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Festival Trajectoires : « Vocabulary of need » de Yuval Pick

Première mondiale au Théâtre de Saint-Nazaire pour le plus grand effectif jamais mis en scène par Yuval Pick. 

Vocabulary ! On ne saurait être plus clair sur l’enjeu fondamental de la danse développée par Yuval Pick depuis qu’il dirige le Centre Chorégraphique National de Rillieux-la-Pape. Plus que jamais, il met ici le vocabulaire au premier plan d’une partition pour laquelle il a élaboré un langage très articulé, fin, complexe, calligraphique et sculptural de grande précision pour ses huit interprètes. 

Les variations sont infinies, les danseurs arrivent par vagues et se retirent, comme la mer. La réussite de Vocabulary of Need est d’habiller chaque interprète d’un même attirail de gestes, sans que la forme se transforme en uniforme. Chacun.e porte certes le même t-shirt beige et le même short sombre, mais comme dans une équipe sportive, chacun.e joue son rôle et exprime pleinement sa personnalité, au service du collectif. 

Un lien intime à la musique

Ces corps pliés à la lisière de l’équilibre, ces trajectoires dans l’espace doivent beaucoup à Cunningham et De Keersmaeker. L’une des choses qui lient aujourd’hui Yuval Pick à la grande dame bruxelloise est en effet le lien si intime à la musique. Inspiration, émotions, énergies découlent directement d’une excursion à l’intérieur même de la partition, jusqu’à la source, jusqu’à ce que l’on touche à des racines universelles. C’est ainsi que Pick a pu lier Schubert à Kraftwerk quand il créa Are friends electric ?, en 2015.

Cette compréhension organique le guide à nouveau dans Vocabulary of need,composé sur la Partita en ré mineur BWV 1004 de J.S. Bach. La spiritualité inhérente à cette œuvre pour violon seul semble ici interdire les petites facéties humoristiques qui innervent habituellement les créations de Pick. Cette soirée de première au Théâtre de Saint-Nazaire, dans le cadre du festival Trajectoires, a en tout cas donné à sentir qu’il faudra un peu de temps aux protagonistes pour s’approprier ce « vocabulaire de la nécessité », pour l’étoffer plus fortement encore, à la fois de présence et de manque. Alors, le regroupement de tous ne sera plus la condition pour que l’énergie de cette pièce passe la rampe. 

Esprit d’équipe

Quand les huit interprètes se réunissent, leur force de cohésion éclot pleinement, et ils peuvent effectivement évoquer une équipe sportive. La musique serait alors leur agrès, l’objet du désir et le moteur des ambitions. Et c’est effectivement dans les tableaux d’ensemble que le lien avec Bach est le plus présent, plus que dans les duos ou trios qui semblent surtout préparer le rassemblement prochain. 

Quand Yuval Pick évoque le corps dans Vocabulary of need, il le fait en ces termes : « Incomplet, il ne suffit pas à lui-même: il cherche à (se) construire, à construire avec l’autre et à (re)construire l’espace. » Chaque corps, en effet, se plie pour créer et englober un espace vide qui semble l’attirer et lui offrir son appui. Ensemble, ils forment de véritables paysages, ils se figent parfois et les angles des bras, des jambes et des bustes évoquent dans leur abstraction une nature sauvage, brute, complexe et romantique, et en même temps un jardin baroque à la française. 

Prolongations

La fusion entre la musique et le corps devient palpable chaque fois qu’une note a été jouée et continue de résonner dans l’espace, jouant les prolongations. Le geste continue de vibrer avec elle, suspendu dans le temps. Le besoin et la nécessité évoqués dans le titre remplissent alors cet espace. Les notes de la Partitaappellent le geste, et le corps appelle de nouveaux sons. Cette sensation est rarissime en danse, où le geste à l’habitude de s’effacer de façon instantanée, pour n’exister que dans le flux. 

Et pourtant on se demande pourquoi Pick préfère l’enregistrement à la présence d’un violoniste, puisque la plénitude et la chaleur du son compenserait le fait qu’un CCN ne pourra s’offrir une vedette comme le chef d’orchestre et violoniste Christoph Poppen dont le chorégraphe a choisi l’interprétation, particulièrement savante. Mais surtout, un lien physique pourrait s’établir entre la gestuelle des danseurs et le geste musical du violoniste qui se prolongerait jusque dans le creux des corps dansants. La séparation, le manque, le désir, le besoin s’incarneraient plus charnellement, plus sensuellement. Ce qui ne serait pas une trahison, puisque la composition de la Partita n° 2 pour violon seul tombe au cœur de la période la plus sensuelle de Bach. Vocabulary of needs’achève en avant-scène, dans un face à face avec la salle, où les gestes s’adressent directement au public, pour dire le besoin des danseurs de communiquer et d’exister, grâce à nous. Il a fallu l’attendre, mais le lien est établi. 

Thomas Hahn

Chorégraphie : Yuval Pick

Assistante chorégraphique : Sharon Eskenazi
Regard complice : Michel Raskine

Danseurs : Julie Charbonnier, Noémie De Almeida Ferreira, Thibault Desaules, Guillaume Forestier, Andrés Garcia Martinez, Fanny Gombert, Madoka Kobayashi, Mark Christoph Klee

Création sonore : Max Bruckert
Lumières : Sébastien Lefèvre
Scénographie : Bénédicte Jolys
Costumes : Paul Andriamanana

Festival Trajectoires, Le Théâtre – Scène Nationale de Saint-Nazaire, le 17 janvier 2020

 

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