir Cordeiro et l'on sait la maîtrise de ce dernier pour jouer sur les codes, mais il trouve dans le cas présent mieux que du répondant… Quand enfin les deux musiciens descendent au premier plan, quand ils accueillent Washington Timbò revenu des coulisses pour un codicille chanté d'une émotion vibrante, le message de ce Futuro ne laisse aucune ambiguïté : rien ne justifie la moindre violence contre les homosexuels et surtout pas un gouvernement (petit coup de patte au passage à Bolsonaro) et soyez vous-même ! Vrai spectacle politique sous couvert de formidable show, Futuro tient de la bouffée d'air nécessaire.

Philippe Verrièle

Vu le 12 mars au Quai d'Angers dans le cadre du festival Conversation du CNDC

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