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Entretien avec Louise Vanneste : « Faire dialoguer la danse, la littérature et la géologie »

Dans le cadre de June Events, Louise Vanneste présente sa nouvelle création, Mossy Eye Moor, une pièce qui explore le lien entre l’humain et le non-humain, le minéral et l’animal que nous sommes.

DCH : Louise Vanneste, vous présentez Mossy Eye Moor, une nouvelle pièce dans laquelle vous évoquez des entités hybrides. Quelles sont-elles ?

Louise Vanneste : Ces entités hybrides sont nées d’un travail approfondi sur le végétal, que je mène depuis quatre ans. En m’immergeant dans ce domaine, mes connaissances se sont enrichies et m’ont naturellement menée vers d’autres phénomènes naturels, notamment géologiques. J’ai été fascinée par des processus comme l’érosion, la photosynthèse, et plus particulièrement le métamorphisme des roches soit leur transformation au cours d’un cycle très lent, ou par la combustion, le feu. … Ce sont autant de transformations, de rencontres, qui m’ont donné envie de les mettre en relation avec le corps humain, avec l’expérience sensible des danseurs et danseuses. Explorer dans une relation intime ce que la pression ou la chaleur d’une roche à soixante mètres de profondeur peut générer de chaleur, de densité, de présence…

DCH : Comment avez-vous traduit cela en termes chorégraphiques?
Louise Vanneste : Le travail a commencé par une approche personnelle : je les ai incités à approcher ces éléments minéraux via leur aspect sensoriel, je leur ai demandé d’évoquer des souvenirs, des sensations liées à certains éléments comme la montagne ou le feu. Puis je les ai guidés vers des perceptions plus « brutes » : la densité de la roche, la lenteur tectonique, la pression et la chaleur, le froid, la combustion. Ces sensations ont orienté les qualités de mouvement, les textures corporelles. Chacun a pu développer son propre récit chorégraphique en lien avec ces matières.

DCH :  D’où vient ce titre Mossy Eye Moor ?
Louise Vanneste
: Il s’agit d’un un jeu de lettres et de sons. J’aime bien la consonance de Mossy qui évoque de petits être mythiques à la Miyazaki, par exemple, des présences sensibles, élémentaires. En français, ça se traduit par La lande aux yeux moussus. Mais, au-delà du sens, je m’intéresse à l’aspect des mots. EYE crée une sorte de symétrie, de réversibilité, et divise en deux le titre. MOOR, c’est le territoire, le lieu, la surface à habiter. Il y a pour moi un travail littéraire qui vient prolonger, déformer, remettre en jeu le travail chorégraphique, d’une écriture qui est aussi signe. Ma pratique étant clairement transdisciplinaire, et pour moi, le corps humain est un point de cristallisation.
J’ai aussi été inspirée par Trois jours, trois nuits, un solo que j’ai créé l’année dernière, où j’avais déjà exploré différentes adresses au public : de la plus intime à la plus explicative. Cette pluralité de langages m’intéresse beaucoup, notamment le lien entre chorégraphie et écriture littéraire.

DCH. : Vous parlez de littérature. Quelle est sa place dans Mossy Eye Moor ?
Louise Vanneste
: Elle est très présente. Des textes écrits par moi-même sont projetés ou dits dans la pièce. Cette présence des mots et des lettres accompagne la chorégraphie. Le livre Comment la terre s’est tue de David Abram m’a beaucoup influencée. Il y évoque la perte du lien avec les éléments due à l’invention de l’alphabet, qui a remplacé les hiéroglyphes – où le soleil, la mer, les montagnes étaient représentés. Je ne suis pas entièrement d’accord avec lui, mais cette tension entre abstraction et connexion sensible m’intéresse profondément.

DCH : Il semble aussi que cela s’inverse. Comme si c’était ces éléments qui nous regardaient…
Louise Vanneste
: Tout à fait. Dans cette pièce, il y a l’idée que la montagne, le feu, la mousse nous regardent aussi. Nous avons intégré à la scénographie des œuvres de l’artiste plasticien Casper Bosmans – des sculptures ou tapisseries qui auront une présence élémentaire. Elles ne parlent pas, mais elles s’adressent aux spectateurs à leur manière. Il s’agit d’un échange de regard inversé, ou au moins partagé, entre l’humain et le non-humain. Le travail sonore est également un aspect clé de la pièce, avec un éclatement sonore qui vient tricoter le son et la chorégraphie ensemble.

DCH : Cette perception de la nature est-elle en lien avec les enjeux écologiques actuels, l’effondrement de la biodiversité, le dérèglement climatique… ?
Louise Vanneste
: Ils sont là, en filigrane. Il ne s’agit pas d’un discours militant, mais d’une attention : comment nous reconnecter aux éléments depuis notre place d’humain dans une société occidentale ? Nous avons aussi collaboré avec des chercheurs en bio-ingénierie, qui observent le terrain et nouent eux aussi un dialogue avec les éléments naturels. Cela nous a nourris, éveillés.

Galerie photo © Bo Vloors

DCH : Qui sont les interprètes de la pièce ?
Louise Vanneste
: Il y a cinq interprètes. Certains sont des collaborateurs de longue date, d’autres sont nouveaux. J’aime ces relations qui se construisent sur le long terme. Deux danseuses sont venues vers moi spontanément, intéressées par mon travail. Nous avons commencé à échanger, elles ont participé à des workshops, et le lien s’est tissé naturellement.

DCH : Et pour ce qui est de la scénographie et du son ?
Louise Vanneste
: Ce sont aussi des collaborations de confiance. Arnaud Gernier, avec qui je travaille depuis près de 15 ans, s’occupe de la lumière et a co-conçu la scénographie. Nous avons cette fois invité une autre personne dans le processus, ce qui a stimulé sa manière de réagir à l’espace. Côté lumière, on reste dans quelque chose d’atmosphérique, mais avec une intensité renouvelée, notamment à cause de la présence des œuvres de Bosmans. Pour le son, avec Cédric Dambrain, nous avons quitté notre habitude de continuité pour aller vers un éclatement sonore, une sorte de tissage plus organique entre la musique et la danse. Et toujours avec cette attention portée aux mots, qui apparaissent aussi dans la bande sonore.

DCH : Un dernier mot ?
Louise Vanneste
: Je suis très heureuse de revenir sur scène avec ce projet. J’espère qu’il invitera chacun et chacune à ressentir autrement ce qui nous entoure – à se laisser regarder, peut-être, par la montagne, la mousse ou le feu.

Propos recueillis par Agnès Izrine

Mossy Eye Moor Jeudi 5 juin à 19h30 -Théâtre de l’Aquarium. Festival June Events

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