Entretien avec Myriam Mazouzi, directrice de l’Académie de l’Opéra de Paris
À l’occasion de la programmation de fiBraAM de la compagnie Chriki’Z composée d’Amine Boussa et Audrey Azoulay, par l’Académie de l’Opéra de Paris, nous avons voulu en savoir plus sur cette entité de l’Opéra de Paris et en avons interrogé sa directrice, Myriam Mazouzi.
Créée en 2015, l’Académie de l’Opéra national de Paris articule ses missions autour de la Transmission, la Formation et la Création. La formation de nouvelles générations de professionnels, la transmission au plus grand nombre des savoir-faire de l’Opéra et la création d'œuvres contribuent à la nécessaire ouverture de l’Opéra aux enjeux de la société d’aujourd’hui. On retrouve donc tout au long de la saison de l’Opéra national de Paris, ces axes, et notamment une programmation Jeune Public, ainsi que des actions de transmission à travers de nombreux programmes, tels que l’Opéra en Guyane, Le Serment d’Opéra, Dix mois d’école et d’Opéra. Danser Canal Historique a choisi de se concentrer sur le chorégraphique.
DCH : Pourquoi une programmation Jeune Public ?
Myriam Mazouzi : Faire découvrir à un jeune public les arts lyrique et chorégraphique est l’une des missions de l’Opéra de Paris. Nous coproduisons régulièrement des créations, nous sommes également très attentifs à proposer des représentations « familles », mais aussi des représentations scolaires, car, selon moi la démocratisation de la culture et l’accès à l’art passe par le cadre scolaire c’est le seul moyen de découvrir le spectacle pour certains. Et l’on ne peut avoir envie de ce que l’on ne connaît pas ! Mais ce n’est qu’un département du très large panel que couvre l’Académie de l’Opéra de Paris qui doit former les artistes et les spectateurs de demain. Dans cette programmation, nous veillons toujours à ce qu’il y ait, si possible, des enfants sur scène, car je crois beaucoup à l’exemplarité.
DCH : Votre programmation est très éclectique. Est-ce un choix délibéré ?
Myriam Mazouzi : C’est un de nos choix essentiel qui vise à montrer une grande diversité d'esthétiques et de chorégraphes, notamment extra-occidentaux, car il me semble capital que ces auteurs aient leur place sur nos scènes. Donc nous proposons des formes hip-hop, contemporaines, ou entre les deux, comme Amala Dianor ou la compagnie Chriki’Z, qui bien sûr, sont issus du hip-hop, mais ont considérablement élargi leur vocabulaire depuis. Nous avons également programmé de la danse baroque ainsi que des compagnies internationales comme Hélène Blackburn, du Québec, invitée très régulièrement.
fiBraM de la compagnie Chriki’Z, Galerie photo © Emma Derrier
DCH : Et la danse classique ?
Myriam Mazouzi : Paradoxalement, puisque nous sommes l’Opéra de Paris, il est compliqué de trouver des spectacles en danse classique pour le Jeune public. C’est notre maillon faible, et j’espère sincèrement pouvoir co-produire un spectacle en danse classique. Ça fait partie des enjeux que nous devons continuer à travailler, et c'est un sujet aussi que nous avons évoqué plusieurs fois avec José Martinez. Nous sommes également freinés par la taille du plateau de l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille, notre lieu de diffusion, qui ne peut recevoir un grand ballet. Mais, la danse classique est présente dans nos programmes par d’autres biais. Hier par exemple, nous avons reçu de très nombreux scolaires venus voir La Belle au Bois dormant avec Guillaume Diop et Dorothée Gilbert.
L'Opéra en Guyane, galerie photo © Julien Mignot
DCH : Comment intervient la danse dans ce dispositif ?
Myriam Mazouzi : À divers endroits. Dans la programmation Jeune Public mais aussi sur le volet éducation artistique et culturelle pour lequel nous développons d’autres programmes, comme Dix mois d’école et d’Opéra, un outil très important, ou d’autres dispositifs à vocation sociale, socio-médicale ou de réparation, comme le Serment d’Opéra, en partenariat avec l’hôpital Sainte-Anne depuis trois/quatre ans dans lequel certains danseurs sont très impliqués. Bien entendu pratiquer en faisant découvrir l’univers de la danse dans la pluralité de ses esthétiques est capital, comme dans les ateliers "Balanchine mes parents et moi" (ou Noureev, Crystal Pite, Pina Bausch…) en appui de notre programmation. Ce sont des ateliers que parents et enfants partagent. Ils sont ensemble en situation d’apprentissage, et dans la découverte d’un répertoire. C’est ce qui m’intéressait.
Mais la danse intervient aussi fortement dans le programme l’Opéra en Guyane. Nous faisons régulièrement intervenir au Trois Fleuves, la salle de spectacle de Cayenne, des musiciens et des danseurs. Des étoiles, comme des danseurs et danseuses du Corps de ballet, viennent soit danser, soit animer des ateliers. En juin prochain, Vincent Chaillet et Muriel Zusperreguy, anciens premiers danseurs, dispenseront des ateliers. Guillaume Diop, Stéphane Bullion, Ludmila Pagliero ont dansé, Takeru Coste, Marion Gauthier de Charnacé ont également proposé des ateliers.
Les ateliers danse du programme L'Opéra en Guyane © Frederic Stucin
DCH : Le programme Opéra en Guyane peut-il aussi vous servir à découvrir de jeunes talents à recruter pour l’Ecole de danse par exemple ?
Myriam Mazouzi : C’est très ouvert et fait pour rendre accessible à tous les missions de l’Opéra, donc évidemment de l’Ecole de danse. La première fois que je suis allée en Guyane, tout le monde me parlait d’Alvin Ailey. C’était leur imaginaire. Alors que New York est tout aussi loin de Cayenne que Paris et c’est beaucoup plus compliqué pour s’y rendre. Cette année, une danseuse du conservatoire de Guyane va participer au stage d’été de l’Ecole de danse. Il y a beaucoup de danse classique là-bas, et deux élèves ont réussi le Concours d’entrée du CNSMD. Nous en sommes très heureux et nous allons continuer à les accompagner dans leur professionnalisation.
DCH : Pourquoi la Guyane et non La Martinique ou la Guadeloupe ?
Myriam Mazouzi : La Guyane a la chance de disposer d’un conservatoire depuis plus de vingt ans, ce qui n’est pas le cas des Antilles. Or on ne peut rien développer sans acteurs culturels locaux bien implantés. De plus, c’est La Guyane est le Territoire d’Outre-Mer le plus pauvre, avant Mayotte, avec un essor démographique considérable. Ce qui est une richesse, car la jeunesse est toujours une chance. Comme d'avoir un complexe intitulé L’Encre qui réunit donc la salle Trois Fleuves et le conservatoire au même endroit. C’est un équipement culturel qui permet une belle synergie pour les enfants et le public. Nous allons aussi à Maripassoula et Papaïchton faire des ateliers avec le conservatoire. Nous avons d’ailleurs déjà réalisé cinq films sur l’Opéra en Guyane, le sixième sur Maripassoula sortira en juin prochain, sur YouTube ainsi que sur la plate-forme de l’Opéra. Je tiens particulièrement à YouTube afin que le plus grand nombre puisse y avoir accès. Il était important pour moi de documenter tout ce processus.
DCH : Pourquoi avoir choisi fiBraM de de la compagnie Chriki’Z d’Amine Boussa et Audrey Azoulay pour votre programmation jeune public ?
Myriam Mazouzi : Nous avons mis en place une collaboration très régulière avec ces deux chorégraphes et sommes toujours très attentifs aux spectacles qu’ils proposent. Il se trouve que fiBraAM est un très joli spectacle sur la métamorphose, la question de la transition. Dans cette pièce, éclairée par des ampoules à filament (fibram en latin), un joueur de oud électro-acoustique, une chanteuse mezzo-soprano et deux danseurs déploient un univers duel, un territoire où l’imaginaire et le réel s’entremêlent. Nous travaillons également avec la compagnie « Les jeunes sans limites » dirigée par Samuel Fania (que l’on voit dans l’épisode 3 ci-dessus) à Saint-Laurent du Maroni. Samuel travaille avec de très nombreux enfants qu’il fait répéter tous les après-midis. Par ailleurs il se trouve qu’Amine Boussa, va être chorégraphe associé chez Norma Claire, directrice du CDCN de Guyane Touka Danse, et personnage incontournable de la danse en Guyane. Samuel Fania va créer l’an prochain pour l’Académie une chorégraphie pour les jeunes de Saint-Laurent du Maroni en étant accompagné par Amine Boussa et Norma Claire. Je suis donc très heureuse que ce soient des petits Saint-Laurentais qui se produisent chez nous avec Samuel Fania. Car montrer des enfants en cours de professionnalisation à d’autres enfants peut déclencher un déclic, un désir, une vocation.
Propos recueillis par Agnès Izrine
fiBraM (dès 9 ans), par la compagnie Chikri’Z à l’Amphithéâtre de l’Opéra Bastille
Lundi 28 avril à 10h ou 14h, Mardi 29 avril à 14h ou 20h, Mercredi 30 avril à 15h.
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