Exposition Carlotta Ikeda, de la cave à la lumière
En ouverture d'une série d'hommages initiée avec et autour du festival Faits d'Hiver à la chorégraphe Carlotta Ikeda, disparue il y a dix ans, cette exposition organisée dans les caves du Centre Culturel Bertin Poirée grâce au fond du Centre National de la Danse souligne la complexité du butô tel qu'incarné par l'artiste et la pertinence du travail d'archivage du CND !
Le lieu peut paraître obscur, voire « underground », mais il ne surprendra aucun de ceux qui, guettant les propositions des artistes du monde butô s'y glissèrent souvent : Le centre culturel Bertin Poirée. Pendant plusieurs décennies, dans cet endroit tout à fait inapproprié à l'organisation de spectacles, les curieux se rendaient une fois ou deux fois par an comme pour un rituel et assistaient à des performances dans les caves aménagées de façon assez « rustique ». Il est à parier que la commission de sécurité en eut quelque chose à en dire, c'était d'autres temps… Mais cet endroit symbolique convenait parfaitement pour l'accueil d'une exposition consacrée à Carlotta Ikeda. De mémoire, elle n'a pas dansé en ces lieux, mais l'esprit y est.
Le Centre National de la Danse, qui a reçu la dotation du fond Ikeda après la mort de la chorégraphe, et qui développe – un peu contraint et forcé par les travaux – une politique « hors les murs » (le projet préexistait), a extrait une grosse soixantaine de documents aussi divers que passionnants qui permettent de suivre l'aventure que fut la carrière de Carlotta Ikeda en France. Photos, affiches, programmes, articles, textes de sources diverses, de la fin des années 1970 au mi-temps des années 2010, un peu plus qu'une carrière défile. Une certaine remise en perspective s'impose : la France fut un peu l'autre pays du butô. Mal considéré dans son pays d'origine où son caractère provocateur, ses liens avec l'extrême gauche et ses relations avec la part la plus agitée des spectacles populaires (le strip-tease en particulier) ne lui attirèrent guère les faveurs du grand public, le butô, dans toutes ses branches – chic et design avec Amagatsu ; méditatif et métaphysique avec Masaki Iwana ; cash et féminin avec Ikeda – a trouvé en France et pour des raisons totalement différentes les unes des autres, une terre d'accueil. Un certain nombre de travaux (Sylviane Pagès) ont déjà commencé à explorer ce très vaste sujet, il y a encore beaucoup à faire pour le comprendre et cette exposition constitue un petit cailloux sur le chemin.
Fond Carlotta Ikeda - Fond CN D © CN D
Seconde remise en perspective : Le CND reçoit beaucoup (de plus en plus) de fonds d'archives. Cela arrive en général en carton, donc en vrac, donc dans ce que l'on appellera pudiquement un « certain désordre », qu'il s'agit de valoriser. Le mot est un rien confus lui-même. Valoriser n'entend pas que le CND intervient sur l'archive, mais, par l'attention, le classement, la mise en dialogue interne des documents, les équipes de Laurent Sebillotte – ce bénédictin de l'archive chorégraphique – donnent à l'ensemble des documents qu'elles ont reçu un peu plus que la valeur de chacun des « bouts de papier » pris individuellement. Présenter ensuite ses documents dans leur dialogue entre eux sur les murs de lieux symboliques de la carrière des artistes est une perspective assez intéressant de ce que pourrait être le rôle du CND, au-delà de la contrainte actuelle des travaux. Les caves de Bertin Poiré conviennent bien à la révolution souterraine de Carlotta Ikeda. L'institution gagnerait à suivre ce modèle.
Galerie photo : Exposition Carlotta Ikeda - Fond CN D © D.R
Dans le cas, quatre séquences, Carlotta Ikeda avant le butô : les années de formation ; Quand la France découvre le butô : le choc du Dernier Eden ; Ariadone et ses danseuses : entre solos et pièces de groupe ; États de corps : entraves et dévoilements. Et, entre les photos parfois d'une crudité qui permet de percevoir la puissance sulfureuse de l'artiste, les affiches d'un kitch au mauvais goût délicieux, le raffinement profond de certaines images et la pertinence poétique des textes de programme, apparait toute la complexité du sujet ! Mais aussi l'influence qu'Ikeda put avoir dans son pays d'adoption.
D'où le fait que cette exposition, initiée à l'occasion du festival Faits divers 2025, ouvre un grand cycle d'hommages à la chorégraphe, présentant également des conférences (Maëva Lamolière), des spectacles (deux soli hommage : Naomi Mutoh, La Pesanteur et la Grâce ; Yumi Fujitani, Life is beautiful, à Bordeaux et à Paris au Regard du Cygne), une grosse soirée d'hommage organisée à Bordeaux par l'OARA très investi dans ce projet, et même un livre de Geisha Fontaine consacré au solo Utt dans la collection Chef d'œuvre de la danse (dont le présent signataire est très fier, les acheteurs comprendrons facilement pourquoi…) ; le tout dans un ensemble très cohérent.
Philippe Verrièle
Carlotta Ikeda : Du Japon vers la France, du cabaret au butô
Exposition présentée du 21 janvier au 1er février 2025 dans le cadre du festival Faits d’hiver
Association Culturelle Franco-Japonaise de TENRI : 8-12,rue Bertin Poirée, 75001 Paris France .
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